En Défense de l’Action Catholique – Pour éviter les prescriptions de l’Histoire

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Chaque phase de l’existence offre ses propres plaisirs. À l’époque où j’étais étudiant, j’avais un intérêt particulier pour la recherche de livres rares, auprès des nombreux bouquinistes de la ville.

A maintes reprises, dans le cadre de ces recherches, j’ai trouvé des volumes que l’auteur avait dédicacé à tel ou tel de ses amis, avec des expressions qui traduisaient quelque fois une amitié tendre ou ampoulée, d’autres fois un sentiment de supériorité mal dissimulé, voire même une volonté de gagner les bonnes grâces de certains illustres intellectuels dont les critiques pourraient s’avérer dangereuses pour le nouveau livre. Je n’ai jamais été tenté de collectionner les autographes. Lors donc qu’un volume ne m’intéressait pas, je le mettais tout de suite sur l’étagère. Mais je me demandais : Que dirait un auteur venu ici pour acheter un livre, en découvrant que son ami avait vendu, pour une somme dérisoire, non pas tant le livre ainsi dédicacé, ni la dédicace elle-même, mais, finalement, leur propre amitié ?

Et puis une autre idée m’est venue, avec un sursaut. Si un jour je devrais écrire un livre et en trouver un exemplaire dédicacé en vente dans un magasin de livres d’occasion, que ferais-je ? Il m’a semblé que la meilleure solution pour éviter une possibilité aussi humiliante était celle que j’ai adoptée : ne rien publier.

Ces appréhensions de jeunesse sont revenues à mon esprit au fur et à mesure que je rassemblais des idées pour le présent article. Et je me suis dit que cette expérience désagréable en est une que l’auteur d’En défense de l’Action Catholique n’a jamais subie.

En effet, puisque le livre était épuisé depuis belle lurette (tous les 2500 exemplaires – un grand tirage pour l’époque) et qu’il n’avait pas pu honorer les nombreuses commandes des personnes intéressées, le Dr Plinio Corrêa de Oliveira organisa avec quelques amis, y compris moi-même, une recherche minutieuse auprès des bouquinistes de São Paulo et d’autres villes, dans l’espoir d’en racheter quelques exemplaires. La recherche s’est révélée totalement infructueuse. Il est même allé jusqu’à placer des publicités dans la presse demandant si quelqu’un voulait bien lui vendre, d’occasion, un exemplaire d’En défense de l’Action Catholique, mais en vain.

Il s’est avéré que rien n’est plus improbable pour lui que de trouver un volume de son œuvre chez un bouquiniste.

Une explosion ou musique harmonieuse ?

Pourtant, cela n’est pas le seul aspect curieux de l’histoire de ce livre unique.
Ainsi, par exemple, alors qu’En défense de l’Action Catholique a eu un large retentissement à l’époque, il n’a certainement pas atteint le grand public proprement dit mais est plutôt resté circonscrit à ce vaste segment, néanmoins un peu limité, communément appelé « les milieux catholiques ». Et nous savons que, paradoxalement, l’auteur lui-même n’a pas voulu que son œuvre aille au-delà de ces limites. Il estima que, puisqu’il porte sur des problèmes spécifiques au mouvement catholique, c’est seulement dans ces milieux qu’il pourrait attirer l’intérêt et faire du bien.

D’autre part, il résonna dans ces milieux comme une bombe, et non pas comme une musique harmonieuse. Beaucoup l’ont salué comme un salve précis et opportun pour écarter les énormes dangers qui se profilaient à l’horizon. D’autres le considérèrent comme une cause de dissension et de scandale, une affirmation déplorable d’un esprit étroit et arriéré, attaché à des doctrines erronées et enclin à imaginer des problèmes inexistants.

