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Plinio Corrêa de Oliveira
Chapitre III
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Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III) Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP 2, avenue de Lowendal 75007 PARIS Dépôt légal : 4ème trimestre 1997 ISBN: 2-901039-24-3
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Aussi profonds que soient les facteurs qui différencient actuellement cette crise selon les pays, elle garde, toujours, cinq caractères capitaux:
1. Elle est universelle Cette crise est universelle. Il n'y a pas aujourd'hui de peuple qui n'en ait été atteint, à un degré plus ou moins grand.
2. Elle est une Cette crise est une: il ne s'agit pas d'un ensemble de crises qui se développeraient de façon parallèle et indépendante dans chaque pays et seraient reliées entre elles par quelques analogies plus ou moins affirmées. Quand un incendie dévore une forêt, il n'est pas possible de le considérer comme mille incendies, autonomes et parallèles, de mille arbres voisins les uns des autres. L'unité du phénomène "combustion" s'exerçant sur l'unité vivante qu'est la forêt; la puissance de propagation des flammes résultant d'une seule chaleur où se fondent et se multiplient les innombrables flammes des différents arbres: tout, enfin, contribue à ce que l'incendie de la forêt soit une réalité unique englobant les mille incendies partiels, quelque différent, d'ailleurs, que soit chacun dans ses accidents. La chrétienté occidentale formait un tout qui transcendait les divers pays chrétiens sans les absorber. Dans cette unité vivante une crise s'étendit comme un incendie et finit par la gagner tout entière, sous l'effet de la chaleur nourrie des crises locales de plus en plus nombreuses qui s'entremêlaient et se confortaient les unes les autres. En tant que famille d'Etats officiellement catholiques, la chrétienté a, par conséquent, cessé d'exister depuis longtemps. En subsistent quelques vestiges, les peuples occidentaux et chrétiens. Tous sont maintenant à l'agonie sous l'action de ce même mal.
3. Elle est totale Cette crise se développe, pour chaque pays, dans une zone si profonde de problèmes qu'elle se prolonge ou se déploie, en raison de l'ordre même des choses, dans toutes les puissances de l'âme, tous les domaines de la culture, en fin de compte sur tous les terrains de l'activité humaine.
4. Elle est dominatrice Observés superficiellement, les événements actuels paraissent former un enchevêtrement aussi chaotique qu'inextricable et ils le sont vraiment sous de nombreux aspects. Mais dès lors qu'on considère tant de forces en délire sous l'angle de la grande crise que nous étudions, on peut discerner dans leur imbrication des résultantes profondément cohérentes et vigoureuses. Sous l'impulsion de ces forces égarées, les nations occidentales sont en effet entraînées graduellement vers un état de choses qui prend la même configuration en chacune d'elles et qui se trouve diamétralement opposé à la civilisation chrétienne. Cette crise s'identifie ainsi à une reine servie par toutes les forces du chaos devenues ses instruments efficaces et dociles.
5. Elle est un processus Cette crise n'est pas un fait spectaculaire et isolé. Elle constitue au contraire un processus de crises déjà cinq fois séculaire, un long système de causes et d'effets qui, né avec une grande intensité à un moment précis dans les zones les plus profondes de l'âme et de la culture de l'homme occidental, produit depuis le XVe siècle jusqu'à nos jours de successives convulsions. Les paroles de Pie XII à propos d'un subtil et mystérieux "ennemi" de l'Eglise s'appliquent particulièrement bien à ce processus: "On le rencontre partout et au milieu de tous; il sait être violent et rusé. Au cours de ces derniers siècles il a essayé d'opérer la dégradation intellectuelle, morale, sociale, de l'unité dans l'organisme mystérieux du Christ. Il a voulu la nature sans la grâce, la raison sans la foi, la liberté sans l'autorité et, parfois, l'autorité sans la liberté. C'est un "ennemi" qui s'est fait de plus en plus concret, dont le manque de scrupules étonne encore: le Christ oui, l'Eglise non! Ensuite: Dieu oui, le Christ non! Finalement le cri impie: Dieu est mort; et même, Dieu n'a jamais existé. Et voici, maintenant, la tentative d'édifier la structure du monde sur des bases que Nous n'hésitons pas à indiquer comme les principales responsables de la menace qui pèse sur l'humanité: une économie sans Dieu, un droit sans Dieu, une politique sans Dieu" (4). Ce processus ne doit pas être regardé comme une succession toute fortuite de causes et d'effets qui se seraient succédés de manière inopinée. Cette crise possédait déjà à ses débuts les énergies nécessaires pour transformer en actes toutes ses potentialités, et elle les conserve de nos jours suffisamment vives pour provoquer, au moyen de suprêmes convulsions, les destructions ultimes qui représentent son terme logique. Bien qu'elle soit influencée et induite dans des directions multiples par des facteurs extrinsèques de tous ordres - culturels, sociaux, économiques, ethniques, géographiques et autres - et qu'elle suive parfois des voies fort tortueuses, cette crise poursuit sans relâche son chemin vers sa fin tragique.
