© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et
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Septembre, 1995 |
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Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales
ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir
ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.
PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine
GNP = Allocution à la Garde noble pontificale
Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères
gras par l'auteur.
Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções
de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa,
1993).
Traduit du portugais par Catherine Goyard
1ère édition française: Editions Albatros, 1993.
Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan),
en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton
Press, Lanham MD, USA).
sur la licéité de la guerre
L'aspect combatif et guerrier de l'esprit médiéval
ainsi que le caractère militant de l'Eglise pourront étonner les
«fondamentalistes» du pacifisme contemporain, absolument intolérants
envers toute forme de guerre. Les expressions «guerre sainte» et «guerre
licite» sonnent à leurs oreilles comme radicalement contradictoires.
Il ne sera donc pas superflu de mettre à leur
disposition divers textes de pontifes romains et de penseurs catholiques
du meilleur aloi, où ils pourront voir que cette contradiction n'existe
pas.
Selon l'article «Paix et Guerre» du Dictionnaire
Apologétique de la Foi Catholique, l'enseignement de saint Augustin à ce
sujet peut être condensé en quatre points:
«D'abord, il y a des guerres qui sont justes. Ce sont
celles qui tendent à réprimer, de la part de l'adversaire, une
entreprise coupable.
«Mais la guerre doit être considérée comme un remède
extrême, auquel on ne recourt qu'après avoir reconnu l'évidente
impossibilité de sauvegarder autrement la cause du bon droit. Fût-elle
juste, en effet, la guerre détermine tant et de si affreux malheurs —
mala tam magna, tam horrenda, tam saeva — qu'on ne peut s'y résigner que
contraint par un impérieux devoir.
«Quant au but légitime de la guerre, ce ne sera pas
précisément la victoire, avec les satisfactions qu'elle apporte. Mais ce
sera la paix dans la justice. Ce sera le rétablissement durable d'un
ordre public dans lequel chaque chose soit remise à sa juste place.
[...]
«Enfin, les malheurs de la guerre constituent ici-bas
l'un des châtiments du péché. Même quand la défaite humilie ceux qui
avaient pour eux le bon droit, il faut regarder cette douloureuse
épreuve comme voulue de Dieu pour punir et purifier le peuple des fautes
dont lui-même doit s'avouer coupable (1)»
(1) Yves DE LA
BRIÈRE, «Paix et Guerre», in Dictionnaire Apologétique de la Foi
Catholique, Gabriel Beauchesne Editeur, Paris, 1926, t. III, col. 1260.
Toujours selon la même source, saint Thomas «énonce les
trois conditions qui rendent légitime en conscience le recours à la force
des armes:
«1. Que la guerre soit engagée, non par de simples
particuliers ou par quelque autorité secondaire (ceci contre les
"guerres privées" de l'époque féodale), mais toujours "par l'autorité
qui exerce dans l'Etat le pouvoir suprême";
«2. Que la guerre soit "motivée par une cause juste";
c'est-à-dire que l'on combatte l'adversaire à raison d'une faute
proportionnée qu'il ait réellement commise. [...]
«3. Que la guerre soit conduite "avec une intention
droite"; c'est-à-dire en faisant loyalement effort pour procurer le bien
et éviter le mal dans toute la mesure du possible. [...]
«A la même doctrine de saint Thomas, une
confirmation, indirecte mais éclatante, est donnée dans les bulles
pontificales, dans les décrets conciliaires du Moyen Age, à propos de la
"paix de Dieu", puis de la "trêve de Dieu", ainsi que du règlement
pacifique et arbitral des conflits entre royaumes. Documents qui, par
leur concordance, traduisent la pensée authentique de l'Eglise, l'esprit
général de son enseignement, au sujet des questions morales concernant
le droit de paix et de guerre. [...]
«La pratique des Papes et des Conciles corrobore et
accrédite l'enseignement des docteurs, dont saint Thomas met lui-même en
relief les trois principes fondamentaux (1).»
(1) Yves DE LA
BRIÈRE, «Paix et Guerre», in Dictionnaire Apologétique de la Foi
Catholique, col. 1261-1262.