Je vois encore aujourd’hui, vingt ans après, les réactions favorables et contraires. Je me souviens de l’enthousiasme avec lequel j’ai lu, dans Legionário, les lettres de soutien de Leurs Excellences Helvecio Gomes de Oliveira, archevêque de Mariana, Atico Eusebio da Rocha, archevêque de Curitiba, João Becker, archevêque de Porto Alegre, Joaquim Domingues de Oliveira, archevêque de Florianópolis, Antonio Augusto de Assis, archevêque-évêque de Jabuticabal, Otaviano Pereira de Albuquerque, archevêque-évêque de Campos, Alberto José Gonçalves, archevêque-évêque de Ribeirão Preto, José Maurício da Rocha, évêque de Bragança, Henrique César Fernandes Mourão, évêque de Cafelândia, Antonio dos Santos, évêque d’Assis, Frei Luis de Santana, évêque de Botucatu, Manuel da Silveira D’Elboux, évêque auxiliaire de Ribeirão Preto (aujourd’hui archevêque de Curitiba), Ernesto de Paula, évêque de Jacarezinho (aujourd’hui évêque émérite de Gerocesarea), Otavio Chagas de Miranda, évêque de Pouso Alegre, Frei Daniel Hostin, évêque de Lajes, Juvencio de Brito, évêque de Caetité, Francisco de Assis Pires, évêque de Crato, Florencio Sisinio Vieira, évêque d’Amargosa, Severino Vieira, évêque de Piauí, et Frei Germano Vega Campon, évêque prélat de Jataí.

Plus que toute autre chose, je me rappelle la profonde impression que j’avais eue, comme l’avait eue la plupart des catholiques, lorsque j’ai lu la préface prestigieuse avec laquelle le Nonce Apostolique au Brésil, Dom Bento Aloisi Masella, présenta le livre à la nation. Le Brésil vénérait ce prélat comme le nonce parfait, opinion confirmée par le Pape Pie XII lorsqu’il le fit cardinal. Je me souviens aussi de la réaction opposée, dont  il est encore trop tôt – même après vingt ans – pour en parler longuement.

D’ailleurs, ce n’est pas sans sacrifice que je vais être bref à ce sujet, une fois que j’aimerais bien laisser parler ma mémoire et combler ses éventuelles lacunes avec des morceaux puisés dans les archives riches et bien organisés du Dr Plinio Corrêa de Oliveira. Toutefois, il est superflu de faire une digression à propos de tels rêves : je sais bien que dans les circonstances actuelles, l’auteur d’En défense de l’Action Catholique ne me donnerait pas la documentation tant convoitée.

Quoi qu’il en soit, pour reprendre le cours de mon récit, en regardant vers le passé, dans un souci d’objectivité historique je ne peux pas fermer les yeux sur la réaction de l’adversaire, et un petit mot à ce sujet s’impose donc.

Une réaction en trois phases

La réaction a eu trois phases. Elle a échoué dans la première, elle a échoué à nouveau dans la seconde, mais elle a été pleinement réussie dans la troisième.

La première phase a été l’une des menaces. Je me souviens encore que, de retour d’un voyage à l’Etat de Minas, mon jeune ami, José de Azeredo Santos – qui devint plus tard un polémiste bien connu d’une cohérence indomptable -, nous informa avec bonne humeur et amusément : « J’ai été avec le frère BC, qui m’a dit qu’une commission de théologiens a été créée pour réfuter le livre de Plinio. Frère B.C. dit qu’il en sera pour ses frais ». Mais nous savions qu’En défense de l’Action Catholique avait été minutieusement analysé par deux théologiens déjà célèbres au Brésil, Mgr de Castro Mayer et l’abbé Geraldo Sigaud, et donc nous ne sommes pas inquiétés et avons tout simplement attendu la réfutation. Mais rien ne vint jamais.

Au moment où j’écris ces lignes, je pense aussi à la lettre qu’une personnalité très illustre et respectable a envoyé au Dr Plinio Corrêa de Oliveira, le remerciant pour le livre et disant qu’elle allait bientôt dénoncer publiquement les «erreurs» qu’il contenait. Vingt années se sont écoulées mais rien ne fut jamais publié. Combien d’autres épisodes semblables pourraient être racontés !

