© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et
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Septembre, 1995 |
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Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales
ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir
ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.
PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine
GNP = Allocution à la Garde noble pontificale
Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères
gras par l'auteur.
Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções
de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa,
1993).
Traduit du portugais par Catherine Goyard
1ère édition française: Editions Albatros, 1993.
Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan),
en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton
Press, Lanham MD, USA).
Le caractère paternel de la monarchie médiévale fut
conservé en grande partie par les souverains de la maison d'Autriche,
jusqu'au détrônement des Habsbourg, en 1918.
Le discours du maire de Vienne, qui recevait l'empereur
François Ier quelque temps après la défaite de celui-ci à Wagram (1809),
exprime bien ce côté affectif.
Pour le lecteur moderne non imbu de l'esprit de lutte
de classes, cette page ressemblera davantage à un conte de fées qu'à un
document historique.
Ainsi le transcrit un rapporteur indiscutablement digne
de foi, l'historien autrichien Jean-Baptiste Weiss (1820-1899);
«L'adhésion (du peuple de Vienne) se manifesta plus
chaleureusement à la réception de l'empereur François Ier, après une
accablante occupation de six mois et sept jours. [...]
«Le 26 novembre, les troupes autrichiennes
retournèrent à Vienne; le 27, l'empereur arriva à quatre heures de
l'après-midi. Dès l'aurore, des milliers et des milliers de personnes se
dirigèrent vers le Simmering pour recevoir leur cher empereur. Tout
Vienne était debout, ses habitants comprimés les uns près des autres,
patientant comme des enfants qui attendent un père chéri. Finalement, à
4h, l'empereur se présenta, sans aucune garde, dans une calèche ouverte
et avec l'uniforme de son régiment de hussard, ayant à son côté le
premier majordome, le comte de Wrbna. La terre et l'air paraissaient
trembler sous les clameurs de joie; "Bienvenu à notre père!" Les
mouchoirs ne cessaient de s'agiter.
«Le maire lui adressa quelques mots; "Bien aimé
Prince; quand un peuple en lutte contre l'infortune, souffrant de mille
manières, ne pense qu'aux peines de son Prince, l'amour repose sur le
sentiment le plus profond, ferme et impérissable. Nous sommes ce peuple.
Quand nos enfants tombaient dans la lutte sanglante, quand les balles
incandescentes détruisaient nos maisons, quand les fondations de Vienne
tremblaient sous le fracas des batailles, nous pensions à vous. Prince
et père, nous pensions alors à vous avec un silencieux amour. Car vous
n'avez pas voulu cette guerre. Seule la fatalité de l'époque vous l'a
imposée. Vous avez voulu le mieux. L'auteur de nos peines, ce ne fut pas
vous. Nous savons que vous nous aimez; nous savons que notre bonheur est
votre volonté sacrée et ferme. Souvent nous sentions les bénédictions de
votre bonté paternelle, vous avez marqué votre retour par de nouveaux
bienfaits. Soyez donc, Prince paternel, salué par un amour immuable au
milieu de nous. Il est vrai que le mauvais résultat de la guerre vous a
privé d'une partie de vos sujets. Mais oubliez la douleur de vos pertes
dans l'intime union de vos loyaux serviteurs. Ce n'est pas le nombre,
mais seulement la volonté ferme et constante, l'amour unissant tout, qui
sont les appuis sacrés du trône. Et tous, nous sommes animés de cet
esprit. Nous voulons suppléer à ce que vous avez perdu. Nous voulons
être dignes de notre patrie, car aucun Autrichien n'abandonne son Prince
quand il s'agit d'elle. Les murs qui entourent votre palais auront beau
tomber en ruines, les châteaux les plus solides sont les coeurs de votre
peuple."
«Aucun monarque n'aurait pu recevoir d'accueil plus
chaleureux. François I" ne parvenait à avancer qu'à pas lents. Le peuple
embrassait ses mains, ses vêtements et ses chevaux. Arrivé au palais, il
fut porté jusqu'au haut de l'escalier. Le soir, la ville et le faubourg
étaient illuminés (1).»
