Nombreux sont aujourd’hui, les catholiques – hors des milieux progressistes, naturellement – qui connaissent et admirent l’œuvre du grand et fougueux missionnaire populaire du XVIIIème siècle, Saint Louis Marie Grignion de Montfort.
Moins nombreux sont ceux qui saisissent toute l’importance du rôle de la Sainte Vierge dans la Contre-Révolution et donc la nécessité, pour les vrais contre-révolutionnaires, de la dévotion à Notre Dame.
Nous publions ici le prologue de l’édition argentine de « Révolution et Contre-Révolution », essai bien connu du Professeur Plinio Corrêa de Oliveira, où l’auteur dégage les points de convergence de ce livre avec le « Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge » de Saint Louis Marie Grignion de Montfort.
Notre Dame de Paris (extérieur) – La Sainte Vierge protège le moine Théophils du démon
Saint Louis Marie naquit à Montfort sur Meu ou Montfort la Cane, en Bretagne, en 1673. Ordonné prêtre en 1700 il se consacra jusqu’à sa mort, survenue en l’année 1716, à la prédication des missions auprès des populations rurales et urbaines de Bretagne, Normandie, Poitou, Vendée, Aunis, Saintonge, Anjou et Maine. Les cités où il a prêché, même les plus importantes d’entre elles, vivaient en grande partie de l’agriculture, et étaient profondément marquées par la vie rurale. De sorte que Saint Louis Marie, bien que n’ayant pas exclusivement prêché auprès des paysans, peut être tout de même considéré essentiellement comme un apôtre des populations rurales.
Dans ses prédications, qu’en langage moderne on pourrait qualifier d’extrêmement « à la page », il ne se limitait pas à enseigner la doctrine en des termes bons pour toutes les époques et tous les lieux, mais il savait mettre en relief les points les plus utiles pour les fidèles qui l’écoutaient.
Son genre d’« aggiomamento » laisserait probablement déconcertés nombre des prosélytes de l’ « aggiomamento » moderne. Les erreurs de son temps, il ne les voyait pas comme de simples fruits d’équivoques intellectuelles issues d’hommes d’une insoupçonnable bonne foi : erreurs que par-là même un dialogue loyal et amène dissiperait toujours. Capable d’un dialogue affable et attrayant, il ne perdait pas de vue, cependant, toute l’influence du péché originel et des péchés actuels, non plus que l’action du prince des ténèbres dans la genèse et dans le développement de l’immense lutte mue par l’impiété contre l’Eglise et la Civilisation Chrétienne. La célèbre trilogie, démon, monde et chair, présente dans les réflexions des théologiens et missionnaires de bon aloi de tous les temps, il la gardait en vue comme l’un des éléments fondamentaux pour l’étude des problèmes de son siècle. Et ainsi, selon les circonstances, il savait être soit suave et doux comme un ange messager de la dilection ou du pardon de Dieu, soit batailleur et invincible comme un ange chargé d’annoncer les menaces de la justice divine contre les pêcheurs rebelles et endurcis. Ce grand apôtre sut alternativement dialoguer et polémiquer. Et en lui, le polémiste n’empêchait pas l’effusion des douceurs du Bon Pasteur, et la mansuétude pastorale n’affaiblissait pas les saintes rigueurs du polémiste.
Avec cet exemple, nous sommes bien loin de certains progressistes pour lesquels tous nos frères séparés, hérétiques ou schismatiques, sont nécessairement de bonne foi, trompés par de simples équivoques, de sorte que polémiquer avec eux est toujours une erreur et un péché contre la charité.
La société française du XVIIème siècle (notre saint a vécu, comme nous, à la fin d’un siècle et dans les premières décennies du suivant) était gravement malade.
Tout la préparait à recevoir passivement l’inoculation des germes de l’Encyclopédie et à s’effondrer ensuite dans la catastrophe de la Révolution Française.
