Folha de S. Paulo, le 12 mars 1969
par Plinio Corrêa de Oliveira
Lorsqu’il est question de tradition, beaucoup de gens pensent à l’Angleterre, à la Reine, à la Chambre des lords, aux Rolls Royce, aux chapeaux haut-de-forme, à la distinction et au flegme britanniques…
L’ensemble de toutes ces impressions provoques des réactions divergentes dans l’esprit des gens.
Nombre de personnes voient la tradition sous des couleurs différentes à mesure que le temps passe, dépendant des diverses impressions que le style de vie en cours laisse chez elles. Quelquefois, la bousculade des grandes villes modernes les fascine. Elles s’extasient devant les organismes colossaux, la planification cyclopéenne et la technologie moderne qui permettent à la science-fiction de devenir réalité. A ce stade-ci, la tradition leur semble un recul regrettable.
Au milieu de l’ouragan qui est en train de renverser toutes les hiérarchies et de bannir tous les vêtements, la tradition leur semble un joug suffocant. Toutefois, devant la vulgarité ostentatoire d’un monde sans cesse plus égalitaire; devant le rythme trépidant et frénétique de la vie quotidienne; lorsque l’instabilité menaçante de toutes les institutions, de tous les droits, de toutes les situations causent des névroses, de l’angoisse et du stress chez millions de nos contemporains, alors seulement la tradition devient pour eux un repos élevé pour l’âme, un gage d’ordre et de bon sens. Bref, l’art du savoir-vivre.
La question qui se pose est donc celle-ci : que faire de la tradition ? Que devons-nous penser de ces moments de nostalgie et de ces longs jours de frénésie, si semblables aux accès de faim et de perte d’appétit que l’on observe chez certains malades ? Beaucoup de personnes ne savent comment résoudre le dilemme spirituel subtil et passager qui déchire parfois leur âme à propos de cette question. Ils fuient donc ce problème. Naturellement, leur fuite les amène à bâtir un mur de silence autour de ce sujet. Mais, généralement, ce silence ne signifie pas de l’indifférence. Au contraire, il est le résultat à la fois de la perplexité et de l’hypersensibilité. Le sujet est trop douloureux. N’est-ce pas préférable de l’esquiver et d’aller boire quelque chose ?
La pourpre des étendards de la TFP, avec son lion rugissant, levé dans tant de villes à travers le monde, nous invite à ne pas nous décourager et à ne pas éluder lâchement la question, mais plutôt à la résoudre. Ceci afin d’acquérir cette paix intérieure que seule la vérité peut nous donner entièrement et qu’aucune boisson au monde est capable de nous procurer.
Pourquoi notre étendard provoque-t-il des réactions beaucoup plus véhémentes que l’emblème de n’importe quel autre parti ou association ? Pourquoi suscite-t-il des sympathies et des antipathies de tout genre, tels ceux qui le baisent remplis d’admiration ou le regardent comme s’ils lui chantaient un hymne de louange, tels ceux aussi qui essaient haineusement de le faire tomber au sol et de le déchirer ? Je pense que, en grande partie, c’est précisément parce qu’il soulève ce problème dont nous parlons ici.
Que représente-t-il cet étendard ? Que le passé aurait dû subsister ? Ou, au contraire, que toutes les choses du présent doivent être acceptées ? L’étendard de la TFP ne fuit pas ce problème. Il le nie. Il nie l’énoncé selon lequel la tradition ne se limite qu’au passé et qu’elle n’a pas de place dans le présent. En principe, la vraie tradition n’est ni pour le passé comme tel ni pour le présent comme tel. Elle présuppose deux principes : a) que toute civilisation authentique et vivante porte en son sein une impulsion continuelle vers l’amélioration et la perfection; b) que, pourtant, le vrai progrès ne consiste pas à détruire mais à ajouter, qu’il n’est pas de briser mais d’aller jusqu’au sommet.
En un mot, la tradition est la somme du passé et d’un présent qui a de l’affinité avec lui. Le jour présent ne doit pas être la négation d’hier, mais plutôt sa continuation harmonieuse.
Concrètement, notre tradition chrétienne est une valeur incomparable qui doit régir le présent. Par exemple, elle fait que l’égalité entre les hommes ne soit pas comprise comme l’abolition des élites et comme l’apothéose de la vulgarité; que la liberté ne serve pas de prétexte pour le chaos et la dépravation; que le dynamisme ne devienne pas frénétique; que la technologie ne vienne pas à asservir l’homme. Bref, elle évite que le progrès ne devienne inhumain, insupportable, odieux.
La tradition n’est pas un étouffement pour le progrès. C’est une protection pour qu’il n’aille pas si absurdement loin qu’il devienne une barbarie organisée. Cette barbarie mécanisée d’aujourd’hui, contre laquelle s’en élève une autre, échevelée et furieuse celle-là : le punkisme.
Note: L’article ci-dessus a été traduit et publié par TFP Informe, Montréal, Mai-Juin 1987, page 3.