Lettre Pastorale sur les problèmes de l’apostolat moderne

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Armoiries de Mgr Antônio de Castro Mayer, évêque de Campos, Rio de Janeiro (*)

 

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Dom Antonio de Castro Mayer
Par la miséricorde de Dieu et du Saint-Siège apostolique, évêque de Campos
Au Révérendissime clergé séculier et régulier.
Salutation, paix et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Fils bien-aimés et zélés coopérateurs,

 

De tous les devoirs qui incombent à l’évêque, aucun ne surpasse en importance celui de prodiguer aux brebis qui lui ont été confiées par l’Esprit-Saint la nourriture salutaire de la vérité révélée.
Cette obligation est particulièrement urgente de nos jours. Car l’immense crise dans laquelle se débat le monde, résulte, en dernière analyse, du fait que les pensées et les actions des hommes ont été dissociées des enseignements et des normes tracés par l’Église ; et seul un retour de l’humanité à la vraie foi pourra porter remède à cette crise.
Il importe, en effet, au plus haut degré, de lancer, unies et disciplinées, toutes les forces catholiques, toute l’armée pacifique du Christ-Roi, à la conquête des peuples qui gémissent dans les ombres de la mort, leurrés par l’hérésie ou par le schisme, par les superstitions du paganisme antique ou par les multiples idoles du néopaganisme moderne.
Pour que cette offensive générale, tant désirée par les souverains pontifes, soit efficace et victorieuse, il convient que les propres forces catholiques demeurent immunes des erreurs qu’elles doivent combattre. La préservation de la foi parmi les fils de l’Église est donc une mesure nécessaire et souveraine pour l’intronisation du règne du Christ sur la terre.
L’histoire nous enseigne que la tentation contre la foi, toujours la même en ses éléments essentiels, se présente, à chaque époque, sous un aspect nouveau. L’arianisme, par exemple, qui exerça une si grande force de séduction au IVe siècle, aurait peu intéressé l’Européen frivole et voltairien du XVIIIe ; et l’athéisme déclaré et radical du XIXe siècle aurait eu de faibles chances de succès au temps de Wiclef et de Jean Huss.
En outre, la tentation contre la foi a l’habitude d’agir avec une intensité différente à chaque génération. Elle parvient à entraîner l’une totalement vers l’hérésie. A l’autre, sans l’arracher d’une manière formelle et déclarée au giron maternel de l’Église, elle insuffle son esprit, en sorte que, chez beaucoup de catholiques, qui récitent correctement les formules de la foi et croient, parfois sincèrement, adhérer sans restriction aux enseignements du magistère ecclésiastique, le cœur bat sous l’influx de doctrines condamnées par l’Église.
C’est là un fait d’expérience courante. Combien de fois observons-nous au tour de nous des catholiques, jaloux de leur condition de fils de l’Église, ne perdant aucune occasion de proclamer leur foi, et qui, dans le même temps, par leur manière de considérer les idées, les coutumes, les événements, tout ce que la presse, le cinéma, la radio ou la télévision diffusent journellement, ne se différencient en rien des sceptiques, des agnostiques, des indifférents ! Ils récitent correctement le Credo et, au moment de la prière, se montrent des catholiques irréprochables, mais l’esprit qui, consciemment ou non, les anime en toutes les circonstances de la vie, est agnostique, naturaliste, libéral.
Comme on le voit, il s’agit là d’âmes divisées par des tendances contraires. D’une part, elles éprouvent en elles la séduction de l’ambiance du siècle. D’autre part, elles conservent encore, peut-être par héritage familial, quelque chose du pur, immuable et inextinguible éclat de la doctrine catholique. Et, comme tout état de division intérieure est antinaturel à l’homme, ces âmes essayent de rétablir l’unité et la paix en elles, en amalgamant en un seul corps de doctrine les erreurs qu’elles admirent et les vérités avec lesquelles elles ne veulent pas rompre.
Cette tendance à concilier les extrêmes inconciliables, à trouver une ligne médiane entre la vérité et l’erreur, s’est manifestée depuis les origines de l’Église.