En présentant ici un tableau très circonscrit de la Révolution et donc forcément très simplifié – mais indispensable pour comprendre la prédication de notre saint – on peut dire que dans les trois ordres de la société – le clergé, la noblesse et le tiers-état – dominaient deux types d’âmes : les laxistes et les rigoristes. Les laxistes, tendant à une vie de plaisirs, qui amenait à la dissolution et au scepticisme ; les rigoristes, penchant vers un moralisme rigide, formel et sombre, qui amenait au désespoir quand il n’amenait pas à la rébellion. Le mondanisme et le jansénisme étaient les deux pôles qui exerçaient une attraction néfaste, et ce jusque dans les milieux réputés les plus pieux et les plus moraux de la société d’alors.
L’un et l’autre – comme il arrive si souvent entre les extrêmes de l’erreur produisaient le même résultat. En effet, chacun par son chemin éloignait les âmes du saint équilibre spirituel de l’Eglise. Celle-ci effectivement nous enseigne, dans une admirable harmonie, la douceur et la rigueur, la justice et la miséricorde. Elle nous affirme d’un côté la grandeur naturelle authentique de l’homme, sublimé par son élévation à l’ordre surnaturel et son insertion dans le Corps Mystique du Christ, et de l’autre côté nous fait voir la misère où nous a jetés le péché originel, avec toutes ses néfastes conséquences.
Rien de plus normal que l’union des erreurs extrêmes et opposées contre l’apôtre qui prêchait l’authentique doctrine catholique : le véritable contraire d’un déséquilibre n’est pas le déséquilibre opposé mais l’équilibre. De même, la haine qui anime les sectateurs des erreurs opposées ne les jette pas les uns contre les autres, mais les lance contre les apôtres de la Vérité. Et ceci au plus haut point quand est proclamée avec une vigoureuse franchise qui met en; relief les points qui se différencient de la façon la plus aigüe des erreurs en vogue.
C’est exactement ainsi que se déroula la prédication de Saint Louis Marie Grignion de Montfort. Ses sermons, prononcés en général devant de vastes auditoires populaires, culminaient souvent par de véritables apothéoses de contrition, de pénitence et d’enthousiasme. Sa parole claire, interpellatrice, profonde, cohérente, secouait les âmes affaiblies par les mille degrés de mollesse et de sensualité qui à cette époque se diffusaient des classes les plus élevées aux plus humbles de la population.
A la fin de ses sermons, les auditeurs élevaient fréquemment sur les places publiques des pyramides d’objets frivoles ou sensuels et de livres impies auxquelles ils mettaient le feu. Et pendant qu’elles brûlaient, notre infatigable missionnaire faisait de nouveau usage de la parole, incitant le peuple à l’austérité. Cette œuvre de régénération morale avait un sens fondamentalement surnaturel et pieux : Jésus-Christ crucifié, Son Précieux Sang, Ses Très Saintes Plaies, les Douleurs de Marie, étaient le point de départ et l’aboutissement de sa prédication. Il promut ainsi à Pontchâteau la construction d’un grand calvaire qui devait être le point de convergence de tout le mouvement spirituel qu’il avait suscité.
Notre Saint voyait dans la Croix la fontaine d’une sagesse supérieure, la Sagesse chrétienne, qui enseigne à l’homme à voir et à aimer dans les choses créées des manifestations et des symboles de Dieu, à mettre la Foi au-dessus de la raison orgueilleuse, la Foi et la raison droite au dessus des sentiments rebelles, la morale au-dessus de la volonté déréglée, le spirituel au dessus du matériel, l’éternel au dessus du contingent et du transitoire.
Mais cet ardent prédicateur de l’austérité chrétienne authentique n’avait rien de l’austérité taciturne, bilieuse et étroite d’un Calvin. Elle était adoucie par une dévotion très tendre à Notre Dame.
On peut dire que personne n’a élevé plus haut que lui la dévotion à la Mère de Miséricorde. Notre Dame, en tant que médiatrice nécessaire – par élection divine – entre Jésus-Christ et les hommes, fut toujours l’objet de sa fervente et exaltante admiration, le thème qui a suscité ses méditations les plus profondes, les plus originales. Aucun critique sérieux ne peut leur nier le qualificatif de génialement inspirées. Autour de la médiation universelle de Marie, aujourd’hui vérité de foi, St Louis Marie construisit toute une mariologie qui est le plus grand monument de tous les siècles à la Vierge Mère de Dieu.
Ce sont là les principaux traits de son admirable prédication.
