Catéchisme des vérités opportunes qui s’opposent aux erreurs contemporaines, VIII — Sur les questions politiques, économiques et sociales

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Armoiries de Mgr Antônio de Castro Mayer, évêque de Campos, Rio de Janeiro

 

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Jésus-Christ a prêché la pauvreté et l’humilité, la préférence pour les faibles et les petits. Une société pénétrée de cet esprit doit éliminer les inégalités de fortune et de condition sociale. Les réformes politiques et sociales découlant de la Révolution française furent, consciemment ou non, d’inspiration évangélique et concourent à réaliser une société vraiment chrétienne.
* Jésus-Christ a prêché l’esprit de pauvreté et d’humilité, la préférence pour les faibles et les petits. Par pauvreté, l’Église entend le détachement des biens de la terre ou un emploi de ses richesses tel qu’elles servent au salut de l’âme et non à sa perte. Ainsi, elle n’a jamais enseigné qu’être riche est intrinsèquement mauvais ; mais seulement qu’il est mauvais de faire un usage désordonné de la richesse. Par humilité, l’Église entend le fait, pour le fidèle, de reconnaître qu’il ne tient rien de lui-même et a tout reçu de Dieu et qu’il doit se mettre à la place qui lui revient. L’existence de classes sociales est donc une condition à la pratique de la vertu d’humilité.
Quant à la préférence pour les faibles et les petits, elle serait impossible dans une société où tous seraient égaux. La Révolution française, dans la mesure où elle a cherché à réaliser une complète égalité politique, sociale et économique dans la société idéale rêvée par ses auteurs, a été un mouvement satanique, inspiré par l’orgueil.
Explication
Il est certain que les inégalités, soit dans le domaine politique, soit dans le domaine social ou économique, ont souvent été iniques et ceci pour deux motifs principaux : soit parce que ces inégalités étaient illégitimes et résultaient de l’oppression ; soit parce qu’elles étaient accentuées au point de nier la dignité naturelle de l’homme ou de lui ôter les moyens de vivre sainement et honnêtement. Un exemple typique d’inégalité exagérée est le sort très dur et immérité dans lequel furent jetés les ouvriers, au XIXe siècle, par suite de la révolution industrielle (Pie XI, Quadragesimo anno, AAS 23, pages 195, 197 et 198). Contrairement à ce qu’on a pu dire, l’Église a accompli son devoir en luttant contre cette situation. Mais, dans cette lutte, son objectif est une société hiérarchisée à l’intérieur des limites de l’ordre naturel. Elle n’a jamais voulu l’abolition de toutes les inégalités légitimes, rêvée par les révolutionnaires et à laquelle travaillent la franc-maçonnerie et autres agents (cf. Pie XII, Radiomessage de Noël 1944, AAS, vol. 37, page 14).
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L’Église doit faire cause commune avec l’ouvrier dans la lutte contre le régime capitaliste.
* L’Église intervient dans les questions sociales pour protéger la loi naturelle. Son objectif n’est pas de favoriser une classe au détriment d’une autre, mais de faire régner dans les relations entre les classes la doctrine de Jésus-Christ. Elle appuie les justes aspirations des ouvriers autant que les droits authentiques des patrons. Le régime capitaliste, en tant que fondé sur la propriété privée, est, en soi, légitime. L’Église combat ses abus, mais ne favorise pas sa destruction.
Explication
Se généralise parmi les catholiques l’idée selon laquelle l’Église est une sorte de parti travailliste dont la finalité serait la défense d’une seule classe. Or, contrairement à cela, l’Église se tient au-dessus des classes comme au-dessus des partis. Même quand elle défend les justes revendications des ouvriers, jamais elle ne méconnaît les droits des patrons. Il n’y a pas longtemps, dans une allocution à l’occasion du Katholikentag (journée catholique) de Vienne (14 septembre 1952 ; cf. Catolicismo nº 24, décembre 1952), le pape a déclaré bien clairement que la question ouvrière, brûlante dans la première moitié de ce siècle, était déjà dépassée par une autre question plus grave, celle de la lutte des classes insufflée par le socialisme. Il est plus nécessaire que jamais de montrer que l’Église est la protectrice de tous, ouvriers et patrons, et non pas seulement l’avocate systématique des uns contre les autres.
Quant au capitalisme, il convient de dissiper la confusion qui s’est établie à son endroit dans le langage courant. Le régime capitaliste en soi, c’est-à-dire en tant que système fondé sur la propriété privée et sur la libre initiative, et autorisant des bénéfices dans la mesure permise par la morale, est légitime et ne peut être confondu avec les abus auxquels il a en fait donné lieu en beaucoup d’endroits.