Alors que les menaces d’une réfutation étaient restées lettre morte, venait ensuite la phase des rumeurs. Le livre contenait des erreurs. De nombreuses erreurs ! Ils ne disaient pas ce qu’ils étaient. Tout ce qu’ils savaient, c’est qu’ils y étaient. Mais il n’y avait plus aucune mention de réfutation, seul un implacable rabâchage de la même l’accusation vague dans tout le Brésil : Il ya des erreurs, des erreurs, des erreurs ! Comme disait Napoléon, la répétition est la meilleure figure de rhétorique. Mais en dépit de tout cela, En défense de l’Action Catholique s’écoula rapidement chez les libraires.

Enfin, le livre s’est épuisé. Au fil du temps, il a accompli sa difficile mission, que je vais raconter ci-dessous. Une réimpression, par conséquent, ne semblait pas opportune. Les rumeurs se sont eux aussi peu à peu calmées. On dirait que par l’ordre naturel des choses, le silence tombait sur l’ensemble de «l’affaire». Mais c’était effectivement le début de la troisième phase – lisse, omniprésente, et dominatrice.

Soudain, en 1949, le silence est brisé. Depuis les hauteurs du Vatican, une voix se fait entendre, qui dissipe tous les doutes et rend le livre invulnérable tant du point de vue de sa doctrine que de son opportunité. C’est une lettre d’éloge écrite par Mgr G.B. Montini, alors Substitut de la Secrétairerie d’Etat, au professeur Plinio Corrêa de Oliveira au nom de l’inoubliable Pie XII.

Pourtant, même à cela, le silence assourdissant sur le livre continua. Que je sache, c’est le seul livre brésilien écrit entièrement et spécialement à propos de l’Action Catholique qui a fait l’objet d’une lettre de félicitations par le vicaire du Christ. Cependant, à ma connaissance, il n’est pas souvent cité dans les ouvrages et les bibliographies sur l’Action Catholique publiées chez nous de temps en temps.

Et le silence continua. Aujourd’hui – si ce n’est que pour quelques minutes – ce silence est rompu alors que nous écrivons cette préface, ne serait-ce que pour éviter l’obsolescence dont l’histoire punit l’inertie excessive. Mais après cela, il va se poursuivre.

Le destin singulier d’un livre

Bref, tout cela explique pourquoi on ne peut pas trouver En défense de l’Action Catholique chez les bouquinistes. Quelques personnes le gardent sur leurs étagères avec affection, comme s’il contenait un précieux élixir. D’autres l’enferment dans un tiroir, pris de panique, comme s’il s’agissait d’un flacon d’arsenic. Ainsi, l’histoire de ce livre s’est avérée complètement différente de celle que moi, qui voyais son lancement avec enthousiasme, ou ses défenseurs ou détracteurs, aurait jamais pu imaginer à l’époque révolue de juin 1943.

Mouvement liturgique, Action Catholique, action sociale

Vers 1935, le Brésil commença à recevoir l’influence dynamique des grands mouvements catholiques apparus en Europe avec la renaissance religieuse de l’après Première Guerre mondiale. Le principal était le mouvement liturgique dont le grand Dom Prosper Guéranger avait déjà posé les fondations à Solesmes au siècle précédent (1), pour ouvrir les yeux des fidèles à la valeur surnaturelle, la richesse doctrinale et la beauté incomparable de la sainte Liturgie. Ce mouvement de renouveau spirituel atteint son plein épanouissement précisément dans la période 1918-1939, et fut en même temps comme un développement apostolique, guidé par la main ferme de Pie XI, répandu de par le monde catholique. Sous Pie XI, l’Action Catholique, qui en tant qu’organisation d’apostolat remonte en quelque sorte aux jours glorieux de Pie IX, assuma la plénitude de ses traits caractéristiques. Il s’agissait d’une mobilisation de tous les laïcs comme une seule armée d’éléments variés, afin de procéder à une tâche tout aussi unique, mais avec plusieurs facettes : une infusion totale de l’esprit de Jésus Christ dans la société tourmentée de l’époque. Parallèlement à cet effort, et comme son complément harmonieux, il y eut une admirable floraison d’œuvres sociales inspirées principalement par les Encycliques Rerum Novarum et Quadragesimo Anno, et axées spécifiquement sur la présentation et la mise en pratique d’une solution chrétienne à la question sociale. C`était l’action sociale.