Toute celle-ci est condensée en trois ouvrages principaux écrits par le Saint. La « Lettre Circulaire aux Amis de la Croix », « L’Amour de la Sagesse Eternelle » et le « Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge », une sorte de trilogie admirable, toute d’or et de feu, d’où se détache, chef d’œuvre parmi les chefs d’œuvre, le « Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge ».
Par ses œuvres, nous pouvons nous rendre compte de ce que fut la substance des sermons de St Louis Marie Grignion de Montfort.
Statue de Saint Louis Marie Grignion de Montfort, Basilique de Saint Pierre (Vatican)
Notre Saint fut un grand persécuté. Ce trait de son existence est rapporté par tous ses biographes.
Un ouragan furieux se dressa contre son enseignement, déchainé par les mondains et les sceptiques, exaspérés devant tant de Foi et tant d’austérité, et par les jansénistes, indignés de cette dévotion insigne à Notre Dame, d’où émanait une suavité inexprimable. De là, un tourbillon qui dressa contre lui, pour ainsi dire, la France toute entière.
Souvent, comme cela arriva en 1705 dans la ville de Poitiers, ses magnifiques autodafés contre l’immoralité furent interrompus sur l’ordre des autorités ecclésiastiques. Dans presque tous les diocèses de France, on lui refusa l’usage des ordres. Après 1711, seuls les évêques de La Rochelle et de Luçon lui permirent son activité missionnaire. Et en 1710, Louis XIV ordonna la destruction du calvaire de Pontchâteau.
Devant cet immense pouvoir des Ténèbres, notre Saint se révéla prophète. Avec des paroles de feu, il dénonça les germes qui minaient la France d’a1ors, et prédit qu’une catastrophique subversion en sortirait. Le siècle qui vit mourir Saint Louis Marie ne se termina pas sans que la Révolution Française n’ait confirmé de façon sinistre ses prévisions.
Un fait à la fois symptomatique et qui enthousiasme : les régions où notre Saint eut la liberté de prêcher sa doctrine et où les masses humbles le suivirent, furent celles qui virent les chouans se dresser, les armes à la main, contre l’impiété et la subversion. Ils étaient les descendants des paysans qui avaient été enseignés par le grand Saint et préservés ainsi des germes de la Révolution.
C’est du lien entre l’œuvre magistrale de ce grand Saint et le contenu de notre essai que nous devons nous préoccuper maintenant.
Nous commençons par exposer ici quelques pensées de « Révolution et Contre-Révolution ».
La Révolution y est présentée comme un immense processus de tendances, de doctrines, de transformations politiques, sociales et économiques, dérivé en dernière analyse – je serais tenté de dire en toute dernière analyse – d’une détérioration morale causée par deux vices fondamentaux : l’orgueil et la sensualité, qui suscitent dans l’homme une incompatibilité profonde avec la doctrine catholique.
Effectivement, l’Eglise Catholique telle qu’elle est, la doctrine qu’elle enseigne, l’univers que Dieu a créé et qui nous est connu de façon si splendide au travers de ses prismes, tout cela excite chez l’homme vertueux, chez l’homme humble et pur, une profonde exaltation. Il ressent de la joie à considérer que l’Eglise et l’univers sont ce qu’ils sont.
Mais si une personne cède un tant soit peu au vice de l’orgueil ou à celui de la sensualité, il commence à se créer en elle une incompatibilité avec différents aspects de l’Eglise ou de l’ordre de l’univers. Cette incompatibilité peut se révéler, par exemple, par une antipathie envers le caractère hiérarchique de l’Eglise, puis se dédoubler et s’attaquer à la hiérarchie de la société temporelle, et plus tard se manifester contre l’ordre hiérarchique de la famille. Et ainsi, par diverses formes d’égalitarisme, une personne peut arriver à une position métaphysique de condamnation de toute inégalité et du caractère hiérarchique de l’univers. Ce serait là l’effet de l’orgueil dans le domaine métaphysique.
