Folha de S. Paulo, 17 août 1977
Par Plinio Corrêa de Oliveira
1964: Paulo VI em Jerusalém com o patriarca Atenágoras
J’ai délimité avec précision mon thème. Mon intention n’est pas de traiter de l’« affaire » Lefèbvre, mais seulement d’un de ses aspects. Et cet aspect concerne moins l’ « affaire » elle-même, ou la personne de Mgr Lefèbvre, que la psychologie de certains opposants qui viennent de tout mettre en œuvre pour entraver l’action de l’archevêque en Amérique latine.
Si je me limite à ce domaine très restreint du vaste « thème Lefèbvre », ce n’est pas parce que la complexité et la délicatesse des autres domaines me paralysent. Et encore moins parce que j’ai des réserves sur la personne du prélat français. Mais pour une autre raison.
L’affaire Lefèbvre est essentiellement théologique. Jusqu’à une date récente, toutes les difficultés entre l’archevêque – qui est à la fois le fondateur et le mentor du séminaire d’Ecône, et de toute une vaste œuvre spirituelle qui se répand en Europe et en Amérique – et Paul VI, étaient exclusivement d’ordre théologique. Et cela est resté essentiellement et immuablement théologique à travers les aventures – pas toutes théologiques – dans lesquelles cela s’est déroulé.
Or, mes prises de position constantes sur des questions civique-religieuses de toute nature, tant nationales qu’internationales – dont beaucoup dans des articles écrits ces dernières années dans “Folha” – font qu’il n’est pas opportun pour moi d’intervenir dans des questions théologiques, qui sont plus appropriées pour un ecclésiastique que pour un laïc.
D’où mon silence, dans cet article, précisément sur les questions les plus nobles et les plus essentielles que l’« affaire » Lefèbvre met en lumière.
Cela dit, et une fois que la poussière publicitaire du passage de Mgr Lefèbvre en Amérique du Sud sera retombée, je passerai à l’aspect civique-religieux de l’affaire Lefèbvre.
Permettez-moi de commencer par dire que j’éprouve depuis longtemps de la sympathie et un respect sincère pour la personne de Mgr Marcel Lefèbvre.
Je l’ai rencontré lors du Concile Vatican II. À l’époque, avec Mgr. Antônio de Castro Mayer, évêque de Campos, Mgr. Geraldo Sigaud, archevêque de Diamantina, Mgr. Luigi de Carli, évêque de Segni, et bien d’autres, il formait la vaillante cohorte antiprogressiste et anti-communiste, dont le travail constitue la grande page brillante de l’histoire de ce Concile. Ensuite, en 1967 et 1974, je l’ai reçu au Brésil. Lors de ces contacts, j’ai profité de l’occasion pour découvrir en détail l’œuvre d’Ecône, qui se modelait entre ses mains admirables.
Je garde de ces contacts plusieurs souvenirs photographiques. Des souvenirs où il apparaît insouciant et souriant, encore loin de la dévastation qui ne viendra que plus tard.
La personnalité de Marcel Lefèbvre, profondément ecclésiastique en tout et pour tout, pieuse, sereine, distinguée, et discrètement rehaussée par le “charme” de l’esprit et des manières que confèrent l’éducation et la culture françaises. Je ne pense pas avoir besoin d’en dire plus dans ces colonnes pour expliquer l’impression que me fait le brave prélat.
Vais-je ajouter à cet éloge, dont chaque mot a été pesé et mesuré, un autre ? Mgr Lefèbvre m’apparaît comme un ami de la politique des cartes sur table. C’est exactement ce que je suis. Et c’est parce que je me sens proche de lui sur ce point que je suis particulièrement heureux de préciser ici ma position à son égard.
Cela dit, j’ai le sentiment que ce tour d’horizon de Mgr Lefèbvre ne serait pas complet si je n’ajoutais pas une dernière information. Depuis quelques mois, Mgr Lefèbvre, sans quitter les hauteurs théologiques sur lesquelles il se trouve, s’est aussi prononcé doctrinalement sur l’enseignement social de l’Église. Je ne peux pas garantir que toutes ces prises de position ont été portées à ma connaissance. Celles que j’ai lues me semblent doctrinalement irréprochables et très opportunes. J’apprécie particulièrement la position du prélat contre le communisme : lucide, courageuse et directe. Je n’ai pas besoin d’ajouter que, comme lui, je suis en désaccord ouvert avec l’Ostpolitik du Vatican, sur laquelle j’ai publié tant de choses dans des livres et dans la presse quotidienne.
