Du Cœur des mères au Cœur des fils: dona Lucilia Ribeiro dos Santos Corrêa de Oliveira

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Le croisé du XXe siècle: Plinio Corrêa de Oliveira, par Roberto de Mattei, L’AGE D’HOMME, 1997, Préface de S.Em. Alfons Maria card. Stickler S.d.B.

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Les parents de Plinio: l’avocat João Paulo Corrêa de Oliveira et dona Lucilia Ribeiro dos Santos

Lucilia Ribeiro dos Santos (61), mère de Plinio, était née le 22 avril 1876 à Pirassununga, dans l’Etat de São Paulo, seconde de cinq enfants. Elle avait passé son enfance dans l’atmosphère domestique tranquille et aristocratique qu’illuminaient les figures de ses parents: Antonio (1848-1909), un des meilleurs avocats de ce temps à São Paulo, et Gabriela (1852-1934). En 1893, la famille s’était déplacée à São Paulo, dans un hôtel du quartier résidentiel des Campos Eliseos. Là, à l’âge de trente ans, Lucilia avait connu et épousé l’avocat João Paulo Corrêa de Oliveira (62), venu du Nord-est du Brésil à São Paulo, peut-être sur la suggestion de son oncle le conseiller João Alfredo.

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João Alfredo Corrêa de Oliveira, grand-oncle de Plinio et président du Conseil des ministres du temps de l’Empire, auteur de la célèbre Lei Aurea qui, en 1888, abolit l’esclavage au Brésil

Tandis que dona Lucilia attendait la naissance de Plinio, son médecin lui annonça que l’accouchement serait risqué et que probablement elle ou l’enfant encourrait la mort. Il lui demanda donc si elle ne préférerait pas avorter afin de ne point mettre sa propre vie en danger. Dona Lucilia répondit d’une manière tranquille mais ferme: “Docteur, ce n’est pas une question à poser à une mère! Vous n’auriez même pas dû y penser!” (63). Cet acte d’héroïsme révèle la vertu d’une vie entière.

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Dona Lucilia ayant dans ses bras son fils Plinio

La vertu – écrit Mgr Trochu – passe facilement du Cœur des mères au Cœur des fils” (64). “Elevé par une mère chrétienne, courageuse et forte – écrit le Père Lacordaire de sa mère – la religion avait passé de son sein dans le mien, comme un lait vierge et sans amertume” (65). Plinio Corrêa de Oliveira rappellera qu’il devait à dona Lucilia l’empreinte spirituelle qui marqua sa vie depuis l’enfance.

Ma mère m’enseigna à aimer Notre Seigneur Jésus-Christ, m’enseigna à aimer la Sainte Eglise Catholique” (66). Je reçus d’elle quelque chose qui doit être pris profondément au sérieux: la Foi catholique Apostolique Romaine ainsi que la dévotion au Sacré Cœur et à Notre Dame (67).

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Statues dans l’église dédiée au Sacré Coeur de Jésus, non loin de la maison des Ribeiro dos Santos (à São Paulo)

La dévotion qui caractérisa la vie de dona Lucilia, à l’époque où Léon XIII avait exhorté à placer dans le Cœur de Jésus “toutes nos espérances (…) à Lui demander et à attendre de lui le salut de l’humanité” (68), fut la dévotion au Sacré Cœur, dévotion par excellence de l’époque moderne (69). Une église dédiée au Sacré Cœur s’élevait non loin de la maison des Ribeiro dos Santos (70). La jeune mère s’y rendait chaque jour, emmenant avec elle Rosée et Plinio. Ce fut là, dans le climat surnaturel qui caractérisait les églises d’autrefois, alors qu’il observait sa mère en prière, que se forma dans l’esprit de Plinio cette vision de l’Eglise qui devait le marquer en profondeur. Je compris – se souviendra Plinio Corrêa de Oliveira – que la source de sa façon d’être était sa dévotion au Sacré Cœur de Jésus à travers Notre Dame (71).

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Dona Lucilia demeura toujours fidèle à la dévotion de sa jeunesse. Dans les dernières années de sa vie, quand ses forces ne lui permettaient plus de se rendre dans une église, elle passait de longues heures en prière, jusque tard dans la nuit, devant une image d’albâtre du Sacré Cœur, intronisée dans le salon principal de son appartement (72).

Dans l’âme de dona Lucilia dominaient la piété et la miséricorde. Il y avait en elle une immense capacité d’affection, de bonté, d’amour maternel qui la caractérisait et se projetait au-delà des deux enfants que lui avait accordés la Providence.

Elle avait une grande tendresse. – disait Plinio Corrêa de Oliveira – Elle était très affectueuse comme fille, comme sœur, comme épouse, très affectueuse comme mère, comme grand-mère et comme arrière grand-mère. Elle poussa son affection aussi loin que possible. Mais j’ai l’impression que quelque chose en elle donne la note caractéristique de toutes ses affections: son caractère de mère. Elle déborde d’amour pour ses deux enfants, mais aussi pour les enfants qu’elle n’a pas eus. On eût dit qu’elle était appelée à avoir des millions d’enfants, et son Cœur brûlait du souhait de les connaître” (73).