De la même façon, on peut analyser les conséquences de la sensualité dans la pensée humaine. L’homme impur, généralement, commence par tendre vers le libéralisme : l’existence d’un précepte l’irrite, car elle constitue un frein, une loi qui circonscrit le débordement de ses sens. Ainsi toute ascèse provoque son antipathie. De celle-ci, tout naturellement, découle une aversion pour le principe-même d’autorité, et ainsi de suite. Le désir d’un monde anarchique – au sens étymologique du terme – sans lois ni pouvoirs constitués, et dans lequel l’Etat lui-même ne serait plus qu’une immense coopérative, est le point extrême du libéralisme secrété par la sensualité.
Tant de l’orgueil que du libéralisme naît le désir d’une égalité et d’une liberté totales, qui est la substance du communisme.
A partir de l’orgueil et de la sensualité se forment les éléments constitutifs d’une conception diamétralement opposée à l’œuvre de Dieu. Cette conception, dans son aspect final, ne diffère pas de la conception catholique seulement sur tel point ou tel autre. A mesure que ces vices pénètrent plus profondément dans l’homme au cours des générations, et qu’ils s’accentuent, c’est toute une conception gnostique et révolutionnaire de l’Univers qui s’échafaude.
L’individualisation, qui pour la gnose est le mal, est un principe d’inégalité. La hiérarchie – quelle qu’elle soit – est fille de l’individualisation. L’univers – selon le gnostique – se sauve de l’individualisation et de l’inégalité par un processus de destruction du « moi » qui réintègre les individus dans le grand Tout homogène. La réalisation, entre les hommes, de l’égalité absolue et de son corollaire, la liberté totale – dans un ordre de choses anarchique – peut être vue comme une étape préparatoire de cette ré-absortion complète.
Il n’est pas difficile de percevoir, dans cette perspective, un lien entre la gnose et le communisme.
Ainsi, la doctrine de la Révolution est la gnose, et ses causes ultimes prennent leurs racines dans l’orgueil et la sensualité. Une fois établi le caractère moral de ces causes, tout le problème de la Révolution et de la Contre-Révolution est, au fond et essentiellement, un problème moral. Ce qui est dit dans « Révolution et Contre-Révolution » est que la Révolution, en tant que mouvement organisé dans le monde entier, n’existerait pas, et ne serait pas même possible, n’était l’orgueil et la sensualité.
Dès lors, si au centre du problème de la Révolution et de la Contre-Révolution il y a une question morale, il doit y avoir aussi et éminemment une question de religion, car toutes les questions morales sont dans leur essence religieuses. Il n’y a pas de morale sans religion. Une morale sans religion est la chose la plus inconsistante qui se puisse imaginer. Tout problème moral est donc fondamentalement religieux, et la lutte entre la Révolution et la Contre-Révolution est, par essence, religieuse. Si elle est religieuse, si c’est une crise morale qui donne naissance à l’esprit révolutionnaire, alors cette crise ne peut être évitée et on ne peut y porter remède qu’avec l’aide de la grâce.
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C’est un dogme de l’Eglise que les hommes ne peuvent, en ne comptant que sur les recours naturels, respecter durablement dans leur intégrité les préceptes de la morale catholique, synthétisés dans l’Ancien et le Nouveau Testaments. Pour accomplir les commandements, l’existence de la grâce est nécessaire.
D’un autre côté, si l’homme tombe en état de péché, accumulant en lui les appétences pour le mal, à plus forte raison ne parviendra-t-il pas à se relever de l’état où il est tombé sans le secours de la grâce.
Puisque toute préservation morale véritable, ou bien toute régénération morale authentique, provient de la grâce, le rôle de Notre Dame dans la lutte entre la Révolution et la Contre-Révolution est facile à voir. La grâce dépend de Dieu, et pourtant, par un acte libre de Sa Volonté, Dieu a voulu que ce soit de Notre Dame que dépende la distribution des grâces. Marie est la Médiatrice Universelle, Elle est le canal où passent toutes les grâces. Ainsi son aide est indispensable pour qu’il n’y ait pas de Révolution, ou pour que celle-ci soit vaincue par la Contre-Révolution. En effet, quiconque demande la grâce par son intermédiaire, l’obtient. Qui cherche à l’obtenir sans le secours de Marie ne l’obtient pas. Si les hommes, en recevant la grâce, répondent à celle-ci, la disparition de la Révolution sera implicite. Au contraire, si les hommes ne répondent pas à la grâce, le surgissement et le triomphe de la Révolution sont inévitables. C’est pourquoi la dévotion à Notre Dame est la condition « sine qua non » de l’écrasement de la Révolution et de la victoire de la Contre-Révolution.