Déjà, le divin Sauveur en avait averti ses apôtres : « Nul ne peut servir deux maîtres » (Mt 6, 24). L’arianisme condamné, cette tendance donna naissance au semi-arianisme. Le pélagianisme condamné, elle engendra le semi-pélagianisme. Le protestantisme ayant été foudroyé au concile de Trente, elle suscita le jansénisme. C’est d’elle également que naquit le modernisme, condamné par saint Pie X, monstrueux confluent de l’athéisme, du rationalisme, de l’évolutionnisme, du panthéisme, école d’apostasie résolue à poignarder traîtreusement l’Église. La secte moderniste avait pour objectif, tout en demeurant dans son sein, de fausser, par des arguties, des sous-entendus et des réserves, la véritable doctrine, qu’extérieurement elle feignait d’accepter.
Cette tendance n’a nullement cessé ; on peut même dire qu’elle fait partie de l’histoire de l’Église. C’est ce que l’on déduit des paroles du souverain pontife glorieusement régnant, dans son discours aux prédicateurs du carême à Rome, en 1944 : « Un fait, qui toujours se répète dans l’histoire de l’Église, est que, lorsque la foi et la morale chrétienne s’opposent à de forts courants contraires d’erreurs ou d’appétits viciés, surgissent des tentatives pour vaincre les difficultés au moyen de quelque compromis arrangeant, ou pour les esquiver, ou encore pour fermer les yeux sur elles » (AAS 36, page 73).
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Que, si vous alertez vos paroissiens contre le spiritisme, le protestantisme ou l’athéisme, chers fils et coopérateurs bien-aimés, nul ne s’en étonnera. Mais, dans cette Lettre pastorale, nous vous incitons à dénoncer les opinions qui, chez les catholiques eux-mêmes, corrompent, très souvent, l’intégrité de la foi. Serez-vous, sur ce point également, bien compris ?
Il pourra sembler à beaucoup, même parmi les plus pieux, que vous perdez votre temps, car il leur sera difficile de comprendre pourquoi vous vous épuisez à perfectionner la foi que quelques-uns possèdent déjà tant bien que mal, alors qu’il vaudrait mieux chercher à convertir ceux qui se trouvent hors de l’Église dans l’attente de votre apostolat. Il leur paraîtra que vous comblez de trésors superflus celui qui est déjà riche, tandis que vous laissez sans pain celui qui meurt de faim.
D’autres se figureront que vous êtes imprudents, car, la profession de catholique étant déjà si méritoire en un siècle tellement hostile, vous courrez le risque de perdre jusqu’aux meilleurs si vous ne vous contentez pas de telle ou telle adhésion aux lignes générales de la foi, sans surcharger les fidèles de minuties irritantes.
Il est de toute importance, fils bien-aimés et très chers coopérateurs, que vous éclairiez préalablement vos paroissiens sur ces deux objections. Car, sinon, votre action sera peu efficace et, à cause du malheur des temps dans lesquels nous vivons, votre zèle sera mal compris. Il ne manquera pas de gens qui y verront, non un mouvement naturel de l’Église, qui, par ses meilleurs ouvriers et modèles, rejette, en tant qu’organisme vivant, tout corps étranger, mais, au contraire, l’action inintelligente et obstinée de paladins exaltés.
Ainsi, avant tout, montrez que, par sa nature propre, la foi ne se contente pas de ce que quelques-uns appellent ses lignes générales, mais exige l’intégrité et la plénitude de soi.
Afin de vous faire comprendre, donnez en exemple la vertu de chasteté. A son sujet, toute compromission prend un caractère d’une sombre souillure, et toute imprudence la met tout entière en péril. On a pu comparer l’âme pure à une personne debout sur une sphère ; tant qu’elle conserve sa position d’équilibre, elle n’a rien à redouter ; mais la moindre imprudence de sa part la fera rouler au fond de l’abîme. C’est pourquoi les moralistes et les auteurs spirituels sont unanimes à affirmer que la condition essentielle, pour se maintenir dans la vertu angélique, consiste en une vigilante et intransigeante prudence.
Avec justesse, on peut en dire tout autant en matière de foi. Tant que le catholique se tient en position d’équilibre parfait, sa persévérance sera assurée et facile. Ce point d’équilibre, pourtant, ne consiste pas en une acceptation approximative de la foi, dans ses lignes générales ; elle est la profession claire et totale de la doctrine de l’Église, proclamation faite non du bout des lèvres, mais de toute son âme. Cette profession du catholique implique l’acceptation loyale et cohérente, non seulement de ce que le magistère enseigne, mais encore de toutes les conséquences logiques de cet enseignement. Il est nécessaire, en effet, que le fidèle possède cette foi vive par laquelle il puisse soumettre sa raison personnelle devant le magistère infaillible, et discerner avec pénétration tout ce qui, directement ou indirectement, s’oppose à l’enseignement de l’Église. Mais viendrait-il à abandonner, si peu que ce soit, cette position d’équilibre parfait, il commencerait à sentir l’attraction de l’abîme. C’est pourquoi, mû par la prudence et dans l’intérêt du troupeau à Nous confié, Nous vous adressons, fils bien-aimés, cette Lettre pastorale sur l’intégrité de la foi.