Il convient de distinguer la légitime défense des organisations ouvrières saines contre les abus du capitalisme, de la lutte des organisations révolutionnaires qui proclament l’illégitimité du régime capitaliste en soi. Quiconque s’associe à l’action de ces dernières organisations collabore avec le communisme et encourt le blâme contenu dans la lettre de la sacrée congrégation des Séminaires à l’épiscopat brésilien : « Pour quelques-uns, ne sont pas suffisantes, sur le terrain social, les directives si humaines, si sagement favorables aux classes ouvrières, que le Saint-Siège, principalement de Léon XIII à Pie XII, a promulguées, mais ils tâchent de s’approcher toujours plus de la gauche, jusqu’à entretenir une vraie sympathie envers le communisme bolchévique destructeur de la religion et de tout le vrai bien de la personne humaine » (AAS 42, page 841).
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Le régime de salarié est contraire à la dignité de l’homme et intrinsèquement injuste. La condition de travailleur comporte naturellement un droit de participation à la propriété de l’entreprise, à sa direction et à ses bénéfices.,
* Le régime de salarié est entièrement conforme à la dignité de l’homme et du chrétien. Le contrat de travail n’implique pas comme conséquence nécessaire la participation du travailleur à la propriété, à la direction ou aux bénéfices de l’entreprise.
Explication
Léon XIII, saint Pie X, Pie XI (voir Quadragesimo anno, AAS 23, page 199) et Pie XII, enseignent que le régime du salarié est en soi juste et conforme à la dignité humaine. L’économie malsaine des XIXe et XXe siècles a ôté au régime du salaire son véritable caractère. Selon la doctrine de l’Église, les relations entre patrons et ouvriers sont revêtues d’un caractère familial. Les employés, autrefois, étaient considérés comme membres à part entière de la société domestique, qui comprenait les époux, la famille et l’ensemble de la communauté soumise au maître de maison. Le mot « patron » provenant de « pater », père, et le mot « domestique » [criado], dérivé du fait que les domestiques étaient formés et éduqués dans la propre maison [casa en portugais, domus en latin] du père, rappelle bien ce caractère. Cela suffit à montrer qu’il n’y a rien de dépréciatif dans la condition d’employé salarié. Même dans le milieu industriel et commercial, le caractère familial de ces relations doit se poursuivre. L’Église veut que patrons et ouvriers soient entre eux, dans la mesure du possible, comme les membres d’une même famille, père et fils, qui collaborent au bien-être commun.
Au point de vue de la justice, le salaire est un système de rémunération satisfaisant, dès lors qu’il réalise les conditions fixées par Pie XI, c’est-à-dire qu’il suffit à permettre l’entretien honnête et digne de l’ouvrier et de sa famille. Dans l’entretien honnête et digne, on inclut ce qui est nécessaire à l’ouvrier prévoyant pour se constituer un pécule et améliorer la situation de sa propre famille, de sorte qu’il participe également à l’augmentation de bien-être que le progrès de la technique et de la production amène à la société (cf. Quadragesimo Anno : « Les ressources que ne cessent d’accumuler les progrès de l’économie sociale doivent donc être réparties de telle manière entre les individus et les diverses classes de la société, que soit procurée cette utilité commune dont parle Léon XIII, ou, pour exprimer autrement la même pensée, que soit respecté le bien commun de la société tout entière » (AAS 23, page 196).
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Selon saint Augustin, l’unique propriétaire des richesses est Dieu. L’homme n’en est que le gérant. Les richesses appartiennent donc à la collectivité et le propriétaire n’en est que le simple administrateur en vue du bien commun.
* Selon saint Augustin, le suprême propriétaire des richesses est Dieu. De là il découle que le propriétaire doit faire usage de ses biens selon la volonté souveraine de Dieu. Dieu cependant ne s’identifie pas à la collectivité. Si l’empire de Dieu sur toutes les richesses est absolu, celui de la collectivité ne l’est pas. Transférer les droits de Dieu à une collectivité équivaut à diviniser l’État et à immoler l’individu.
Explication
La proposition réfutée est « étatolâtre ». C’est pourquoi elle arrive à des conclusions qui ne sont admissibles que dans une conception qui fait de l’État un dieu. En réalité, le régime de propriété individuelle procède de la conception selon laquelle l’État n’est ni un dieu, ni une fin en soi, mais plutôt un moyen. Pour cette raison, la condition de propriétaire consiste dans l’exercice d’un droit personnel et propre, et non pas dans l’exercice d’un droit délégué par l’État. C’est pourquoi nous disons que le propriétaire ne peut être, en aucune manière, confondu avec un simple gérant.