Naturellement, ces trois grands éléments, qui se complètent mutuellement, sont devenus, pour cette même raison, entremêlés. Et, plein d’enthousiasme, la fleur de la jeunesse catholique, d’abord en Europe, et plus tard, par voie de répercussion, au Brésil, a convergé vers eux.

Nuages à l’horizon

Chaque fois que la Providence suscite un bon mouvement, l’esprit des ténèbres cherche à se glisser en lui afin de le déformer. Ainsi en a-t-il été depuis les débuts de l’Eglise, où les hérésies surgirent même dans les catacombes, cherchant à conduire vers le mal le troupeau de Jésus Christ, déjà décimé par la persécution. Il y en va de même aujourd’hui, et c’est ainsi que le diable continuera à travailler jusqu’à la fin des temps.

L’esprit de notre siècle, né de la Révolution française, a ainsi infiltré certains cercles du mouvement liturgique, de l’Action Catholique et de l’action sociale. Et les personnes imprégnées de cet esprit, sous prétexte de promouvoir les valeurs catholiques, cherchent à les présenter effectivement d’une manière déformée selon les maximes de la Révolution.

Liberté, Egalité, Fraternité

Il serait beaucoup trop long de citer ici tout ce que contiennent les pages d’En défense de l’Action Catholique à propos de cette infiltration et de ses nombreuses manifestations. Nous nous contenterons d’un rappel schématique des principales caractéristiques du phénomène.

L’esprit de la Révolution française est essentiellement laïc et naturaliste. « Liberté, égalité, fraternité » était la devise qu’adopta la Révolution dans sa tentative de réformer la société. L’influence de cet esprit et de ladite devise se trouve dans chacune des multiples erreurs réfutées dans cet ouvrage par Plinio Corrêa de Oliveira.

Egalitarisme. Comme chacun le sait, Notre Seigneur Jésus Christ a institué l’Église comme une société hiérarchisée, dans laquelle, selon l’enseignement de saint Pie X, il appartient à certains d’enseigner, de gouverner et de sanctifier, tandis qu’à d’autres il appartient d’être régis, enseignés et sanctifiés (cf. Encyclique Vehementer Nos, 11 février 1906).

Naturellement, cette distinction de deux classes au sein de l’Eglise ne peut pas plaire à la mentalité moderne marquée par la Révolution. Il n’est pas étonnant, par conséquent, que s’agissant de l’Action Catholique, apparaisse une théorie qui, en dernière analyse, conduit à mettre le clergé et les fidèles au même niveau : Pie XI définit l’Action Catholique comme une participation des laïcs à l’apostolat hiérarchique de l’Église. Puisque celui qui participe joue un rôle, fût-il avancé, les laïcs membres de l’Action Catholique ont un rôle à jouer dans la mission et la tâche de la hiérarchie. Ils sont, par conséquent, des hiérarques en miniature. Ils ne sont plus de simples sujets de la hiérarchie, mais, pour ainsi dire, presque une frange de celle-ci.

Libéralisme. En même temps qu’un intérêt légitime et le zèle pour la sainte Liturgie apparurent dans les rangs de l’Action Catholique, plusieurs exagérations du soi-disant « liturgisme » s’y sont furtivement introduites.

La profession de ces erreurs, inhérente à l’esprit libéral, a produit une attitude de critique ouverte et indépendante vis-à-vis la doctrine enseignée par le Saint-Siège et les pratiques qu’il a approuvées, saluées et encouragées.