Sur la licéité de la guerre contre les païens, saint
Bernard, connu sous le titre de Docteur Melliflu, a ces paroles brûlantes:
«Les chevaliers du Christ peuvent avec tranquillité
de conscience combattre le combat du Seigneur, en ne craignant d'aucune
manière ni le péché pour la mort de l'ennemi, ni le danger pour leur
propre mort: car la mort, en ce cas, infligée ou subie pour le Christ,
n'a rien de criminel et souvent apporte avec elle le mérite de la
gloire. Car, avec la première, on obtient la gloire pour le Christ, avec
l'autre on obtient le Christ lui-même. Lequel, sans doute, prend avec
contentement la mort de l'ennemi comme punition; et avec plus de
contentement encore Il se donne aux soldats comme consolation. Le
chevalier du Christ tue avec la conscience tranquille et meurt encore
plus sûr de lui. En mourant, il travaille pour lui-même, en tuant il
travaille pour le Christ. Ce n'est pas sans raison qu'il porte le
glaive: il est ministre de Dieu pour la punition des méchants et
l'exaltation des bons. Quand il tue un malfaiteur, il n'est pas
homicide, mais pour ainsi dire malicide; il faut voir en lui autant le
vengeur qui est au service du Christ que le défenseur du peuple
chrétien. Quand toutefois il est tué, on considère qu'il n'est pas mort,
mais qu'il est parvenu à la gloire éternelle. Par conséquent, la mort
qu'il inflige est un bénéfice pour le Christ; celle qu'il reçoit est un
bénéfice pour lui-même. Dans la mort du païen le chrétien se glorifie
parce que le Christ est glorifié; dans la mort du chrétien la libéralité
du roi se montre quand il exalte le soldat qui mérite d'être récompensé.
Le juste se réjouira quand il verra la punition: "Et l'on dira: oui, il
y a une récompense pour le juste; oui il y a un Dieu qui juge sur la
terre" (Ps.57,12). Les païens, d'ailleurs, ne devraient pas être tués si
l'on pouvait empêcher de quelque autre manière leur très grande vexation
et leur ôter les moyens d'opprimer les fidèles. Mais actuellement il
vaut mieux qu'ils soient tués afin que, de cette manière, les justes ne
se plient pas devant l'iniquité de leurs mains, car sinon se maintiendra
sûrement la verge des pécheurs sur la classe des justes (2).»
(2) SAINT
BERNARD, De laude novae militiae, in Migne P.L., t. 182, col. 924.
Voilà le jugement de saint Bonaventure, le Docteur
Séraphique, sur la question:
«Pour la licéité [de la guerre] il est exigé [...]
que la personne qui déclare la guerre ait de l'autorité, que celui qui
la fait soit un laïc, [...] que celui contre qui on la fait, soit d'une
telle insolence qu'il doive être refréné par la guerre. Une cause
suffisante est: la protection de la patrie, de la paix ou de la foi
(3).»
(3) SAINT
BONAVENTURE, Opera omnia, Vives, Paris, 1867, t. X, p. 291.
Francisco Suarez, S.J., théologien d'autorité reconnue
dans la pensée catholique traditionnelle, s'exprime ainsi dans son fameux
ouvrage De Bello, où il a rassemblé la documentation de l'Eglise sur le
sujet:
«La guerre, en soi, n'est pas intrinsèquement
mauvaise, ni interdite aux chrétiens. C'est une vérité de foi contenue
expressément dans l'Ecriture sainte, car dans l'Ancien Testament on loue
les guerres menées par des hommes très saints: "Béni soit Abraham par le
Dieu Très-Haut, qui a créé le ciel et la terre! Béni soit le Dieu
Très-Haut, qui a livré tes ennemis entre tes mains!" (Gen.14, 1920). On
lit des passages semblables sur Moïse, Josué, Samson, Gédéon, David, les
Machabées et d'autres, auxquels très souvent Dieu ordonnait de faire la
guerre contre les ennemis des Hébreux; saint Paul dit que les saints ont
conquis des empires par la foi. Cela même est confirmé par d'autres
témoignages des Pères cités par Gratien; et aussi par saint Ambroise en
divers chapitres de son livre sur les devoirs (4).»
(4) P.
Francisco SUAREZ, SJ, De Bello, sectio prima, 2, in Luciano PERENA
VICENTE, Teoria de la Guerra en Francisco Suárez, C.S.I.C., Madrid,
1954, vol. H, p. 72, 74.