J’insiste sur ce qui vient d’être affirmé. Si une Nation est fidèle aux grâces nécessaires et même suffisantes qu’elle reçoit de Notre Dame, et si la pratique des Commandements s’y généralise, il est inévitable que la structure de la société soit bonne. Car avec la grâce vient la sagesse, et avec la sagesse toutes les activités de l’homme reprennent leurs cours naturel.
Cela est vérifié, d’une certaine manière, par l’analyse de l’état où se trouve la civilisation contemporaine. Construite sur un refus de la grâce, elle a pu obtenir quelques résultats fracassants qui, malgré tout, dévorent l’homme. Dans la mesure où elle a pour fondement le laïcisme, et où elle viole sous divers aspects l’Ordre Naturel défendu par l’Eglise, la civilisation actuelle est nocive pour l’homme.
Pour autant que la dévotion à Notre Dame est ardente, profonde, d’une riche substance théologique, il est clair que la prière de celui qui demande sera entendue. Les grâces pleuvront sur la personne qui la prie dévotement et assidûment. Si au contraire cette dévotion était fausse ou tiède, entachée par des restrictions de relent janséniste ou protestant, il y aurait un risque grave que la grâce soit donnée moins largement, parce qu’elle rencontrerait de la part de l’homme de néfastes résistances. Ce qui se dit de l’homme peut se dire aussi, « mutatis mutandis », de la famille, d’une région, d’un pays ou de tout autre groupe humain.
On a coutume de dire que, dans l’économie de la grâce, Notre Dame est le cou du Corps Mystique dont Notre Seigneur Jésus-Christ est la Tête, parce que tout passe par Elle. L’image est tout à fait vraie dans la vie spirituelle. Un individu qui n’a que peu de dévotion pour Notre Dame est comme un homme qui a une corde nouée autour du cou et conserve à peine un mince filet de respiration. Quand il n’a aucune dévotion, il s’asphyxie. S’il en a une grande, le cou reste tout à fait libre et l’air pénètre abondamment dans sa poitrine, et lui permet de vivre normalement.
La stérilité et même la nocivité de tout ce qui se fait contre l’action de la grâce. et l’énorme fécondité de ce qui se fait avec son aide, déterminent bien la position de Notre Dame dans ce combat entre la Révolution et la Contre-Révolution, car l’intensité des grâces reçues par les hommes dépend de la plus grande ou de la moindre dévotion que ces derniers ont pour Elle.
Mais une vision de la Révolution et de la Contre-Révolution ne peut se limiter à ces considérations. La Révolution n’est pas le fruit de la seule méchanceté humaine. Cette dernière ouvre les portes au démon et laisse celui-ci la stimuler, l’exciter et la diriger.
Il est donc important de considérer, dans cette matière, l’opposition entre Notre Dame et le démon. Le rôle du démon dans l’éclosion et dans les progrès de la Révolution fut énorme. Comme il est logique de le penser, une explosion de passions déréglées aussi profonde et aussi générale que celle qui a donné naissance à la Révolution, ne se serait pas produite sans une influence démoniaque. De plus, il serait difficile à l’homme d’atteindre les extrêmes de cruauté, d’impiété et de cynisme auxquels la Révolution est parvenue à plusieurs reprises, tout au long de son histoire, sans le concours de l’esprit du mal.
Mais ce facteur de propulsion si puissant demeure entièrement sous la dépendance de Notre Dame. Il suffit qu’Elle fulmine un acte de souveraine sur l’enfer pour qu’il tremble, se confonde, se recroqueville et disparaisse de la scène humaine. Au contraire, il suffit que pour le châtiment des hommes Elle laisse au démon un certain rayon d’action pour que l’activité du démon progresse. Ainsi, les énormes facteurs de la Révolution et de la Contre-Révolution, que sont respectivement le démon et la grâce. dépendent de son empire et de son domaine.
La considération de ce souverain pouvoir de Notre Dame nous approche de l’idée de la Royauté de Marie. ll ne faut pas voir cette royauté comme un titre purement décoratif. Bien que soumise en tout à la volonté de Dieu, la Royauté de Notre Dame comporte un pouvoir de gouvernement personnel bien authentique.