En conséquence, cette nouvelle mentalité rabaissa la piété personnelle pour ne promouvoir que des actes liturgiques ; elle a affiché des réticences vers la dévotion à la Vierge et aux Saints, qu’elle considère incompatibles avec une formation « centrée sur le Christ » et manifeste un certain mépris pour le Rosaire, le Chemin de la Croix, et les Exercices Spirituels de Saint Ignace comme des pratiques obsolètes. Tout cela va à l’encontre de nombreux documents pontificaux recommandant fortement de telles dévotions et pratiques.

Sans doute plus importante encore a été l’influence du libéralisme sur l’opinion, préconisée dans certains milieux, que l’Action Catholique ne doit pas établir un code vestimentaire de modestie pour ses membres, ni prendre des règlements imposant des devoirs particuliers et des punitions pour les manquements.

La même influence est apparue clairement dans l’idée selon laquelle la rigueur n`est pas nécessaire quand il s’agit de choisir les nouveaux membres de l’Action Catholique, bien que paradoxalement elle était censée être une organisation d’élite.

Fraternité. La fraternité révolutionnaire implique la négation de tout ce qui sépare ou distingue les hommes d’une façon légitime : les frontières entre les nations et les religions, les courants philosophiques et politiques, et ainsi de suite.

Dans un frère séparé, un vrai catholique voit le frère autant que la séparation. Toutefois, un catholique influencé par l’esprit de fraternité à la 1789 n’en voit que le frère et refuse de voir la séparation. Par conséquent, une série d’attitudes et tendances interconfessionnelles ont fait irruption dans certains milieux de l’Action Catholique. Ce n’était pas simplement une question de promouvoir une clarification courtoise avec les chrétiens séparés, dans les cas où la prudence et le zèle le recommanderaient, mais plutôt de s’engager dans une politique de silence et même de concessions, qui en fin de compte servait seulement à semer la confusion et le scandale, plutôt qu’à éclaircir et convertir.

Dans le domaine spécifique de l’Action Catholique, ces principes ont donné lieu à la soi-disant « tactique du terrain d’entente » et de « l’apostolat d’infiltration », que Plinio Corrêa de Oliveira analyse soigneusement et réfute dans son livre.

Dans le domaine important de l’action sociale, dans laquelle l’apostolat catholique a obtenu tant de fruits de façon claire et précise, un esprit de fraternité aux accents révolutionnaires a également influencé de nombreuses personnes en faveur d’associations de travailleurs non-confessionnelles. Cela est un autre point dont le livre s’en occupe en détail.

Répercussion des doctrines nouvelles

A ce stade, je regarde avec une grande nostalgie l’époque glorieuse et pacifique, pleine d’action combative mais aussi de noble sérénité, qui a précédé le choc douloureux dont je donne un bref aperçu historique. A Rio de Janeiro, dans une unité totale de pensée et d’action, une élite de prêtres et des laïcs des deux sexes dont certains étaient déjà, et d’autres le seraient dans le futur, à bien des égards, des éléments exponentiels de la vie brésilienne, s’est rassemblée autour d’un Cardinal Leme vivant et dynamique ; à São Paulo, ils ont afflué autour du vénérable évêque Duarte Leopoldo e Silva. La coopération était absolue. La compréhension mutuelle était profonde. Le célèbre Père Garrigou-Lagrange, qui visita le Brésil en 1937, m’a dit que c’était la caractéristique qui l’avait le plus frappé dans la vie religieuse du pays.

Mais, avec tant de bonnes choses qui nous viennent de l’Europe, les semences de l’esprit de 1789, contenues dans certains ouvrages sur la sainte Liturgie, l’Action Catholique et l’action sociale, sont également arrivées. Une fermentation légère mais constante s’est généralisée. Comme nous venons de le rappeler, d’excellentes pratiques de piété étaient alors critiquées comme obsolètes. La communion en dehors de la messe ou extra Missam était stigmatisée comme gravement erronée du point de vue doctrinal. Goffiné, un célèbre manuel de piété bourré de bénédictions et d’approbations ecclésiastiques, était critiqué comme le symbole même d’une époque marquée par le sentimentalisme, l’individualisme et l’ignorance théologique, qui sont tous à surmonter. Congrégations mariales, confréries et autres associations ont été étiquetées comme des formes anachroniques d’apostolat organisé, vouées à une extinction rapide, au profit de l’Action Catholique, la seule digne de survivre.