Une étude approfondie et très bien documentée sur le
droit de l'Eglise de promouvoir la guerre contre les infidèles et les
hérétiques a été publiée, en 1956, sous la signature de Mgr Rosalio
Castillo Lara (5), plus tard élevé au cardinalat. L'ouvrage fournit des
données du plus grand intérêt pour montrer comment l'Eglise, se basant sur
des principes d'ordre juridique et doctrinal, exerçait de facto ce
pouvoir. Quelques passages de l'étude de ce cardinal, qui illustrent bien
l'attitude combative des papes médiévaux, ont été sélectionnés pour cet
appendice.
«Tous les auteurs sont d'accord pour reconnaître à
l'Eglise un droit à la vis armata virtuelle, sans laquelle toute
coercition matérielle serait inutile. Il consiste dans le pouvoir
d'exiger autoritairement de l'Etat l'emploi de sa force armée à des fins
purement ecclésiastiques, autrement dit, ce qu'habituellement on entend
par le recours au bras séculier (6).»
(5) Mgr Rosalio
CASTILLO LARA, Coacción Eclesiástica y Sacro Romano Imperio - Estudio
jurídico-histórico sobre la potestad coactiva material suprema de la
Iglesia en los documentos conciliares y pontificios del periodo de
formación del Derecho Canónico clásico como un presupuesto de las
relaciones entre Sacerdotium e Imperium, Augustae Taurinorum, 1956,
Torino.
(6) ID., ibid.,
p. 69.
A propos des croisades contre les infidèles et de leur
convocation par les papes, on peut lire ceci:
«Les canons conciliaires et les bulles des Croisades
présentent toujours comme leur toute première fin, la reconquête de la
Terre sainte, ou suivant l'époque, la conservation du royaume chrétien
de Jérusalem, fruit de la première Croisade. S'y ajoute ensuite la
volonté de libérer des chrétiens captifs et, en conséquence, de
combattre et confondre l'audace des païens qui insultaient l'honneur et
le nom chrétiens. Dans la conception médiévale, toutes ces finalités
étaient entièrement religieuses. Les motivations, par exemple, pour
amener les fidèles à prendre part aux expéditions étaient toujours de
cette nature; elles tournaient autour d'un concept central: la sainteté
des lieux consacrés par la naissance, la vie et la mort de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui ne peuvent continuer à être profanés
par la présence des infidèles. La chrétienté a un droit acquis et
imprescriptible sur ces terres. [...]
«Ce concept religieux imprègne foncièrement toutes
les expéditions des croisades et prédomine, au moins virtuellement, sur
les autres mobiles politiques ou temporels qui s'y mêlent. [...]
«Célestin III montre comment combattre pour la Terre
sainte est servir le Christ, ce à quoi sont obligés ses fidèles: "Ecce
qui nunc cum Christo non fuerit, juxta Evangelicae auctoritatis
doctrinam ipse erit adversus" — qui maintenant ne se déclare pas pour
Jésus-Christ sera, comme le proclame avec autorité la doctrine de
l'Evangile, son ennemi.
«Les bulles d'Innocent III sur ce sujet sont très
nombreuses et leur finalité ne s'écarte pas de la ligne traditionnelle:
la croisade tend "ad expugnandam paganorum barbariem et haereditatem
Domini servandam ad vindicandam injuriam crucifixi, ad defensionem
Terrae nativitatis Domini" — à renverser la barbarie des païens,
conserver l'héritage du Seigneur, et venger l'injure faite au Crucifié,
en défendant la Terre où le Seigneur est né.
«Néanmoins Innocent III préfère un terrain plus
concret et donne une nouvelle formulation aux motivations
traditionnelles en plaçant l'obligation des chrétiens de participer à la
Croisade sur un plan presque juridique: le devoir de vasselage qui lie
les chrétiens à leur roi, Jésus-Christ.