A cet égard, il convient d’insister encore sur un point souvent oublié de la doctrine de l’Église. Qu’on ne pense pas qu’une foi aussi éclairée et robuste soit le privilège des savants, de telle sorte qu’on ne puisse recommander qu’à ceux-ci la position d’équilibre idéal décrite ci-dessus. La foi est une vertu et, dans la sainte Église, les vertus sont accessibles à tous les fidèles, ignorants ou savants, riches ou pauvres, maîtres ou disciples. L’hagiographie chrétienne le prouve. sainte Jeanne d’Arc, ignorante bergerette de Domrémy, confondait ses juges par la sagacité avec laquelle elle répondait aux arguties théologiques dont ils se servaient pour l’induire dans des propositions erronées et justifier ainsi sa condamnation à mort. Saint Clément-Marie Hofbauer, au XIXe siècle, humble travailleur manuel, qui assistait, par goût, au cours de théologie de l’illustre université de Vienne, discernait dans un de ses maîtres le ferment maudit du jansénisme, qui échappait au discernement de tous ses élèves et des autres professeurs. « Je vous rends grâces, ô Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits » (Lc X, 21).
Pour que nous ayons un peuple ferme et logique dans sa foi, il n’est pas nécessaire que nous en fassions un peuple de théologiens. Il suffit que celui qui aime profondément l’Église s’instruise des vérités révélées selon son niveau de culture générale et possède les vertus de pureté et d’humilité nécessaires pour réellement croire, comprendre et goûter les choses de Dieu. De même, pour que nous ayons un peuple vraiment pur, il n’est pas nécessaire de faire de chaque fidèle un moraliste. Les principes fondamentaux et les connaissances élémentaires à la vie courante, dictés, en grande partie, par la conscience chrétienne bien formée, sont suffisants. C’est ainsi que nous voyons, très souvent, des personnes ignorantes avoir un jugement, une prudence et une élévation d’âme supérieurs à ceux de bien des moralistes de science consommée.
Ce que nous venons de dire de la persévérance d’une personne s’applique également à la persévérance des peuples. Quand la population d’un diocèse possède l’intégrité de l’esprit catholique, elle est à même d’affronter, avec l’aide de la grâce de Dieu, les assauts de l’impiété. Mais, lorsque personne ne la possède, lorsque pas même les personnes habituellement considérées comme pieuses n’aiment et ne recherchent cette intégrité, que penser d’une telle population ?
En lisant l’histoire, on ne comprend pas comment certains peuples, dotés d’une hiérarchie nombreuse et éclairée, d’un clergé instruit et influent, d’institutions d’enseignement et de charité illustres et riches, comme la Suède, la Norvège et le Danemark au XVIe siècle, purent glisser, d’un moment à l’autre, de la profession entière et tranquille de la foi catholique, à une hérésie ouverte et formelle, et cela presque sans résistance, et, à dire vrai, presque imperceptiblement. Quelle est la raison d’un aussi grand désastre ? Quand la foi vint à sombrer dans ces pays, elle ne dépassait déjà plus, dans la plupart des âmes, les formules extérieures, répétées sans amour et sans conviction. C’est ainsi qu’un simple caprice royal suffit à abattre l’arbre touffu et séculaire. La sève ne circulait déjà plus, depuis longtemps, dans les feuilles ni dans le tronc. Déjà dans ces régions n’existait plus l’esprit de foi.
