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Chapitre
IX
1. La classe ouvrière n'est pas socialiste
Ignacio Sotelo, qui a été le secrétaire fédéral du PSOE pour la Culture, de
1979 à 1981, et qui a été élu en janvier 1988 au Comité fédéral, fait cette
observation révélatrice sur la densité révolutionnaire de la classe
ouvrière dans les pays occidentaux : «De fait, la classe ouvrière, arrivée
à un certain stade de développement technologique, tend à diminuer par
rapport au reste de la population, et on peut avoir les doutes les plus
fondés sur ses élans révolutionnaires dans la 'société de consommation'»[1].
Il poursuit: «Il n’existe aucune évidence empirique de ce que la classe
ouvrière se maintienne plus fidèle ou penche davantage au socialisme que les
autres secteurs moyens»[2].
Enrique Ballestero, spécialiste du PSOE en politique agraire, conscient de
cette réalité et soucieux de maintenir la popularité socialiste, avertit :
«Il est déplacé de se faire passer pour extrémiste dans les meetings
paysans»[3].
2. La jeunesse non plus
Une résolution du XXIXe Congrès du PSOE formule cette plainte : «Le PSOE
possède une faible militance en provenance des jeunes générations de la
société, puisque la tranche d’âge comprise entre 18 et 25 ans ne représente
que 6 % de nos effectifs. Au contraire, pour les tranches d’âge supérieures
à 50 ans, la proportion des affiliés au Parti Socialiste dépasse, souvent de
loin, celle de la population en général. (...) Le Parti Socialiste est donc
actuellement un parti dont la militance est majoritairement âgée, mais
dirigé par des militants majoritairement jeunes. (...) Le Parti Socialiste
ne compte qu'un militant tous les 155 électeurs jeunes»[4].
Plus récemment, une note confidentielle du PSOE reconnaît «que le parti est
encore faiblement représenté dans le milieu juvénil»[5].
Etant l'objet de cette désaffection parmi les jeunes, comment le PSOE
peut-il se vanter d'être le parti de l'avenir ?
3. Peu de militants et peu d'enthousiasme
Le nombre total de militants du PSOE, selon les données officielles de
janvier 1987, était de 185.664. Autrement dit, après 5 ans au pouvoir, cela
ne représentait que 0,5 % de la population. Tierno Galvan calculait que le
total effectif ne dépassait pas «les cinquante mille», ajoutant : «Et ce
sont des militants engagés avec le pouvoir»[6].
Par ailleurs, le sociologue José Félix Tezanos, membre important de
l'intelligentsia du PSOE, dans une enquête sur leur militance effective,
constatait que parmi les affiliés :
– ont payé leur cotisation 70,2 %
– sont passés dans les locaux du parti 68,2 %
– ont assisté à une assemblée ou réunion interne 67,2 %
– ont suivi des cours ou conférences du parti 35,5 %
– ont assisté à des séances culturelles 22,6 %
– ont participé à des groupes de travail ou d'étude 20,1%
– ont recueilli des fonds pour le parti 17,8 %
– ont participé à des campagnes spéciales 17,5 %
– ont collé des affiches de propagande 13,9 %
– ont pris part à des caravanes de propagande 8,8 %
– ont tenu des stands 5,4 %[7].
Txiki Benegas, «lors de la IIème rencontre sur l'Avenir du socialisme», a
reconnu «qu'au parti socialiste 'prédominent les composantes de
participation formelle et qu'on observe une tendance régressive de
l'activité la plus militante'»[8].
4. Il n'entraîne pas l'opinion publique
Dans le monde entier, reconnaît Alfonso Guerra, le socialisme perd sa
capacité de mobiliser les masses : «Le socialisme d'aujourd'hui n’est-il pas
en orthodoxie avec ses principes ? Nos prévisions seraient-elles par hasard
décollées de la réalité ? Il faut se poser le problème très crûment, ne
serait-ce que pour ne pas porter la responsabilité de la perte de capacité
générale de mobilisation en train de se produire dans le socialisme»[9].