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Qui n’a pas connu dona Lucilia peut cependant en deviner la physionomie morale à travers l’image qu’en livrent certaines photographies expressives et à travers les nombreux témoignages de ceux qui la connurent dans sa vieillesse (74). Elle était un modèle de dame parfaite qui eût enchanté saint François de Sales à la recherche de Philothée (75). On peut imaginer que dona Lucilia éduquait Plinio avec les paroles que saint François Xavier adressait à son frère un soir où il l’accompagnait à une réception: “Soyons distingués ad majorem Dei gloriam”.

La perfection des belles manières est le fruit d’une ascèse que l’on peut seulement atteindre par une éducation distillée au cours des siècles et par l’effort distingué de la vertu que l’on rencontre souvent dans les couvents contemplatifs, où une éducation princière est impartie aux jeunes novices. L’homme est composé d’âme et de corps. La vie de l’âme est destinée à se manifester sensiblement à travers le corps, et la charité à s’exprimer extérieurement par les actes de la courtoisie. La courtoisie est un rite social que vivifie la charité chrétienne, elle aussi ordonnée à la gloire de Dieu: “La courtoisie est à la charité ce que la liturgie est à la prière: le rite qui l’exprime, l’action qui l’incarne, la pédagogie qui la suscite. La courtoisie est la liturgie de la charité fraternelle” (76).

Lucilia Ribeiro dos Santos incarnait le meilleur esprit de la vieille aristocratie pauliste. Dans la gentillesse ancien style de sa mère, expression de sa charité surnaturelle, le jeune Plinio vit un amour pour l’ordre chrétien poussé à ses extrêmes conséquences et, en même temps, une répulsion radicale pour le monde moderne et révolutionnaire qui s’affirmait. Dès lors, son attitude aristocratique et l’affabilité de ses manières furent une constante de sa vie. Plinio Corrêa de Oliveira qui dans sa façon d’être rappelait le cardinal Merry del Val, le grand secrétaire d’Etat de saint Pie X, célèbre par l’humilité de son âme et la perfection de ses manières, savait se tenir magnifiquement en société. Sa tenue était exemplaire, sa conversation inépuisable et fascinante.

La Providence voulut que cette empreinte maternelle fût alimentée et renouvelée par un contact quotidien qui perdura jusqu’en 1968, année où mourut dona Lucilia à l’âge de 92 ans.

Notes :

(61) A propos de cette figure extraordinaire, nous renvoyons à la biographie citée de J. S. Clá Dias, avec une préface du Père Antonio Royo Marín o. p. “Il s’agit – écrit ce dernier – d’une authentique et très complète `Vie de Dona Lucilia’ qui peut être comparée aux meilleures `vies de saints’ publiées à travers le monde” (p. 11).

(62) João Paulo Corrêa de Oliveira naquit en 1874 et mourut à São Paulo le 27 janvier 1961. Plus que par son père, à qui il fut lié par une longue et affectueuse cohabitation, la vie de Plinio Corrêa de Oliveira fut illuminée surtout par celle de sa mère, de même que dona Lucilia avait eu de son côté, pour modèle son propre père, Antonio Ribeiro dos Santos.

(63) J. S. Clá Dias, Dona Lucilia, cit., vol. I, p. 123.

(64) Chan. Francis Trochu, Le Curé d’Ars, Librairie Catholique Emmanuel Vitte, Lyon-Paris 1935, p.13. De saint Augustin, à saint Bernard, à saint Louis roi de France, jusqu’à saint Jean Bosco et sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, très grand est le nombre des saints qui reconnurent dans leurs mères la source de leur vertu. Aux origines de la sainteté, ainsi que l’a observé Mgr Delassus, on trouve souvent une mère vertueuse (cf. Mgr Henri Delassus, Le problème de l’heure présente, Desclée de Brouwer, Lille 1904, vol. II, p. 575-576).

(65) P. Baron, La jeunesse de Lacordaire, Cerf, Paris 1961, p. 39. Cf. aussi Geneviève Gabbois, Vous êtes presque la seule consolation de l’Eglise, dans Jean Delumeau (aux soins de), La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, Cerf, Paris 1992, p. 314-315.

(66) P. Corrêa de Oliveira, Un uomo, un’ideale, un’epopea, dans “Tradizione, Famiglia, Proprietà”, n. 3 (1995), p. 2.