C’est ce que comprit avec une angélique lucidité le bienheureux Pie X, dans sa lutte vigoureuse contre le modernisme. Pasteur très clément, il illumina l’Église de Dieu par le suave éclat de sa céleste mansuétude. Il ne craignit pas, cependant, de dénoncer les auteurs de l’erreur moderniste au sein même de l’Église et de les signaler à l’exécration des bons par ces paroles véhémentes : « Il ne s’écartera pas de la vérité, celui qui les considérera [les modernistes] comme les ennemis les plus dangereux de l’Église. » (Encyclique Pascendi)
Nous pouvons juger combien fut douloureux au très doux pontife l’emploi de tant d’énergie. Mais ses contemporains ne manquèrent pas de reconnaître l’insigne service qu’il rendait ainsi à l’Église. A cet égard, le grand cardinal Mercier affirma que si, au temps de Luther et de Calvin, l’Église avait compté des papes de la trempe de Pie X, il est douteux que l’hérésie protestante eût réussi à détacher de la véritable Église un tiers de l’Europe. Pour toutes ces raisons, bien-aimés coopérateurs, voyez combien il importe de veiller, avec le plus grand zèle, à maintenir dans la plénitude de la foi et de l’esprit de foi, les fils de la sainte Église.
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Montrez également combien se trompent ceux qui supposent que le temps et les efforts employés à perfectionner dans la foi les fidèles sont, pour ainsi dire, dérobés aux infidèles. Avant tout, par votre exemple et vos paroles, vous pouvez prouver que ces deux attitudes ne sont, en aucune façon, incompatibles : Oportet hæc facere et illa non omittere [Il faut faire ceci et ne pas omettre cela]. De plus, l’intégrité de la foi produit parmi les catholiques tant de fruits de vertu et répand si vivement dans l’Église la bonne odeur de Jésus-Christ qu’elle attire efficacement à elle les infidèles, en sorte que le bien fait aux fils de l’Église profitera forcément à ceux qui se trouvent hors du bercail. Enfin, un des fruits de la ferveur de la foi sera, nécessairement, le zèle apostolique. Multiplier les apôtres, qu’est-ce sinon faire du bien aux infidèles ?
Ainsi donc, nous ne pouvons accepter cette dissociation entre le temps consacré aux fidèles et celui consacré aux infidèles ; comme si notre divin Sauveur, en formant ses apôtres et disciples, avait perfectionné un groupe de privilégiés et s’était désintéressé du salut du reste de l’humanité !
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Que l’exemple lumineux du vicaire du Christ vous encourage à agir ainsi ! Aucun pape, sans doute, n’a dû affronter d’aussi nombreux et puissants ennemis hors de l’Église. Cependant, il ne néglige pas les « erreurs qui serpentent parmi les fidèles » (Encyclique Mystici Corporis, AAS 35, p. 197) et, contre elles, il nous met en garde par une série de documents, tels l’encyclique Mediator Dei, la Constitution apostolique Bis sæculari die, l’encyclique Humani generis et, plus récemment, l’allocution aux religieuses (15 septembre 1952), dans laquelle il rend, en grande partie, responsables de la diminution des vocations, certains écrivains catholiques, ecclésiastiques et laïques, qui faussent la doctrine catholique en ce qui concerne la prééminence du célibat sur l’état matrimonial. Et plus particulièrement, à l’égard du Brésil, le zèle du Saint-Siège, face aux problèmes internes de l’Église, se manifeste avec évidence dans la Lettre de la sacrée congrégation des Séminaires et des universités, dont nous vous recommandons beaucoup la lecture attentive.
En vous efforçant de maintenir parmi les fidèles l’esprit traditionnel de la sainte Église, vous devez veiller à ce qu’il ne soit aucunement dévié de son sens authentique. Dans la présente Lettre pastorale, nous considérons, poussé à l’extrême, l’esprit de conciliation avec les erreurs de notre époque. Or, à cette mauvaise propension, peut s’opposer une erreur symétrique contraire. Il importe de montrer laquelle.
Il n’y a pas lieu de craindre un excès dans l’esprit traditionnel. Car cet esprit est un des éléments essentiels de la mentalité catholique, de ce qu’on appelle avec raison : le sens catholique. Or le sens catholique constitue, en soi, l’excellence même de la vertu de foi. Craindre que quelqu’un possède trop le sens catholique équivaudrait à craindre qu’il ait une foi trop excellente ! Il convient d’éviter que cet esprit de foi soit mal compris, résultant plus en un attachement à la forme extérieure, à l’apparence pure, au simple rite, au lieu d’une adhésion à l’esprit qui anime et explique la forme, l’apparence et le rite. Les exagérations de cette nature sont possibles ; elles ne méritent pas cependant, dans votre devoir de vigilance, une place aussi importante que l’abusive propension à la nouveauté et l’aversion systématique au traditionnel. C’est cela que sagement a voulu faire sentir la sacrée congrégation des Séminaires dans sa Lettre à l’épiscopat brésilien : « Le danger le plus urgent aujourd’hui, n’est pas celui d’un attachement trop rigide et exclusif à la tradition, mais, principalement, celui d’un goût excessif et sans prudence pour toutes les nouveautés qui paraissent, quelles qu’elles soient » (AAS 42, page 837). Et la sacrée congrégation ajoute avec clairvoyance : « C’est certainement au snobisme des nouveautés que se doit le foisonnement des erreurs, cachées sous une apparence de vérité et, le plus souvent, sous une terminologie prétentieuse et obscure » (ibid., page 939).