Ce qui caractérise le gérant, en effet, c’est l’exercice de droits qui ne lui sont pas propres, mais qui lui ont été délégués. Et c’est la raison pour laquelle la distinction entre propriétaire et gérant est courante dans les législations des pays non communistes (cf. Quadragesimo anno, AAS 23).
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L’unique titre de propriété, dans le sens strict du terme, est le travail, en sorte que l’homme est seulement propriétaire de ce qu’il produit personnellement. Les richesses naturelles qu’il possède ne lui appartiennent pas d’une manière absolue. Il n’en est que l’administrateur et ne les possède que dans la mesure où il les administre, du fait que leur propriété absolue appartient à la collectivité.
* Léon XIII enseigne que le titre originaire de la propriété n’est pas le travail, mais l’occupation. En sorte que l’homme est propriétaire non seulement du fruit de son travail, mais aussi des richesses naturelles, c’est-à-dire non seulement du fruit de la terre, mais aussi de la terre elle-même. Il pourra exploiter celle-ci personnellement ou par d’autres.
Explication
La phrase réfutée rejoint ce qu’on appelle le « socialisme agraire » qui nie la propriété de la terre. Cette opinion est condamnée par les sociologues catholiques qui s’appuient sur l’argumentation avec laquelle Léon XIII, dans Rerum Novarum, justifie la propriété privée. Et, de fait, dans cette encyclique, le pape montre que l’homme a droit aussi aux biens-fonds légitimement acquis. Voir aussi la doctrine de Quadragesimo Anno, reproduite dans l’explication du numéro 71. Dans la même encyclique, Pie XI rejette directement l’opinion de ceux qui voient dans le travail l’unique titre de propriété.
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De soi, la terre n’est pas susceptible d’appropriation individuelle, car elle appartient à la collectivité. Ainsi, les personnes qui vivent de la terre doivent payer à la collectivité les avantages qu’elles tirent de son utilisation exclusive. Cette redevance, l’État peut la percevoir au moyen d’un système tributaire qui fasse retomber sur la terre tous les impôts. Et comme la terre est la source de tous les biens, un tel tribut doit suffire à pourvoir à tous les besoins de l’État.
* La terre, comme tout autre bien meuble ou immeuble, est susceptible d’appropriation individuelle. Ainsi, le propriétaire de la terre ne doit aucunement à l’État un quelconque tribut pour son utilisation exclusive. Les impôts doivent retomber sur les propriétaires autant que sur tout autre personne, selon la justice distributive. La terre n’est pas le fonds unique des biens économiques. Un tribut qui retomberait exclusivement sur la terre subvertirait l’économie privée et serait insuffisant pour supporter les dépenses normales de l’État.
Explication
La phrase réfutée est une des thèses classiques du « socialisme agraire » d’Henri George. L’Église est loin de s’associer à cette phobie de la propriété foncière. Dans cette propriété, elle voit, tout au contraire, un appui précieux apporté à la stabilité des familles, des classes sociales, des associations pieuses et charitables, ainsi que des instituts ecclésiastiques.
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Les grandes propriétés sont intrinsèquement mauvaises parce que contraires à la doctrine chrétienne qui n’admet que la petite propriété, plus conforme à l’égalité qui doit régner entre les hommes.
* Il est désirable que la propriété se répartisse le plus possible entre les hommes comme apanage naturel de la personnalité. La prospérité sociale, cependant, comporte et parfois exige qu’à côté de la petite propriété, il existe de moyennes et grandes propriétés. L’égalité entre les hommes doit s’entendre non dans le sens niveleur, mais dans le sens proportionnel : les droits et les responsabilités correspondent à la situation que la personne occupe dans la société.
Explication
Comme la propriété remplit aussi une fonction sociale, cela implique des limites nécessaires à la grande propriété : quand elle favorise l’improductivité des richesses au détriment du bien commun ; quand elle concentre tellement les richesses dans les mains de quelques-uns qu’elle réduit les autres à la misère, à l’indigence ou à la servitude ; quand elle empêche une notable partie des hommes de devenir propriétaires. (Voir l’explication de la proposition 71.)
Sur la légitimité des grandes propriétés, le pape Pie XII s’est prononcé dans l’allocution du 2 juillet 1951 aux membres du Congrès réuni à Rome pour étudier l’amélioration des conditions de vie de l’ouvrier agricole (AAS 43, page 554 sq.). Après avoir parlé de la convenance de la petite propriété rurale (« Nous pensons ici d’abord à l’exploitation paysanne, à l’exploitation familiale : telle est la classe rurale qui, par l’ensemble de son caractère social, et aussi par son rôle économique, forme comme le noyau d’une saine paysannerie »), le pape a ajouté : « Cela ne revient pas à nier l’utilité, souvent la nécessité, d’exploitations agraires plus vastes. »
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La question sociale est une question de simple justice dans l’ordre économique. Pour la résoudre on ne doit pas faire appel à la charité.