J’ai eu l’occasion d’utiliser, lors d’une conférence, une image qui facilite la compréhension du rôle de Notre Dame en tant que Reine.
Que l’on imagine un directeur de collège doté d’élèves très insubordonnés. ll les punit avec une autorité de fer. Après les avoir ramenés à l’ordre, il se retire en disant à sa mère : « Je sais que vous dirigerez ce collège d’une manière différente de celle que je viens d’utiliser. Vous avez un cœur de mère. Maintenant que je les ai punis, je veux que vous les dirigiez avec douceur ». Cette dame va diriger le collège selon la volonté du directeur, mais par une méthode toute différente. Sa façon d’agir est distincte de la sienne, et malgré tout, elle accomplit entièrement sa volonté.
Aucune comparaison n’est exacte. Cependant je pense que, sous certains aspects, cette image nous aide à comprendre ce point.
Le rôle de Notre Dame, Reine de l’Univers, est analogue. Notre Seigneur lui a donné un pouvoir royal sur toute la création, et sa miséricorde, sans arriver à aucune exagération, atteint pourtant toutes les limites. Il l’a installée comme Reine de l’Univers pour gouverner celui-ci. et particulièrement le pauvre genre humain déchu et pécheur. Et c’est la volonté de Notre Seigneur qu’Elle fasse ce que Lui n’a pas voulu faire lui-même, mais à travers Elle, instrument souverain de son Amour. Il y a donc un régime véritablement marial dans le gouvernement de l’Univers. Et l’on voit ainsi comment Notre Dame, même quand elle est suprêmement unie à Dieu et dépendante de Lui, exerce son action tout au long de l’Histoire. Notre Dame est infiniment inférieure à Dieu, c’est évident, mais ll a voulu lui donner ce rôle par un acte de libéralité. C’est Notre Dame, qui en distribuant plus ou moins largement la grâce, en réfrénant plus ou moins l’action du démon, exerce sa royauté sur le cours des évènements de la terre. En ce sens, c’est d’Elle que dépendent la durée de la Révolution et la victoire de la Contre-Révolution. En outre, Elle intervient parfois directement dans les évènements humains, comme par exemple à Lépante. Combien nombreux sont les faits de l’Histoire de l’Eglise où Elle rendit claire son intervention directe sur le cours des choses ! Tout cela nous fait voir combien est effective la Royauté de Notre Dame.
Quand l’Eglise chante à son sujet : « Toi seule a exterminé les hérésies de la Terre entière », elle dit que son rôle dans cette extermination a été, d’une certaine façon, unique. Cela revient à dire qu’Elle dirige l’Histoire, car qui dirige l’extermination des hérésies dirige le triomphe de l’orthodoxie, et, en dirigeant l’une et l’autre choses, dirige l’Histoire en ce qu’elle a de plus fondamental.
Il y aurait un travail historique intéressant à faire, celui de démontrer que le démon commence à vaincre quand la dévotion à Notre Dame diminue. Cela s’est vu à toutes les périodes de décadence de la Chrétienté, à toutes les victoires de la Révolution. Un exemple frappant est celui de l’Europe avant la Révolution Française. La dévotion à Notre Dame dans les pays catholiques fut prodigieusement affaiblie par le jansénisme, et c’est pourquoi ils n’étaient plus qu’une forêt à la merci de la première étincelle.