Un exemple de mauvaise compréhension de l’esprit de tradition peut se montrer dans l’archaïsme auquel fait allusion le Saint-Père Pie XII dans l’encyclique Mediator Dei. Par attachement excessif au rite et à la forme antiques, du seul fait qu’ils sont antiques, certains liturgistes prétendent restaurer l’autel en forme de table et autres pratiques de l’Église primitive 2. Comme si, tout au long de l’histoire, l’esprit de l’Église n’avait pu s’exprimer peu à peu, par des formes nouvelles et des rites nouveaux, selon les diversités des temps et des lieux.
Les extrêmes se touchent et les excès les plus opposés se coalisent bien facilement contre la vérité. Le danger de cet esprit traditionnel mal compris, vous le rencontrez, la plupart du temps, parmi les propres fauteurs de nouveautés tels que Luther, Jansénius, les promoteurs du faux concile de Pistoie et, dans notre siècle, les modernistes.
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Expliquez bien aux fidèles qui sont sous votre garde, chers coopérateurs, la genèse de ces erreurs. D’un côté, elles naissent de la propre faiblesse de la nature humaine déchue. La sensualité et l’orgueil ont toujours suscité et susciteront jusqu’à la fin des siècles la révolte de certains fils de l’Église contre la doctrine et l’esprit de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Déjà, saint Paul avertissait les premiers chrétiens contre ceux qui, parmi eux, allaient « s’élever pour proférer des doctrines perverses dans l’intention d’entraîner les disciples derrière eux » (Ac 20, 30), « vains discoureurs et séducteurs » (Tt 1, 10) « qui progresseront dans le mal, égarant et entraînant les autres dans les erreurs » (2 Tm 3, 13).
Quelques-uns semblent penser qu’au cours des derniers siècles, les progrès de l’Église ont été tels que, déjà, on ne doit plus craindre de voir surgir, dans son sein, les crises suscitées par l’orgueil et par la luxure. Cependant, pour ne recourir qu’à des exemples très récents, le bienheureux Pie X déclara, dans l’encyclique Pascendi, que les fauteurs de révolte, comme ceux dont nous parlons, n’étaient pas seulement fréquents à son époque, mais deviendraient plus fréquents à mesure que l’on s’acheminerait vers la fin des temps. Et, en effet, dans l’encyclique Humani generis, le Saint-Père Pie XII se plaint qu’« il ne manque pas, aujourd’hui, de ceux qui, comme aux temps apostoliques, aimant la nouveauté plus qu’il ne serait licite et craignant aussi d’être tenus pour ignorants des progrès des sciences, essayent de se soustraire à la direction du magistère sacré et, pour cette raison, se trouvent en danger de s’éloigner insensiblement de la vérité révélée et d’en faire tomber d’autres avec eux dans l’erreur » (AAS 42, page 564).
Telle est la genèse naturelle des erreurs et des crises dont nous nous occupons. Cependant il convient de considérer non seulement les déficiences de la nature déchue, mais aussi l’action du démon. A ce dernier il a été donné, jusqu’à la fin des siècles, le pouvoir de tenter les hommes dans toutes les vertus et, par conséquent, aussi dans la vertu de foi, qui est le fondement même de la vie surnaturelle. Il est donc évident que, jusqu’à la consommation des siècles, l’Église sera exposée à des jaillissements internes de l’esprit d’hérésie et qu’il n’y a pas de progrès qui, pour ainsi dire, l’immunise définitivement contre ce mal. Que le démon s’emploie à produire de telles crises, il est superflu de le montrer. Or, l’allié qu’il arrive à implanter au-dedans des armées fidèles est son plus précieux instrument de combat. L’expérience actuelle montre qu’une cinquième colonne surpasse en efficacité les plus terribles armements. La tumeur révolutionnaire étant formée dans les milieux catholiques, les forces se divisent, les énergies, qui devraient être utilisées entièrement dans la lutte contre l’ennemi extérieur, s’épuisent en discussions entre frères. Et si, pour éviter de telles discussions, les bons font cesser l’opposition, plus grand encore est le triomphe de l’enfer qui peut, à l’intérieur même de la cité de Dieu, planter son étendard et développer rapidement et facilement ses conquêtes.
