Plinio Corrêa de Oliveira

 

Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine

© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII

Septembre, 1995


Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.

PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine

GNP = Allocution à la Garde noble pontificale

Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur.

Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993).

Traduit du portugais par Catherine Goyard

1ère édition française: Editions Albatros, 1993.

Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA).


DOCUMENT X

 

Caractère paternel de la monarchie traditionnelle

 

1. Réception de François ier, à Vienne, après le départ des troupes de Napoléon

Le caractère paternel de la monarchie médiévale fut conservé en grande partie par les souverains de la maison d'Autriche, jusqu'au détrônement des Habsbourg, en 1918.

Le discours du maire de Vienne, qui recevait l'empereur François Ier quelque temps après la défaite de celui-ci à Wagram (1809), exprime bien ce côté affectif.

Pour le lecteur moderne non imbu de l'esprit de lutte de classes, cette page ressemblera davantage à un conte de fées qu'à un document historique.

Ainsi le transcrit un rapporteur indiscutablement digne de foi, l'historien autrichien Jean-Baptiste Weiss (1820-1899);

«L'adhésion (du peuple de Vienne) se manifesta plus chaleureusement à la réception de l'empereur François Ier, après une accablante occupation de six mois et sept jours. [...]

«Le 26 novembre, les troupes autrichiennes retournèrent à Vienne; le 27, l'empereur arriva à quatre heures de l'après-midi. Dès l'aurore, des milliers et des milliers de personnes se dirigèrent vers le Simmering pour recevoir leur cher empereur. Tout Vienne était debout, ses habitants comprimés les uns près des autres, patientant comme des enfants qui attendent un père chéri. Finalement, à 4h, l'empereur se présenta, sans aucune garde, dans une calèche ouverte et avec l'uniforme de son régiment de hussard, ayant à son côté le premier majordome, le comte de Wrbna. La terre et l'air paraissaient trembler sous les clameurs de joie; "Bienvenu à notre père!" Les mouchoirs ne cessaient de s'agiter.

«Le maire lui adressa quelques mots; "Bien aimé Prince; quand un peuple en lutte contre l'infortune, souffrant de mille manières, ne pense qu'aux peines de son Prince, l'amour repose sur le sentiment le plus profond, ferme et impérissable. Nous sommes ce peuple. Quand nos enfants tombaient dans la lutte sanglante, quand les balles incandescentes détruisaient nos maisons, quand les fondations de Vienne tremblaient sous le fracas des batailles, nous pensions à vous. Prince et père, nous pensions alors à vous avec un silencieux amour. Car vous n'avez pas voulu cette guerre. Seule la fatalité de l'époque vous l'a imposée. Vous avez voulu le mieux. L'auteur de nos peines, ce ne fut pas vous. Nous savons que vous nous aimez; nous savons que notre bonheur est votre volonté sacrée et ferme. Souvent nous sentions les bénédictions de votre bonté paternelle, vous avez marqué votre retour par de nouveaux bienfaits. Soyez donc, Prince paternel, salué par un amour immuable au milieu de nous. Il est vrai que le mauvais résultat de la guerre vous a privé d'une partie de vos sujets. Mais oubliez la douleur de vos pertes dans l'intime union de vos loyaux serviteurs. Ce n'est pas le nombre, mais seulement la volonté ferme et constante, l'amour unissant tout, qui sont les appuis sacrés du trône. Et tous, nous sommes animés de cet esprit. Nous voulons suppléer à ce que vous avez perdu. Nous voulons être dignes de notre patrie, car aucun Autrichien n'abandonne son Prince quand il s'agit d'elle. Les murs qui entourent votre palais auront beau tomber en ruines, les châteaux les plus solides sont les coeurs de votre peuple."

«Aucun monarque n'aurait pu recevoir d'accueil plus chaleureux. François I" ne parvenait à avancer qu'à pas lents. Le peuple embrassait ses mains, ses vêtements et ses chevaux. Arrivé au palais, il fut porté jusqu'au haut de l'escalier. Le soir, la ville et le faubourg étaient illuminés (1).»