En Espagne, les meetings électoraux constituent des exemples marquants de la
désaffection populaire pour le socialisme. El Pais a constaté, peu avant les
élections générales de 1986, le fait suivant : «Deux cents personnes - d'un
âge avancé, comme il est maintenant de coutume pour les réunions du PSOE -
sont venues écouter José Maria de la Riva, candidat-député pour Madrid, et
José Barrionuevo»[10].
Attention, Messieurs les socialistes, la partie a commencé depuis longtemps,
mais les tribunes sont vides!
5. Il a besoin de l'anesthésier...
Pourrait-il en être autrement ? En effet, le PSOE est arrivé au pouvoir pour
réaliser une oeuvre révolutionnaire et il ne s'y maintient que grâce à une
torpeur généralisée. L'opération d'anesthésie de la société espagnole a une
efficacité corrosive indéniable. Mais elle présente des risques non moins
certains, si l'on considère que, pour avancer, le socialisme doit endormir
le public et cacher l'aspect global de sa néo-révolution.
Autrement dit, les socialistes se sont aventurés sur une route dont ils
ignorent le tracé, au milieu d'un brouillard épais : comment savoir au juste
ce que pense la majorité des Espagnols sur ce qui est en train de se passer
?
Le personnage de notre couverture, complètement bandé, soumis à une série de
piqûres et d'interventions chirurgicales, ne peut ni bouger ni exprimer ce
qu'il pense sur les transformations qu'il subit. C'est l'image parfaite
d'une opinion publique prise dans les rets de la néo-révolution silencieuse.
6. ... mais il craint le réveil
Si à un moment donné, le nombre de ceux qui manifestent leur défiance, leur
réprobation ou leur protestation se met à croître, quel effet cela
pourra-t-il produire sur l'Espagne psycho-opérée ? Restera-t-elle dans son
apathie ou réagira-t-elle en arrachant ses bandages et en opérant un
changement soudain dans les orientations du pays ?
Les plus hauts dirigeants du Parti Socialiste semblent conscients de ce
risque. Ils savent qu'ils agissent devant une opinion publique anesthésiée
et ils le laissent souvent transparaître. Ils avancent sur un terrain miné,
où aucune précaution n'est suffisante.
Dès 1976, Ignacio Sotelo avait prévenu : «dans un délai relativement bref,
quelques erreurs graves du Parti Socialiste suffiraient à transformer la
majorité de la population en anti-socialistes furieux»[11].
Les résolutions du XXVIIe Congrès du PSOE ne sont pas moins claires sur la
gravité de ce risque quand elles affirment qu'opérer «du jour au lendemain»
la transformation de la société «pourrait entraîner le soulèvement de vastes
secteurs de la classe moyenne contre le socialisme»[12].
Felipe Gonzalez lui-même signale combien le PSOE doit éviter toute
précipitation : «il faut conduire [le projet socialiste] en suivant le
conseil des guides de l'Himalaya : gravir comme si on avait 80 ans pour
arriver comme si on en avait 20»[13]. NOTES
[1] «Problèmes actuels du
socialisme européen», in Sistema n° 15, octobre 1976, pp. 22-23.
[2] Ibid., p. 23.
[3] Enrique
Ballestero, La politica agraria del socialismo español, Mañana Ed., Madrid,
1979, p. 15.
[4]
PSOE, Resoluciones - XXIX Congreso del PSOE, 1981, p.
225.
[5] Cf. El Pais,
29/1/87.
[6] Diario 16,
20/1/86.
[7] Ya, 18/8/86.
[8] Apud Juan G. Ibanez,
«Tendance régressive dans l'activité la plus militante», El Pais, 14/9/86.
[9]
Alfonso Guerra y otros, El futuro del socialismo, ed. Sistema, Madrid, 1986,
p. 15.
[10]
El Pais, 5/6/86.
[11] «Problèmes actuels du socialisme européen», in Sistema n° 15, octobre 1976,
p. 24.
[12] PSOE,
XXVII Congreso, p. 255.
[13] ABC,
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