Si, à une certaine époque, l’enfer cessait de tenter une manœuvre aussi lucrative, on pourrait dire que, pendant cette époque, le démon aurait cessé d’exister.
Telle est la double genèse, naturelle et préternaturelle, des crises internes de l’Église.
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Comme vous le voyez, ces deux causes sont perpétuelles, et perpétuel aussi sera leur effet. En d’autres termes, l’Église aura toujours à souffrir de l’irruption interne de l’esprit des ténèbres.
Pour éclairer ce que doit être votre mission, il importe de rappeler les tactiques qu’il adopte. Afin de garder clandestine son action, il lui importe de la déguiser. La dissimulation est la règle fondamentale de celui qui agit en secret dans le camp de l’adversaire. Pour parvenir à ses fins, le démon insuffle un esprit de confusion qui séduit les âmes, les entraînant à professer l’erreur habilement dissimulée sous les apparences de la vérité. N’attendez pas, dans cette lutte, que l’adversaire émette des sentences ouvertement contraires aux vérités déjà définies. Il ne le fera que lorsqu’il se jugera entièrement maître du terrain. Le plus souvent, il fera « pulluler les erreurs camouflées sous une apparence de vérité […] avec une terminologie prétentieuse et obscure » (Lettre de la sacrée congrégation des Séminaires aux évêques du Brésil ; AAS 42, p. 839). Et la manière de propager ce pullulement d’erreurs sera elle-même masquée et insidieuse. Le Saint-Père Pie XII décrit ainsi le processus : « Ceux qui, soit par un répréhensible désir d’innovation, soit pour quelque motif louable, propagent ces nouvelles opinions, ne les proposent pas toujours avec la même intensité, ni avec la même clarté, ni en des termes identiques, ni toujours avec unanimité d’apparence ; ce que quelques-uns enseignent aujourd’hui secrètement, avec certaines précautions et distinctions, d’autres, plus audacieux, le diffuseront demain ouvertement et sans retenue, au scandale du grand nombre, surtout du jeune clergé et au détriment de l’autorité ecclésiastique. Plus cauteleusement, c’est leur habitude de traiter de ces sujets dans les livres qui sont publiés ; puis d’en parler avec une plus grande liberté dans les brochures distribuées sous le manteau et dans des conférences ou des réunions. Et ces doctrines se divulguent non seulement parmi les membres de l’un et l’autre clergé, dans les séminaires et les instituts religieux, mais aussi parmi les laïques, principalement ceux qui se consacrent à l’enseignement de la jeunesse » (Encyclique Humani generis ; AAS 42, p. 565).
Ainsi, vous ne devez pas vous étonner si quelquefois vous êtes peu nombreux à discerner l’erreur dans des propositions qui, à beaucoup, paraîtront claires et orthodoxes, ou pour le moins confuses mais susceptibles d’une bonne interprétation ; ou encore si vous vous trouvez devant certaines ambiances où les demi-teintes sont habilement disposées pour diffuser l’erreur, de manière qu’elle soit difficile à combattre. La tactique de l’adversaire a été calculée précisément pour mettre dans cette position embarrassante ceux qui s’opposent à lui. De cette façon, il attirera parfois contre vous l’antipathie, même de personnes qui n’ont pas la moindre intention de favoriser le mal. Elles vous taxeront de visionnaires, de fanatiques, voire de calomniateurs. N’est-ce pas précisément ce que dirent, en France, contre le bienheureux Pie X, les opiniâtres glorificateurs du Sillon et de Marc Sangnier ? Par crainte de ces critiques, reculerez-vous devant l’adversaire, et laisserez-vous ouvertes les portes de la cité de Dieu ?
Il est certain que vous devez éviter avec attention, aux yeux de Dieu, tout excès, toute précipitation, tout jugement non fondé. Mais également vous devez crier, chaque fois que l’adversaire, dissimulé sous la peau d’une brebis, se présente devant vous, sans lui céder un pouce de terrain par crainte qu’il ne vous impute des outrances que votre conscience ne vous reproche pas.