* La question sociale est avant tout une question morale et religieuse (Léon XIII, Graves de communi). Elle englobe des questions de justice et de charité et, jamais, elle ne sera résolue par la pratique des simples devoirs de justice.
Explication
La proposition réfutée est cohérente avec le matérialisme historique qui ne prend pas en considération, dans la question sociale, l’existence de l’âme humaine, mais seulement le corps et ses nécessités. De fait, l’Église enseigne que la question sociale est avant tout morale ; et comme toutes les questions morales sont religieuses, elle est essentiellement religieuse.
Léon XIII, dans Rerum novarum, enseigne que la question sociale n’a de solution possible que si l’on admet deux principes : 1º l’inégalité sociale ; 2º la nécessité de l’union des classes sociales. En développant ce second principe, il indique les moyens qui doivent être mis en œuvre pour arriver à cette union, à savoir :
a) la justice ;
b) l’amitié, qui porte les riches à remplir non seulement leurs devoirs de stricte justice, mais aussi à être généreux pour ce qui regarde leur superflu. Il ajoute que ce devoir d’aumône est une véritable obligation morale et que la Providence en a disposé ainsi pour favoriser l’union entre les classes. Ce fut le dessein de la Providence, en donnant aux uns plus qu’aux autres, soit en matière de talents, soit en matière de richesses, que les uns servent les autres en distribuant leur superflu et que tous vivent ainsi unis et amis ;
c) en troisième lieu, le sentiment de la charité chrétienne qui, en inspirant les diverses relations qui s’établissent entre les classes, imprègne la vie sociale de cette suavité ordonnée qui est la perfection de la vie humaine en commun.
Léon XIII, donc, est loin de restreindre la question sociale aux limites étroites et mesquines du « do ut facias ». Il envisage la question d’une manière humaine, considérant que Dieu Notre-Seigneur a fait toutes les créatures pour une même fin ultime, laquelle doit être obtenue par l’aide multiforme que se donnent, ici-bas, les uns et les autres.
Dans Graves de communi, écrit dix ans plus tard, en 1901, Léon XIII déclare catégoriquement qu’on ne résoudra pas la question sociale par des augmentations de salaire, par la diminution des heures de travail ou par d’autres mesures de ce genre ; la paix sociale est le fruit de la vertu que seule la religion peut implanter solidement.
La même doctrine est enseignée par Pie XI dans Quadragesimo anno, qui désigne la cause des maux de la société dans le développement de l’économie réalisée en marge des principes moraux et même contre ces principes.
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L’Église s’est trompée dans le passé lorsqu’elle a approuvé les régimes monarchiques et aristocratiques qui favorisent les inégalités et l’orgueil de classe, et qui sont, par suite, incompatibles avec l’esprit évangélique.
* En soi, l’Église considère également compatibles avec ses principes et, donc, avec l’esprit évangélique, les trois régimes monarchique, aristocratique et démocratique. Saint Thomas enseigne qu’en principe, le meilleur régime est le monarchique, mais qu’étant données les contingences humaines, le meilleur système de gouvernement doit compter des éléments de chacun de ces trois régimes (I-II, q. 105, a. 1, c et ad 1).
Explication
La phrase réfutée fut condamnée par saint Pie X dans la lettre apostolique Notre charge apostolique contre le Sillon, organe de propagande à tendance moderniste dirigé par Marc Sangnier. Dans ce document, le saint pape déclare que la civilisation chrétienne, selon Léon XIII, est possible en l’une quelconque des trois formes de gouvernement.
De plus, la phrase réfutée procède du présupposé faux selon lequel l’égalité entre les hommes a été enseignée par Jésus-Christ. Tous les documents pontificaux se rapportant aux questions sociales établissent comme fondement voulu par la Providence l’inégalité des classes. Ainsi, par exemple : Rerum novarum, Quadragesimo anno, le Radiomessage de Noël 1944, etc.
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La démocratie chrétienne consiste dans le gouvernement du peuple, c’est-àdire de la majorité.