(67) J. S. Clá Dias, Dona Lucilia, cit., vol. III, p. 85. “Il y avait un aspect chez maman que j’appréciais beaucoup: elle était une dame tout le temps et jusqu’au plus profond de son âme. Vis à vis de ses enfants, elle gardait une supériorité maternelle qui me faisait sentir le mal que je ferais si je transgressais son autorité. Une telle attitude, de ma part, lui eut causé de la tristesse, parce c’eût été à la fois brutalité et malfaisance. Elle était une dame, elle faisait prévaloir le bon ordre dans tous les domaines de la vie. Son autorité avait de l’aménité. Parfois maman savait punir. Mais sa punition elle-même ou sa répréhension était si pleine de douceur qu’on se sentait réconforté. Vis à vis de Rosée, son attitude était analogue, quoique plus délicate, puisqu’il s’agissait d’une fillette. La répréhension n’excluait nullement la bienveillance, et maman était toujours attentive à la justification que ses enfants voulaient lui donner. Aussi, la bonté constituait-elle l’essence même de sa conduite seigneuriale, ce qui lui conférait une supériorité qu’elle exerçait avec désintéressement et affection par amour de l’ordre hiérarchique” (vol. II, p. 16-17).

(68) Léon XIII, encyclique Annum Sacrum du 25 mai 1889, dans Les sources de la vie spirituelle. Documents pontificaux, Editions Saint-Paul, Fribourg-Paris 1958, vol. I, p. 79. La consécration du genre humain au Sacré Cœur, annoncée par Léon XIII dans son encyclique, eut lieu le 11 juin 1890.

(69) La dévotion au Sacré Cœur a été illustrée par trois documents pontificaux magistraux: les encycliques Annum Sacrum (1889) de Léon XIII; Miserentissimus Redemptor (1928) de Pie XI; Haurietis Aquas (1956) de Pie XII. Le grand apôtre de cette dévotion au XIXe siècle fut le jésuite français Henri Ramière (1821-1884), qui dirigea et développa dans le monde entier l’association “Apostolat de la Prière”. Au Brésil, son grand propagateur fut le Père Bartolomeo Taddei, né à San Giovanni Valle Roveto, en Italie, le 7 novembre 1837. Ordonné prêtre le 19 avril 1862, il entra le 13 novembre de la même année au noviciat de la Compagnie de Jésus et fut envoyé au nouveau Collège saint Louis de Gonzague à Itu, au Brésil. Là, il fonda l’ “Apostolat de la Prière” et commença à diffuser la dévotion au Sacré Cœur qui fut le centre de sa vie. A sa mort, survenue le 3 juin 1913, le nombre des centres de l’ “Apostolat de la Prière”, qu’il avait promu dans tout le Brésil, s’élevait à 1390 avec environ 40.000 zélateurs et zélatrices et 2.708.000 associés. Cf. Luigi Roumanie s.s., Il P. Bartolomeo Taddei della Compagnia di Gesù apostolo del S. Cuore in Brasile, Messaggero del Sacro Cuore, Roma 1924; Aristide Grève, Padre Bartolomeu Taddei, Editora Vozes, Petropolis 1938. Sur la dévotion au Sacré Cœur, cf. l’oeuvre classique de Auguste Hamon, Histoire de la dévotion au Sacré Cœur, Beauchesne, Paris 1923-1945, 5 vol., et, parmi les oeuvres récentes, Francesca Marietti, Il Cuore di Gesù. Culto, devozione, spiritualità, Editrice Ancora, Milano 1991.

(70) L’église, qui s’élevait dans le quartier des Campos Eliseos, avait été construite entre 1881 et 1885 et confiée aux Salésiens. Le Père Gaetano Falcone fut pour de longues années l’estimé recteur du Sanctuaire. Dans cette église, où au fond de la nef droite se trouve une belle statue de Notre Dame Auxiliatrice, se développa la dévotion du jeune Plinio pour la Vierge de Lépante et du Saint Rosaire.

(71) J. S. Clá Dias, Dona Lucilia, cit., vol. I, p. 214.

(72) Id., vol. III, p. 91-92. Dona Lucilia implorait habituellement la protection divine par la prière du psaume 90 et une “neuvaine irrésistible au Sacré Cœur de Jésus” (p. 90-91).

(73) Id., vol. III, p. 155.

(74) Parmi ses qualités, son neveu Adolpho Lindenberg relève la polarisation continue entre le bien et le mal : “Elle a su conserver cette bi-polarisation du bien et du mal. Pour elle, telle action est excellente, telle autre détestable. L’horreur qu’elle a toujours vouée au péché a attiré mon attention en tout temps. Dans mon optique d’enfant ou d’adolescent, au delà de telle vertu ou de telle autre, ce qui me frappait le plus, c’était cette attitude: la notion d’un bien qui doit nous enthousiasmer et pour lequel nous devons nous sacrifier, et la notion d’un mal horrible, détestable et méprisable” (J. S. Clá Dias, Dona Lucilia, cit., vol. II, p. 173).

(75) Le saint savoyard enseigne dans son œuvre célèbre comment une âme peut vivre dans le monde sans respirer l’esprit du monde: “Dieu –  affirme-t-il – commande aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Eglise, qu’ils produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et sa vocation” (Saint François de Sales, Introduction à la Vie Dévote, in Œuvres, Gallimard, Paris 1969, partie I, ch. III, p. 36).

(76) Roger Dupuis s.j., Paul Celier, Courtoisie chrétienne et dignité humaine, Mame, Paris 1955, p. 182.

 

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