En agissant ainsi, vous obéirez aux intentions expresses du Saint-Père. Dans tous les documents qu’il a publiés sur le sujet, le souverain pontife glorieusement régnant recommande aux évêques et aux prêtres du monde entier qu’ils instruisent diligemment les fidèles, afin que ceux-ci ne se laissent pas abuser par les erreurs voilées qui circulent parmi eux.
L’enseignement doctrinal préconisé par le Saint-Père doit être tout aussi préventif que répressif. Que le prêtre, dans la paroisse duquel l’erreur ne semble pas avoir pénétré, ne se juge pas dispensé d’agir. Étant donné le déguisement sous lequel se drapent ces erreurs, étant donné les procédés de diffusion, parfois presque impalpables, qu’utilisent leurs fauteurs, peu nombreux sont les prêtres qui peuvent avoir la certitude que toutes leurs brebis sont indemnes.
De plus, le bon pasteur ne se contente pas de remédier au mal : il est gravement tenu de le conjurer. Ne soyons pas comme l’homme dont nous parle l’Évangile, qui dormait pendant que son ennemi semait l’ivraie au milieu de son blé. La simple obligation de prévenir justifiera les efforts que vous entreprendrez dans ce sens.
Les erreurs dont nous nous occupons auront peut-être une intensité plus grande dans un pays et moindre dans un autre. Cependant leur diffusion dans le monde catholique est déjà suffisamment large pour que le Saint-Père attire l’attention sur elles par des documents adressés, non à telle ou telle nation en particulier, mais aux évêques du monde entier.
Car nous vivons aujourd’hui dans un monde sans frontières, dans lequel les pensées se diffusent rapidement par la presse, et surtout par la radio, jusqu’aux extrémités de la terre. Une proposition fausse qui sera émise, par exemple, à Paris, peut, le jour même, être entendue et reçue dans des lieux très lointains, comme l’Australie, les Indes ou le Brésil. Et, s’il existe encore quelque petit lieu où l’extrême ignorance ou l’excessif retard créent un obstacle à la pénétration des idées vraies ou fausses, personne ne pourrait faire entrer dans ce cas de figure les centres populeux de notre très aimé diocèse, à la tête duquel se trouve notre ville épiscopale, illustre dans tout le Brésil pour la valeur culturelle de ses fils et l’influence capitale qu’elle s’est toujours honorée d’exercer sur la scène politique nationale.
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Un mot encore sur la méthode que nous adoptons. Étant donné que, dans sa Lettre aux Évêques brésiliens, la sacrée congrégation des Séminaires a parlé d’une « pullulation d’erreurs », et qu’en effet celles-ci sont très nombreuses, il serait excessivement long d’en expliquer et d’en censurer les principales sous une forme discursive. Nous préférons une forme schématique. C’est pourquoi nous avons élaboré un petit catéchisme des vérités les plus actuellement menacées, chacune étant accompagnée de l’erreur qui s’y oppose et d’un rapide commentaire. Pour la commodité de l’exposition, nous avons fait précéder la sentence véridique par la phrase fausse ou dangereuse. Mais votre effort à dénoncer l’erreur devra conduire chaque fidèle à la connaissance exacte du véritable enseignement de l’Église. De cette façon seulement nous aurons fait œuvre positive et durable.
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Enfin, une observation sur la manière dont sont énoncées, dans le catéchisme, les phrases fausses ou dangereuses. Nous avons essayé de les exprimer avec toute la fidélité possible, sans leur retirer les apparences et jusqu’aux fragments de vérité qu’elles renferment. Ainsi seulement le catéchisme sera utile, car ainsi seulement il fera connaître les expressions sous lesquelles se cache habituellement l’erreur, et les apparences avec lesquelles elle essaye d’attirer la sympathie des bons. Car le plus important, en cette matière, ne consiste pas à prouver que telle phrase est mauvaise, mais que telle doctrine fausse est réellement contenue dans telle ou telle formule d’apparence inoffensive et même sympathique.
C’est pourquoi, aussi, nous répétons plusieurs formules plus ou moins équivalentes. Il s’agit d’attirer votre attention sur les diverses formules dans lesquelles peut s’insinuer la même erreur.
Nous n’avons pas seulement inclus dans les propositions les simples thèses doctrinales. Vous trouverez également formulées en propositions des manières d’agir qui découlent directement de la fausse doctrine.