* « Démocratie chrétienne » est une expression employée pour indiquer tout gouvernement qui promeut le bien commun sous la loi de Dieu, que ce gouvernement soit monarchique, aristocratique ou démocratique. C’est ce qu’enseigne Léon XIII quand il dit que la démocratie chrétienne « ne doit absolument pas avoir en vue de préférer ou de préparer une forme de gouvernement pour la substituer à une autre » (Graves de communi). La forme démocratique de gouvernement est compatible avec la doctrine de l’Église dans la mesure où elle signifie la participation du peuple aux affaires publiques. Mais, par « peuple », l’Église n’entend pas la majorité numérique, inorganique, c’est-à-dire la masse ; mais bien toute la population, compte tenu des légitimes différenciations de classe, de région, etc. La démocratie légitime n’est donc pas la domination des classes les plus nombreuses sur les moins nombreuses, de la masse sur l’élite, mais l’influence juste et proportionnée des classes, familles, régions et groupes sociaux dans les affaires publiques.
Explication
La différence entre la conception catholique et la conception courante de la démocratie provient d’une manière différente de comprendre le mot « peuple ». Pour l’Église, le peuple est, en un certain sens, le contraire de la « masse ». Pie XII dit : « Peuple et multitude amorphe (ou, comme on a coutume de l’appeler, masse) sont deux concepts différents. Le peuple vit et se meut par sa vie propre ; la masse est de soi inerte, et elle ne peut être mue que de l’extérieur. Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun, à sa place et de la manière qui lui sont propres, est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions. La masse, au contraire, attend l’impulsion du dehors, jouet facile entre les mains de quiconque en exploite les instincts et les impressions, prompte à suivre, tour à tour, aujourd’hui tel drapeau et demain tel autre. L’exubérance vitale d’un vrai peuple répand la vie, abondante et riche, dans l’État et dans tous ses organes, leur infusant, avec une vigueur sans cesse renouvelée, la conscience des propres responsabilités, le sens vrai du bien commun » (Radiomessage de Noël 1944).
Or, pour le commun des démocrates, le peuple est précisément ce que Pie XII appelle la masse. C’est ce qui ressort des paroles du pape glorieusement régnant :
« Dans le domaine national et constitutionnel. Partout, actuellement, la vie des nations est désagrégée par le culte aveugle de la valeur numérique. Le citoyen est électeur. Mais, comme tel, il n’est en réalité qu’une des unités, dont le total constitue une majorité ou une minorité, qu’un déplacement de quelques voix, d’une seule même, suffira à inverser. Au regard des partis, il ne compte que pour sa valeur électorale, pour l’appoint qu’apporte sa voix ; de sa place et de son rôle de père de famille et dans la profession, il n’est pas question. » (Allocution aux dirigeants du Mouvement universel pour une confédération mondiale, le 6 avril 1951).
A propos de la démocratie, il convient d’ajouter que jamais, dans le sens acceptable du mot, elle ne s’identifie avec le mythe révolutionnaire de la souveraineté populaire. Tout pouvoir vient de Dieu. Le peuple, – et, par « peuple », on entend ce qui a été défini ci-dessus, en opposition avec la masse, – ne peut tout au plus que choisir ceux qui gouverneront avec l’autorité qui leur vient de Dieu.
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Les catholiques doivent préférer le socialisme au libéralisme.
* Les catholiques ne doivent accepter ni le libéralisme, ni le socialisme.
Explication
Selon la doctrine de l’Église, tant le régime libéral que le régime socialiste sont mauvais ; et quand ils sont portés à leurs ultimes conséquences, ils produisent la complète subversion de la vie sociale.
Les catholiques doivent donc chercher l’instauration d’un régime qui s’enracine dans un terrain entièrement différent. La proposition réfutée a le défaut de situer le libéralisme comme le contraire du socialisme. En réalité, comme l’affirme Léon XIII, le libéralisme est une des causes du socialisme, car, selon la tendance laïque et inorganique de notre époque, il est impossible de sortir d’un extrême sans tomber dans un autre. Examinons une société livrée au paganisme : Si l’autorité se montre libérale et condescendante, si les lois accordent une grande facilité de mouvement aux particuliers, le déchaînement alarmant des passions produit forcément l’anarchie. Le maintien de l’ordre exige alors une telle multiplicité de lois, de décrets, de règlements, un si grand nombre d’interventions publiques pour assurer la marche des innombrables fonctions de l’État, que le citoyen isolé, désarmé, terrorisé, devient en peu de temps un grain de poussière, un esclave inerte devant l’État Moloch.
Les fondements de la vraie solution, opposée au libéralisme et au socialisme, se trouvent dans les paroles suivantes du souverain pontife : « L’État ne contient en soi, ni ne réunit mécaniquement en un territoire donné, une agglomération amorphe d’individus ; il est et doit être, dans la réalité, une unité organique et organisatrice d’un vrai peuple » (Message de Noël, 1948).

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