(1) J.B. Weiss, Historia Universal, Tipografia La Educación, Barcelona, 1932, vol. XXI, p. 768-769.

2. Accueil donné par le peuple de Paris au comte d'Artois, à son retour d'exil

Une autre réception festive et enthousiaste, organisée par le peuple d'une autre capitale européenne à un autre prince victime du malheur —l'accueil donné par la population de Paris au comte d'Artois, futur Charles X, à son retour d'exil —montre bien l'affection dont le peuple entourait les représentants des antiques dynasties légitimes et paternelles.

La voici racontée par l'éminent historien contemporain Georges Bordonove;

«Monsieur fit son entrée à Paris, le 10 avril 1814, par la porte Saint-Denis. Témoignage du baron de Frénilly; " Il n'y avait pas assez de fenêtres, assez de toits pour contenir la foule enivrée qui s'enrouait à crier. Tout était pavoisé, drapé, tapissé, fleuri et tous les mouchoirs volaient. C'était un touchant spectacle." [...]

«Il faisait un temps splendide. Le soleil d'avril éclairait cette profusion de drapeaux blancs, de fleurs, de visages rieurs. [...] Les enfants, les jeunes gens s'accrochaient aux grilles. De braves gens, juchés sur les toits, agitaient leurs chapeaux. Les tambours battaient. Les chevaux caracolaient sur les pavés. Partout fusaient, spontanément, les cris de "Vive le Roi! Vive Monsieur!" A mesure qu'on approchait du centre de Paris, la liesse augmentait, l'enthousiasme changeait en délire. Monsieur était si bel homme! Il gardait une telle allure malgré ses cinquante-sept ans! Il portait si bien l'uniforme bleu aux broderies et aux épaulettes d'argent! Il montait avec tant d'élégance le superbe cheval blanc qu'on lui avait procuré! Il avait un regard si fier et plein de bonté en même temps! Il répondait avec tant de grâce aux saluts! [...]

«Il y avait si longtemps qu'on n'avait point vu de vrai prince, charmeur et chevaleresque! Il s'avançait ainsi vers Notre Dame. [...] Monsieur laissait la foule approcher, toucher ses bottes, ses étriers, l'encolure de son cheval. Cette hardiesse plaisait. Les maréchaux d'empire le suivaient. Certains s'étaient présentés à lui avec la cocarde tricolore. D'autres ne cachaient pas leur hostilité. Tous avaient envie de garder leur place. Monsieur les complimenta. Peu à peu, ils se laissèrent gagner par l'euphorie générale. Les mouvements, les cris joyeux de cette foule les déconcertaient. Ils ne comprenaient pas pourquoi les Parisiens s'engouaient à ce point de ce prince qu'ils ne connaissaient point la veille. Une mystérieuse étincelle avait électrisé les coeurs. C'était Monsieur qui l'avait allumée. Il avait le don de plaire, de séduire les foules comme les particuliers, nous dirions maintenant; un charisme. Il était tellement conforme à l'image que l'on se faisait d'un prince, il avait tant de simplicité dans son comportement, et cette aisance suprême qui ne se peut apprendre, car elle coule de source... On lui fraya, difficilement, un chemin jusqu'à Notre-Dame, où l'on avait prévu un Te Deum. Les événements s'étaient précipités au point que l'on n'avait pas eu le temps de décorer la cathédrale. On le vit s'agenouiller, prier avec ferveur. Il remerciait la Providence de lui avoir accordé cette joie d'avoir rendu la France au trône des lys (2).»

(2) G. Bordonove, Les Rois qui ont fait la France – Charles X, Ed. Pygmalion, Paris, 1990, p. 121-123.

L'étincelle qui avait ainsi embrasé l'enthousiasme des Parisiens au retour de la monarchie légitime avait peut-être sa cause dans le sentiment, alors général, explicité génialement par Talleyrand dans les derniers mots de sa lettre au futur Charles X, lors de la première abdication de Napoléon; «Nous avons assez de gloire, Monseigneur, mais venez, venez nous rendre l'honneur.»