Discours du Pape Pie XII aux participants au congrès des « États Généraux du Folklore »
Dimanche 19 juillet 1953
Régis de L’Estourbeillon, fondateur de l’Union régionaliste bretonne en costume glazig avec bragoù bras, 1904 (Wikipedia – free)
C’est avec un intérêt tout particulier que Nous saluons aujourd’hui les groupes qui, après avoir participé au Festival International du Folklore à Nice, sont venus jusqu’ici pour Nous témoigner leur déférent hommage.
S’il n’est pas rare de voir se dérouler en cette ville de Rome des congrès internationaux de caractère religieux, social ou scientifique, si l’on y rencontre par ailleurs des pèlerins de toutes les parties du monde qui évoquent, au gré des rencontres, tel ou tel aspect de leur pays d’origine, il est moins fréquent d’y assister à des manifestations comme celle à laquelle vous êtes conviés. Un Festival de ce genre, surtout lorsqu’il est organisé par les « Etats-Généraux du Folklore », ne donne-t-il pas l’idée d‘une rencontre vraiment sympathique entre les peuples et groupes ethniques les plus divers, fiers de leurs traditions nationales ou régionales, riches de tout un passé d’histoire et de culture ? On peut alors admirer ce que l’art populaire a produit de plus original et parfois de plus profond, des chefs d’œuvre de finesse et de grâce, pour la joie et le profit de ceux qui y assistent ou, mieux encore, y prêtent leur active collaboration.
Voici donc que vous apportez à Rome quelques-unes des meilleures traditions du patrimoine culturel de l’Angleterre, des Antilles, d’Espagne, de France, de l’Union Française et d’Italie. Nous vous félicitons parce que vous représentez à Nos yeux tant de peuples qui Nous sont chers et parce que vous n’avez pas épargné votre peine pour faire honneur à votre patrie.
Lorsqu’ils entendent parler de folklore, beaucoup pensent à quelque survivance des temps anciens, digne sans doute d’être mise en valeur dans des occasions exceptionnelles mais sans grand intérêt pour la vie d’aujourd’hui. Qu’une telle idée soit assez répandue, dénonce une des conséquences plutôt regrettables de la civilisation de ce siècle.
Trop souvent la société moderne arrache l’homme à son milieu naturel pour le transplanter dans la ville ou l’expatrier. Elle le met au service de vastes complexes industriels ou d’immenses administrations ; elle le groupe dans des agglomérations inorganiques selon la localisation des moyens de production. Même quand elle ne démembre pas la famille, elle l’enlève au sol, où les générations précédentes l’avaient fixée. Sans doute, il s’agit là d’une réalité dont la société, provisoirement du moins, doit s’accommoder.
Mais, Nous l’avons souligné au début de cette année en parlant aux élèves des écoles populaires, la profession et ses exigences ne constituent pas exclusivement l’essentiel de l’activité de l’homme. Au-dessus de la profession, il est d’autres tâches qui mettent en œuvre les ressources personnelles d’esprit et de cœur, qui exaltent les sentiments profonds, ceux qui se rattachent aux évènements majeurs de l’existence et aussi ces joies et ces tristesses qui rythment de leurs alternances les épisodes de notre labeur quotidien. Ces sentiments aspirent à s’extérioriser, à se traduire sur le plan social.
Mais la civilisation qui impose à l’être humain les lois de la machine, menace aussi de violenter le cours normal de ses loisirs ; elle créera trop facilement le plaisir artificiel, égoïste et banal, le plaisir tout fait qui ne demande aucun effort, aucune initiative, qui replie l’individu sur lui-même au lieu de l’épanouir dans la société.
Des robes typiques dans la valée de Hérens (canton Valais, Suisse)
C’est ici que le folklore prend sa véritable signification. Dans une société qui ignore les traditions les plus saines et les plus fécondes, il s’efforce de garder une continuité vivante, non point imposée du dehors, mais issue de l’âme profonde des générations, qui y reconnaissent l’expression de leurs aspirations propres, de leurs croyances, de leurs désirs et de leurs regrets, les souvenirs glorieux du passé et les espérances d’avenir.
Les ressources intimes d’un peuple se traduisent tout naturellement par l’ensemble de ses usages, par des récits, légendes, jeux et cortèges, où se déploient la splendeur des costumes et l’originalité des groupes et des figures.
Les âmes restées en contact permanent avec les dures exigences de la vie possèdent souvent d’instinct un sens artistique qui, d’une matière simple, parvient à tirer de magnifiques réussites. En ces fêtes populaires, où le folklore de bon aloi a la place qui lui revient, chacun jouit du patrimoine commun et s’y enrichit plus encore, s’il consent à y apporter sa part.
Mais il ne faut pas perdre de vue que, dans les pays chrétiens, ou qui le furent jadis, la foi religieuse et la vie populaire formaient une unité comparable à l’unité de l’âme et du corps. Là où cette unité s’est aujourd’hui dissoute, là où la foi s’est alanguie, les traditions populaires, privées de leur principe vital, se maintiendront-elles et se renouvelleront-elles, fût-ce artificiellement ? Dans les régions où cette unité se conserve encore, le folklore n’est donc pas une survivance curieuse d’une époque révolue, mais une manifestation de la vie actuelle qui reconnaît ce qu’elle doit au passé, tente de le continuer et de l’adapter intelligemment aux situations nouvelles.
Grâce à l’activité des groupes folkloriques, de précieuses coutumes se maintiennent ou revivent. Aussi ne pouvons-Nous que louer ceux qui, avec compétence et dévouement, s’appliquent à les aider, à diriger leurs efforts, à stimuler leurs initiatives et tous ceux qui leur apportent une collaboration directe.
Galerie de costumes en usage au XIXe siècle publiée dans Geschichte des Kostüms d’Adolph Rosenberg (1905) – Wikipedia free
Puissiez-vous pénétrer toute la portée de votre rôle social : rendre aux hommes saturés de divertissements bien souvent falsifiés et mécanisés le goût d’un délassement riche des valeurs humaines les plus authentiques. Sans doute cela demande un effort réel et persévérant, mais n’est-ce pas le moyen de pénétrer la densité et les ressources de vos traditions locales ou nationales ? Vous contribuez ainsi à accroître et à diffuser, pour le plus grand profit de vos contemporains, le trésor rassemblé par le travail patient de ceux qui vous ont précédés.
Vous gardez alerte l’âme de votre peuple en la préservant de la paresse culturelle, signe de dégénérescence d’un organisme social. En même temps, vous vous rendez plus aptes à apprécier les formes propres d’autres cultures, à en deviner le sens profond, à en percevoir les qualités originales. L’estime réciproque, qui naîtra d’une telle attitude, ne manquera pas de seconder puissamment les efforts de ceux qui tentent d’assurer l’unité des peuples par les traités et conventions économiques, sociales et politiques.
Que la Divine Providence étende Sa protection sur vos personnes et vos activités ; qu’Elle garde vos familles et tous ceux qui vous sont chers !
Habillement traditionnel de jeunes filles à Lorette (Italie)
Discours et Messages-radio de S.S. Pie XII, XV, Quinzième année de pontificat, 2 mars 1953 – 1er mars 1954, pp. 219-221, Typographie Polyglotte Vaticane.