Basilique de Sainte Marie Majeure (Rome)
Ces considérations, et d’autres tirées de l’enseignement de l’Eglise, ouvrent des perspectives pour le Royaume de Marie, c’est-à-dire l’ère historique de Foi et de Vertu qui sera inaugurée par une victoire spectaculaire de Notre Dame sur la Révolution. Le démon sera alors expulsé et retournera aux antres infernales, et Notre Dame règnera sur l’humanité au moyen d’institutions qu’elle aura choisi dans ce but. Au sujet de cette perspective du Royaume de Marie, nous trouvons dans l’œuvre de Saint Louis Marie Grignion de Montfort quelques allusions dignes d’être relevées. Il est, sans aucun doute, un prophète qui annonce cette venue. Il en parle expressément : « Quand viendra ce déluge de feu du pur amour que vous devez allumer sur toute la terre d’une manière si douce et si véhémente que toutes les nations, les Turcs, les idolâtres et les Juifs même en brûleront et se convertiront » (Prière Embrasée – Œuvres Complètes – P. 681 – Le Seuil). Ce déluge qui va laver l’humanité inaugurera le Royaume de l’Esprit-Saint que St Louis Marie identifie au Royaume de Marie. Notre Saint affirme que ce sera une époque de floraison de l’Eglise comme il n’y en eut jamais jusque là. Il conclut en affirmant que : « le Très Haut avec sa sainte Mère doivent se former de grands saints qui surpasseront autant en sainteté la plupart des autres saints, que les cèdres du Liban surpassent les petits arbrisseaux » (Traité de la Vraie Dévotion – Œuvres Complètes P.5l2-513-Le Seuil).
Quand nous considérons les grands saints que l’Eglise a déjà engendrés, nous restons éblouis par l’envergure de ceux qui surgiront avec l’encouragement de Notre Dame. Rien n’est plus raisonnable que d’imaginer un accroissement énorme de la sainteté à une époque où l’action de Notre Dame augmente prodigieusement. Nous pouvons donc dire que Saint Louis Marie de Montfort, avec sa valeur de penseur, mais surtout avec son autorité de saint canonisé par l’Eglise, donne du poids, de la consistance aux espérances qui brillent dans de nombreuses révélations particulières, et selon lesquelles une époque viendra où Notre Dame triomphera véritablement.
La Royauté de Marie. alors même qu’elle a une efficacité souveraine dans toute la vie de l’Eglise et de la société temporelle, se réalise en premier lieu à l’intérieur des âmes. C’est de là, du sanctuaire intérieur de chaque âme, qu’elle se reflète sur la vie religieuse et civile des peuples, considérés comme un tout.
Le Royaume de Marie sera, donc, une époque où l’union des âmes avec Notre Dame atteindra une intensité sans précédent dans l’histoire (exception faite, bien sûr, des cas individuels). Quelle est la forme de cette union, dans un certain sens suprême ? Je ne connais aucun meilleur moyen d’énoncer et de réaliser cette union que le saint esclavage à Notre Dame, tel qu’il est enseigné par Saint Louis Marie Grignion de Montfort dans le « Traité de la Vraie Dévotion ».
Considérant que Notre Dame est le chemin par lequel Dieu vint aux hommes et ceux-ci vont à Dieu, et que la Royauté de Marie est universelle, notre Saint recommande que le dévot de la Vierge se consacre entièrement à Elle comme esclave. Cette consécration est d’une radicalité admirable. Elle embrasse non seulement les biens matériels de l’homme, mais aussi les mérites de ses bonnes ‘œuvres et prières, et jusqu’à sa vie, son corps et son âme. Elle est sans limites. parce que l’esclave, par définition, n’a rien en propre.
En échange de cette consécration, Notre Dame agit au for intérieur de son esclave de façon merveilleuse, établissant avec lui une union ineffable.
Les fruits de cette union se verront dans les Apôtres des Derniers Temps dont le Saint trace au feu le profil moral dans sa fameuse « Prière Embrasée ». Il utilise un langage d’une grandeur apocalyptique dans lequel parait revivre tout le feu du Baptiste, toute la clameur de l’Evangéliste, tout le zèle de Paul de Tarse. Les hommes valeureux qui lutteront contre le démon pour le Royaume de Marie, menant glorieusement jusqu’à la fin des temps le combat contre le démon, le monde et la chair, Saint Louis les décrit dès maintenant comme de magnifiques modèles qui invitent au parfait esclavage à Notre Dame ceux qui, dans les jours des ténèbres que nous vivons, se battent dans les rangs de la Contre-Révolution.
Ainsi, avec toutes ces considérations sur le rôle de Notre Dame dans la Révolution et la Contre-Révolution, et sur le Royaume de Marie – vues selon le « Traité de la Vraie Dévotion » – je pense avoir énoncé les principaux points de convergence entre le chef d’œuvre du grand Saint et mon essai – si diminué par la comparaison – sur « Révolution et Contre-Révolution ».