Naturellement, ces idées ont suscité des réactions. Mais la plupart du temps, ces réactions étaient sporadiques et éphémères. L’état d’esprit de bonne humeur brésilienne, si confiant, pacifique et enclin à accepter ce qui vient de certains pays européens comme la France, l’Allemagne ou la Belgique, a de l’aversion pour le genre de réaction que les circonstances exigeaient. Il était donc nécessaire de mettre ensemble une liste des erreurs doctrinales qui se propageaient, d’identifier le lien qui les unissait, d’exposer le substrat idéologique commun à toutes, et de réfuter chaque erreur, de telle manière à se plonger dans ses racines empoisonnées et sonner l’alerte contre cette attaque insidieuse.

Il était connu dans les milieux bien informés que le Nonce Apostolique, Dom Bento Aloisi Masella, et plusieurs prélats, étaient préoccupés par la situation, mais que, dans leur sagesse, ils ne croyaient pas que le moment était venu pour une intervention officielle par l’autorité ecclésiastique. Puis, j’ai appris que le Dr Plinio Corrêa de Oliveira se demandait lui-même s’il ne serait pas mieux qu’un laïc d’assumer le rôle de paratonnerre, et si un livre consacré à une dénonciation et une réfutation organisées de ces erreurs ne pourrait pas devenir une « bombe » intellectuelle capable d’alerter des esprits bien intentionnés mais inattentifs. Cela pourrait au moins freiner l’expansion du mal, sinon la bloquer complètement, car les gens dont l’esprit était déjà prêt à accepter l’erreur ne pouvaient pas être empêchés de le faire.

C’est ainsi que, honoré d’une préface de l’Ambassadeur du Pape et de l’imprimatur donné ex commissione par l’archevêque José Gaspar, le livre est paru.

J’ai déjà parlé de l’explosion qu’En défense de l’Action Catholique a causée. Pauvre petit livre, tout a été dit à son égard. A un moment donné, on a dit qu’il n’était pas sérieux : un travail nécessitant des connaissances de théologie et de droit canonique, mais écrit par un laïc. Et, bien sûr, un laïc n’aurait jamais été capable d’écrire un tel livre ! Et les rumeurs honorablement en attribuaient la paternité, d’abord à Mgr Antonio de Castro Mayer, puis à l’abbé Geraldo Sigaud. Un très grand honneur en effet, mais contraire à la vérité historique, puisque le Dr Plinio Corrêa de Oliveira lui-même avait dicté le livre au cours d’un mois de travail dans la ville de Santos, au secrétaire de la Jeunesse des Etudiants Catholiques (JEC) pour l’archidiocèse de São Paulo, José Carlos Castilho de Andrade.

Le livre a-t-il atteint son but ? Oui, Dieu merci ! Il mobilisa une élite brillante et prestigieuse de combattants intellectuels autour des principes d’En défense de l’Action Catholique. Peut-être plus important encore, son succès peut être mesuré par l’attitude d’un nombre énorme de lecteurs … qui n’ont pas aimé le livre. Ils l’ont trouvé trop catégorique et inopportun. Ils n’étaient pas en désaccord avec ses doctrines, mais regardaient le mal contre lequel il a été écrit comme inexistant ou insignifiant. Pourtant, après avoir lu le livre, ils se sont réveillés et ont pris leurs distances et des innovateurs, et des innovations. A partir de ce moment-là, les erreurs progressistes ont continué à avancer, mais démasquées, ne conquérant que ceux qui aimaient leur vrai visage.

Comme on sait, ayant atteint ce résultat, l’auteur d’En défense de l’Action Catholique se retira dans le silence, enregistrant simplement les témoignages de soutien dans les pages de Legionário et supportant les attaques incessantes avec un silence patient.