Comme le monde serait différent si tous les évêques faisaient preuve de la noble bravoure de Mgr Lefèbvre contre le communisme !
Cela étant dit, venons-en enfin au sujet qui m’intéresse plus particulièrement.
Au Mexique, il existe une séparation entre l’Église et l’État. Séparation qui, du côté de l’État, est rance et méticuleuse, au point que la loi civile interdit aux ecclésiastiques de porter la soutane. Au sens strict, cette séparation devrait impliquer un détachement scrupuleux du pouvoir temporel des affaires religieuses. Or, c’est généralement le cas. Ainsi, les pouvoirs publics assistent indifféremment à la prolifération de toutes sortes d’hérésies. Dans le droit fil de cette attitude, le gouvernement mexicain devrait s’abstenir de toute ingérence dans les affaires internes de l’Église. Et que l’Église, à son tour, ait le bon sens de ne pas rechercher l’assistance de ceux qui la répudient avec tant de dédain.
Or, dès l’annonce de la visite de Mgr Marcel Lefèbvre au Mexique, le gouvernement de cette grande – et si amicale – nation d’Amérique centrale a ordonné à tous ses consulats de lui refuser un visa pour son passeport. Pourquoi ? Qu’y a-t-il de commun entre le gouvernement mexicain, solidement laïc et notoirement de gauche, et l’épiscopat de ce pays, qui s’est manifestement réjoui du veto du gouvernement à l’égard de Mgr Lefèbvre ?
Il s’est passé quelque chose de semblable en Argentine. L’État, bien qu’uni à l’Église, n’a pas mis son veto à l’entrée de Mgr Lefèbvre. Cependant, il a manifesté son mécontentement à l’égard de sa visite. Une fois de plus, pourquoi le gouvernement s’acharne-t-il sur l’épiscopat argentin, visiblement satisfait ?
Des faits de cette nature peuvent difficilement être réduits à une seule cause. Mais parmi les nombreuses qui ont pu y contribuer, il y a sans aucun doute la suivante : ces deux gouvernements ont agi d’une manière si inhabituelle, désireux de plaire à leurs épiscopats respectifs et bien conscients qu’ils leur plaisaient en fait.
Et c’est là que se pose la question. Ces évêques qui, sous l’influence de Vatican II, sont ouverts à une relation œcuménique et cordiale avec toutes les hérésies, et dans leurs rangs il y en a même qui pratiquent l’œcuménisme avec les Rouges, pourquoi jettent-ils cet œcuménisme aux orties quand il s’agit de Monseigneur Lefèbvre ? Pourquoi va-t-on jusqu’à faire intervenir la puissance de l’État contre lui, comme si nous étions au Moyen-Âge, ce qui, j’en suis sûr, ne manque pas du tout à ces mêmes évêques ?
Si l’œcuménisme de ces épiscopats a les deux côtés, de sorte qu’il ouvre la voie à certains et pas à d’autres, alors qu’est-ce que c’est ? D’un œcuménisme authentique ou d’une partialité voilée en faveur de certains, c’est-à-dire des hérétiques, des schismatiques, des communistes, et d’une partialité ouverte contre d’autres, c’est-à-dire ceux qui attaquent le communisme, les hérésies et les schismes ?
Il en va de même pour le comportement du cardinal Silva Henriquez, archevêque de Santiago. Il n’y a pas un geste d’amitié qu’il n’ait fait à l’égard du marxiste Allende. Mais ce n’est qu’avec l’arrivée de Mgr Lefèbvre à Santiago que le doux pasteur, ami des rabbins et des missionnaires protestants, n’a pas ménagé ses critiques. L’œcuménisme n’est qu’en faveur du communisme et des anticatholiques de tout poil ? Mais alors, qu’est-ce qu’un tel œcuménisme si ce n’est une connivence avec les ennemis de l’Église ?
Mutatis mutandis, on pourrait poser la même question à l’épiscopat colombien qui, moins irrité que l’ancien cardinal chilien, a lui aussi fait la grimace à Mgr Lefèbvre.
Et voilà l’enjeu. Il montre l’un des aspects les plus tristes et les plus inquiétants de l’œcuménisme de cette Église postconciliaire, dont Paul VI disait si justement qu’elle était en proie à un mystérieux processus d’auto-démolition (discours du 7-12-68) et pénétrée par les fumées de Satan (discours du 29-6-72).
Note: Le grasset a été mis par notre site.