(1) J.B. Weiss,
Historia Universal, Tipografia La Educación, Barcelona, 1932, vol. XXI,
p. 768-769.
Une autre réception festive et enthousiaste, organisée
par le peuple d'une autre capitale européenne à un autre prince victime du
malheur —l'accueil donné par la population de Paris au comte d'Artois,
futur Charles X, à son retour d'exil —montre bien l'affection dont le
peuple entourait les représentants des antiques dynasties légitimes et
paternelles.
La voici racontée par l'éminent historien contemporain
Georges Bordonove;
«Monsieur fit son entrée à Paris, le 10 avril 1814,
par la porte Saint-Denis. Témoignage du baron de Frénilly; " Il n'y
avait pas assez de fenêtres, assez de toits pour contenir la foule
enivrée qui s'enrouait à crier. Tout était pavoisé, drapé, tapissé,
fleuri et tous les mouchoirs volaient. C'était un touchant spectacle."
[...]
«Il faisait un temps splendide. Le soleil d'avril
éclairait cette profusion de drapeaux blancs, de fleurs, de visages
rieurs. [...] Les enfants, les jeunes gens s'accrochaient aux grilles.
De braves gens, juchés sur les toits, agitaient leurs chapeaux. Les
tambours battaient. Les chevaux caracolaient sur les pavés. Partout
fusaient, spontanément, les cris de "Vive le Roi! Vive Monsieur!" A
mesure qu'on approchait du centre de Paris, la liesse augmentait,
l'enthousiasme changeait en délire. Monsieur était si bel homme! Il
gardait une telle allure malgré ses cinquante-sept ans! Il portait si
bien l'uniforme bleu aux broderies et aux épaulettes d'argent! Il
montait avec tant d'élégance le superbe cheval blanc qu'on lui avait
procuré! Il avait un regard si fier et plein de bonté en même temps! Il
répondait avec tant de grâce aux saluts! [...]
«Il y avait si longtemps qu'on n'avait point vu de
vrai prince, charmeur et chevaleresque! Il s'avançait ainsi vers Notre
Dame. [...] Monsieur laissait la foule approcher, toucher ses bottes,
ses étriers, l'encolure de son cheval. Cette hardiesse plaisait. Les
maréchaux d'empire le suivaient. Certains s'étaient présentés à lui avec
la cocarde tricolore. D'autres ne cachaient pas leur hostilité. Tous
avaient envie de garder leur place. Monsieur les complimenta. Peu à peu,
ils se laissèrent gagner par l'euphorie générale. Les mouvements, les
cris joyeux de cette foule les déconcertaient. Ils ne comprenaient pas
pourquoi les Parisiens s'engouaient à ce point de ce prince qu'ils ne
connaissaient point la veille. Une mystérieuse étincelle avait électrisé
les coeurs. C'était Monsieur qui l'avait allumée. Il avait le don de
plaire, de séduire les foules comme les particuliers, nous dirions
maintenant; un charisme. Il était tellement conforme à l'image que l'on
se faisait d'un prince, il avait tant de simplicité dans son
comportement, et cette aisance suprême qui ne se peut apprendre, car
elle coule de source... On lui fraya, difficilement, un chemin jusqu'à
Notre-Dame, où l'on avait prévu un Te Deum. Les événements s'étaient
précipités au point que l'on n'avait pas eu le temps de décorer la
cathédrale. On le vit s'agenouiller, prier avec ferveur. Il remerciait
la Providence de lui avoir accordé cette joie d'avoir rendu la France au
trône des lys (2).»
(2) G.
Bordonove, Les Rois qui ont fait la France – Charles X, Ed. Pygmalion,
Paris, 1990, p. 121-123.
L'étincelle qui avait ainsi embrasé l'enthousiasme des
Parisiens au retour de la monarchie légitime avait peut-être sa cause dans
le sentiment, alors général, explicité génialement par Talleyrand dans les
derniers mots de sa lettre au futur Charles X, lors de la première
abdication de Napoléon; «Nous avons assez de gloire, Monseigneur, mais
venez, venez nous rendre l'honneur.»
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