«Dans une lettre au roi de France, il explique: "De
même que ce serait un crime de lèse-majesté pour un vassal de ne pas
aider son suzerain expulsé de sa terre et peut-être captif, similiter
Jesus Christus Rex regnum et Dominus dominantium [...] de ingratitudinis
vitio et veluti infidelitatis crimine te damnaret, si ei ejecto de terra
quam pretio sui sanguinis comparavit et a Sarracenis in salutiferae
crucis ligno quasi captivo detento negligeris subvenire" — de même
Jésus-Christ, Roi des rois et Seigneur des seigneurs [...] te
condamnerait pour le péché d'ingratitude et comme coupable du crime
d'infidélité si tu négligeais de venir à son aide, alors qu'Il est
expulsé de la terre achetée au prix de Son sang et qu'Il est retenu
prisonnier par les Sarrasins sur le bois salutaire de la Croix.
Honorius III souligne l'injure et le déshonneur que
représente pour le Christ et les chrétiens la possession de la Terre
sainte par des sarrasins impies et blasphémateurs. C'est là un motif
suffisant pour prendre les armes. [...]
«Le devoir de vasselage est si strict, et l'injure au
Christ doit mouvoir les chrétiens de telle façon, que celui qui se
montrerait négligeant, pourrait bien craindre pour son salut éternel.
[...]
«Innocent IV considère la libération de la Terre
sainte comme une oeuvre strictement ecclésiastique à laquelle les
prélats sont principalement tenus, étant donné qu'elle apportera une
grande augmentation de la foi catholique. [...]
«Grégoire X déclarait qu'il ne visait pas autre chose
que la libération de la Terre sainte qu'il considérait comme le
principal objectif de son pontificat. [...]
«En conclusion: pour la pensée officielle de
l'Eglise, les Croisades étaient une oeuvre sainte, de caractère
strictement religieux. [...] Elle tombait par conséquent dans le domaine
de l'Eglise, qui prenait presque toujours l'initiative de les
promouvoir, contrôler et diriger de son autorité (7).»
(7)
Mgr Rosalio CASTILLO LARA, Coacción Eclesiástica y Sacro Romano Império,
etc., p. 85- 89.
Les ordres militaires ont constitué le bras armé de
l'Eglise. Voici comment l'érudit cardinal discourt à leur sujet dans son
ouvrage:
«Les ordres militaires sont une fidèle expression de
ce qu'on pourrait considérer comme la vis armata ecclésiastique.
En effet, leurs membres étaient en même temps soldats et moines. Comme
religieux, ils professaient les trois voeux traditionnels sous une règle
approuvée par le Saint Siège. Comme soldats, ils formaient une armée
permanente disposée à entrer en bataille partout où les ennemis de la
religion chrétienne menaçaient. La finalité ecclésiastique à laquelle
ils se proposaient exclusivement et la dépendance du Saint Siège où les
plaçait leur voeu d'obéissance faisaient d'eux les soldats de l'Eglise.
«En tant qu'institution, ils étaient des religieux
laïcs [non prêtres] consacrés à la guerre en défense de la foi. Ce fait
d'avoir inséré dans le cadre des institutions purement ecclésiastiques
un corps de soldats, révèle chez l'Eglise l'intime conscience de
posséder un pouvoir suprême coercitif matériel, duquel participaient,
comme délégués, ces moines guerriers.
«Il n'y a pas d'autre manière d'expliquer
l'approbation de ces ordres. En les approuvant, l'Eglise les rendait
strictement siens et sanctifiait la fin à laquelle, par profession, les
chevaliers devaient tendre. Cette fin n'était autre que la guerre (8).»
Sur la licéité de la guerre, le cardinal ajoute encore:
«Quand les pontifes lançaient l'appel à la Croisade,
quand ils encourageaient les soldats et prenaient leur haute direction,
ils ne se posèrent jamais le problème de l'incompatibilité de la guerre
avec l'esprit de l'Eglise, ils ne se demandèrent jamais s'ils avaient le
droit d'organiser des armées et de les lancer contre les infidèles.
[...] Les papes en conséquence non seulement ne le considéraient pas
illicite, mais ils avaient la conscience d'exercer ainsi un pouvoir qui
leur appartenait: le suprême pouvoir coercitif matériel; ils ne
songeaient pas le moins du monde à envahir par là la sphère temporelle
qu'ils savaient réservée seulement à l'Etat (9).»
(8) ID., ibid.,
p. 109-110;
(9 ) ID., ibid., p. 115.
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