La triste histoire de ces derniers événements n’est pas courte. Mais, pour l’auteur, elle a été parsemée de bonnes raisons de joie.

En effet, une série de documents pontificaux commençait à s’attaquer à ces erreurs jusqu’ici considérées insignifiantes ou même censées avoir été inventées par le Président du Conseil de l’Action Catholique de l’archidiocèse de São Paulo. C’était comme si le Pape Pie XII, par une coïncidence étrange et inexplicable, jugeait les mêmes erreurs que le Dr Plinio Corrêa de Oliveira avait dénoncées comme une menace au Brésil, comme existant en fait dans d’autres pays.

En défense de l’Action Catholique a été publié en juin 1943. L’Encyclique Mystici Corporis est parue le 29 du même mois. L’Encyclique Mediator Dei a vu le jour en 1947 ; la Constitution Apostolique Bis Saeculari Die a été publiée en 1948. Ensemble, ces trois documents ont énoncé, réfuté et condamné les principales erreurs traitées dans le livre.

Antero de Figueiredo, un grand auteur littéraire, a également traité des erreurs identiques dans son pays, le Portugal, dans le beau roman, Pessoas de Bem [Honnêtes Gens].

Mais, pourrait-on demander, qui sait si les erreurs qui envahissent l’Europe ont réellement existé au Brésil ? Je répondrais : Est-ce qu’une erreur, quelle que soit sa nature ou son importance, a jamais existé en Europe sans se répandre immédiatement au Brésil ? En tout cas, la lettre de la Sacrée Congrégation des Séminaires au vénérable épiscopat brésilien, datée du 7 mars 1950, montre clairement un souci particulier du Saint-Siège à propos des erreurs similaires au Brésil.

Enfin, si En défense de l’Action Catholique est fondé sur une série d’inventions, pourquoi la lettre écrite à l’auteur au nom du Pape Pie XII par le Substitut de la Secrétairerie d’Etat, Mgr. G.B. Montini, affirme qu’on pourrait souhaiter beaucoup de bien à la circulation du livre ?

Mais l’existence de ces erreurs au Brésil est également confirmée par des témoignages d’ecclésiastiques de haut rang dans ce pays.
Tout d’abord, il est juste de rappeler le nom mémorable de Mgr Sales Brasil, le rival victorieux du laïciste Monteiro Lobato. Dans son livre, Os Grandes Louvores [Les Grandes Louanges], publié en 1943, avec un regard de toute évidence porté sur la scène nationale, il traite de problèmes abordés par En défense de l’Action Catholique. Pour sa part, l’abbé Teixeira-Leite Penido, un grand théologien de renommée internationale, dans son livre, O Corpo Místico [Le Corps Mystique] publié en 1944, mentionne aussi et réfute certaines des erreurs dénoncées par En défense de l’Action Catholique.

Aussi d’une valeur inégalée à ce sujet sont les documents produits par de vénérables figures de l’épiscopat national. En août 1942, la province ecclésiastique de São Paulo a publié une lettre circulaire mettant le clergé en garde contre les abus liturgiques. Le regretté Mgr Rosalvo Costa Rego, vicaire de la cathédrale de Rio de Janeiro, pendant la vacance du siège de l’évêque Sebastião Leme, publia en mai 1943 une Instruction sur des erreurs analogues. Quelques années plus tard, en 1953, une voix aussi puissante que celles mentionnées dans l’Apocalypse s’élève depuis les rangs de la Hiérarchie. C’était celle de Mgr Antonio de Castro Mayer. Dans sa mémorable Lettre Pastorale sur les Problèmes de l’Apostolat Moderne, Mgr Mayer porta contre ces erreurs endurcies un coup qui laissera une marque indélébile dans l’histoire. L’illustre prélat a reçu de nombreuses expressions de soutien de par le pays, réunies par l’éditeur, Editora Boa Imprensa, dans un précieux petit ouvrage intitulé Répercussions. Mais sa lettre pastorale a également été publiée en Espagne, en France, en Italie et en Argentine et a été saluée par la presse catholique presque partout. Son succès est une preuve que le danger qu’elle cherchait à éviter était réel et très répandu.