Comme il sera facile de le voir, nous avons eu la préoccupation de suivre le conseil de l’Apôtre : Éprouver toutes choses et conserver ce qui est bon (1 Th 5, 21). Aussi, dans nos réfutations, avons-nous voulu montrer dans toute son extension la parcelle de vérité que contiennent les tendances combattues. C’est que l’Église est une mère patiente et prudente qui condamne avec circonspection et qui considère comme son patrimoine toute vérité où qu’elle se rencontre.
Il convient d’insister sur ce point. Les vérités ici rappelées ne sont le patrimoine ni la propriété d’aucune personne, d’aucun groupe ou courant d’idées. L’orthodoxie est le trésor propre de l’Église, auquel tous doivent participer et dont personne n’a le monopole. C’est pourquoi, coopérateurs bien-aimés, lorsque vous diffuserez les enseignements qui se trouvent ici, présentez-les toujours pour ce qu’ils sont en réalité : le fruit total et exclusif de la sagesse de la sainte Église.
Il n’est pas difficile de percevoir que ces erreurs, d’une façon générale, reflètent, dans des termes qui s’efforcent de paraître corrects, des doctrines qui exercent la plus grande influence dans le monde actuel et qui constituent les traits typiques du néopaganisme d’aujourd’hui : évolutionnisme panthéiste, naturalisme, laïcisme, égalitarisme absolu, qui s’élève, dans la sphère politico-sociale, contre toute supériorité légitime et qui, dans la sphère religieuse, tend à supprimer la distinction instituée par Jésus-Christ entre hiérarchie et peuple fidèle, clercs et laïcs.
Tels sont, fils bien-aimés et très chers coopérateurs, les propositions sur lesquelles nous désirons attirer votre attention.
Pour la plus grande réussite de votre action, nous les avons accompagnées de directives pratiques que vous trouverez dans la seconde partie de cette Lettre.
Dans notre Lettre pastorale, il est clair que nous n’avons pas eu la prétention d’exposer toute la doctrine catholique sur le sujet, mais seulement quelques-unes des observations les plus opportunes. Votre diligence, chers fils, complétera, dans les sources qui sont à votre portée, ce que nous n’avons pu exposer ici. Nous recommandons particulièrement la lecture des encycliques Pascendi, Mystici Corporis Christi, Mediator Dei, Humani generis, de la lettre apostolique Notre charge apostolique, de la constitution apostolique Bis sæculari die, de l’exhortation au clergé Menti nostræ, et des allocutions et radio-messages pontificaux, spécialement les radio-messages des veilles de Noël, le radio-message du 23 mars 1952 sur la morale nouvelle (AAS 44, page 270 sq.), le radio-message au Katholikentag de Vienne (14 septembre 1952), les allocutions à l’Association Catholique des Travailleurs Italiens (AAS 40, page 331 sq.), aux délégués du congrès international des Études sociales, réuni à Rome en 1950 (AAS 42, page 451 sq.), aux membres du 9e congrès de l’Union Internationale des Associations Patronales Catholiques (AAS 41, page 283 sq.), aux membres du congrès international du Mouvement Universel pour une Confédération Mondiale (AAS 43, page 278), à l’Action Catholique Italienne et aux Congrégations mariales en avril 1951 (AAS 43, page 375), à l’occasion de la clôture du congrès international de l’apostolat laïque (AAS 43, page 784 sq.), à l’Association des pères de famille français (AAS 43, page 730 sq.), aux participants du congrès de l’Union Catholique Italienne des Sage-Femmes (AAS 43, page 835 sq.), aux supérieures générales des Ordres et Congrégations religieuses. Nous recommandons, aussi, la Lettre de la congrégation des Séminaires à l’épiscopat brésilien (AA S 42, page 836 sq.), document clair et équilibré qui traite de ce problème en ce qui concerne le Brésil.
La parole du Saint-Père est toujours bienfaisante et efficace pour élever l’âme et l’orienter vers une vie morale et spirituelle. Mettons en valeur les documents indiqués ci-dessus, car ils règlent beaucoup de points d’ordre social, politique et moral qui ont été obscurcis, spécialement depuis la dernière guerre.

(*) Observations : Ce document a été publié en Italien, en Espagnol, en Anglais, en Français et, évidemment, en Portugais, avec le « nihil obstat » et « l’imprimatur » de l’autorité ecclésiastique locale, qui à l’époque de ces publications (1953-1968) étaient nécessaires. Le gras a été mis par ce site.

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