Bref, l’existence et la gravité des problèmes soulevés par En défense de l’Action Catholique est devenue évidente.

Un lion à trois pattes

Alors, quel a été le résultat final de l’ouvrage ? A-t-il éliminé les erreurs contre lesquelles il a été écrit ? N’est-il pas vrai que les principes de la Révolution française ont une influence croissante, même parmi les catholiques, et que de nombreux dirigeants catholiques montrent une sympathie croissante pour le socialisme et même le communisme ?

Du point de vue de la morale, n’est-il pas vrai que le laxisme a fait de plus en plus d’incursions dans de nombreux milieux catholiques ?

Quelqu’un pourrait-il donc se demander à quoi aura servi la publication de En défense de l’Action Catholique ? Cela reviendrait à se demander à quoi bon publier tous les livres et documents ecclésiastiques que je viens de citer.

En effet, tout cela a fait un grand bien. Nous devons à tous ces livres et documents le fait que, si de telles erreurs continuent d’exister, un grand nombre de personnes les regardent avec dégoût et tristesse, et échappent ainsi à leur influence destructrice.

Nous leur devons aussi le fait que, alors que l’erreur continue toujours à avancer, elle ne le fait plus de manière triomphale ou éhontée. La réaction contre En défense de l’Action Catholique fut d’abord un tollé et puis le silence. Lorsque Bis Saeculari Die arriva au Brésil, il y a eu aussi un vacarme mais surtout du silence. Et quelques années plus tard, la réaction contre la Lettre Pastorale de Mgr Mayer était celle du silence, sans tapage. Bref, une erreur qui perd son dynamisme est comme un lion boiteux à trois pattes – ce qui, en fin de compte, n’est pas un résultat négligeable (2).
À un moment où l’erreur progressait à un rythme rapide et triomphant, la tâche spécifique de En défense de l’Action Catholique était celle de donner l’alerte qui a résonné partout au Brésil, lui fermant les portes de nombreux cercles dans le pays, et ouvrant définitivement la voie à une compréhension plus aisée des documents du Magistère ecclésiastique, déjà existants ou encore à venir.

Pourquoi raconter l’histoire ?

Pourquoi tout ce récit ? Je réponds à cette question par une autre : pourquoi raconter l’histoire ? Et si on va le faire, pourquoi ne pas raconter, au bout de vingt ans, certains fragments de la vérité historique qui – en particulier lorsqu’elle est pleine et entière – ne peuvent que profiter à l’Eglise ?
Tout le monde sait que le geste du Pape Léon XIII en ouvrant les archives du Vatican aux chercheurs, a réveillé les craintes de beaucoup de catholiques. Mais l’immortel Pontife a répondu en disant que la véritable Eglise ne pourrait pas craindre la vérité historique.

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En clôturant ces lignes, je m’adresse à Notre-Dame de l’Immaculée Conception Aparecida, Reine et Patronne du Brésil, pour la remercier pour tout le bien qu’a fait le livre de Plinio Corrêa de Oliveira. Puisse-t-elle unir tout le monde dans la vérité et la charité, pour le bien de la Sainte Mère Eglise et la grandeur chrétienne du Brésil.

Eloi de Magalhães Taveiro (3)

Notes :

1) Sur le rôle de l’abbé Prosper Guéranger dans le mouvement liturgique mondial, voir l’article dans Legionário (13 février 1942) par le regretté archi-abbé de la Congrégation Bénédictine du Brésil, Lourenço Zeller, évêque émérite de Dorilea.

2) De toute évidence ce n’est pas une référence au lion héraldique qui se trouve sur l’étendard rouge de la TFP [brésilienne], qui n’a commencé à être utilisé qu’en 1963.

(3) Cet article a été publié dans la revue mensuelle Catolicismo, Campos (Rio de Janeiro), n° 150, juin 1963.

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