A. Décadence du Moyen-Âge Nous avons déjà esquissé à grands traits ce processus dans l'introduction. Il est opportun d'ajouter ici quelques éléments. Au XIVe siècle s'ébauche dans l'Europe chrétienne une transformation de mentalité qui se précise au cours du siècle suivant. L'attrait des plaisirs terrestres se métamorphose graduellement en convoitise. Les divertissements deviennent de plus en plus fréquents et somptueux, les hommes les recherchent toujours davantage. Dans l'habillement, les manières d'être, le langage, la littérature et l'art, l'avidité croissante pour une vie pleine des délices de l'imagination et des sens multiplie progressivement les manifestations de sensualité et de mollesse. Le sérieux et l'austérité des anciens temps dépérissent. Tout recherche le riant, le plaisant, le festif. Les coeurs se détachent peu à peu de l'amour du sacrifice, de la véritable dévotion pour la Croix, et des aspirations à la sainteté et la vie éternelle. Autrefois l'une des plus hautes expressions de l'austérité chrétienne, la chevalerie devient amoureuse et sentimentale; la littérature courtoise envahit tous les pays; les excès du luxe et sa conséquence, l'avidité des richesses, s'étendent à toutes les classes sociales. En pénétrant dans les sphères intellectuelles, ce climat moral amena de nets comportements d'orgueil: le goût des disputes pompeuses et vides, des arguties inconsistantes, des étalages vains d'érudition. Il fit aduler de vieilles tendances philosophiques dont la Scolastique avait triomphé et qui, suite au relâchement de l'ancien zèle pour l'intégrité de la foi, renaissaient désormais sous des aspects nouveaux. L'absolutisme des légistes, qui se paraient d'une connaissance vaniteuse du droit romain, trouva chez les princes ambitieux un écho favorable. "Pari passu" s'éteignit, chez les grands comme chez les petits, la fibre d'antan qui savait contenir le pouvoir royal dans ses limites légitimes, reconnues au temps de saint Louis et saint Ferdinand de Castille.
B. Pseudo-Réforme et Renaissance Ce nouvel état d'âme contenait un désir puissant, bien que quasi inavoué, d'un ordre de choses fondamentalement différent de celui qui avait atteint son apogée aux XIIe et XIIIe siècles. L'admiration exagérée, et souvent exaltée, envers l'Antiquité servit de moyen d'expression à ce désir. Cherchant fréquemment à ne pas heurter de front la vieille tradition médiévale, l'Humanisme et la Renaissance s'appliquèrent à reléguer au second plan l'Eglise, le surnaturel, les valeurs morales de la religion. Le type humain -inspiré des moralistes païens - que ces mouvements introduisirent en Europe comme idéal, ainsi que la culture et la civilisation qui lui correspondent étaient déjà les précurseurs naturels de l'homme contemporain, avide, sensuel, laïc et pragmatique, ainsi que de la culture et de la civilisation matérialistes dans lesquelles nous nous enfonçons tous les jours davantage. Les efforts en faveur d'une renaissance chrétienne ne parvinrent pas à écraser dans l'œuf les facteurs dont résulta le lent triomphe du néo-paganisme. Dans certaines parties de l'Europe, ce néo-paganisme ne conduisit pas à l'apostasie formelle. Il eut à lutter contre de puissantes résistances. Même lorsqu'il s'installait dans les âmes, il n'osait pas leur demander - au début tout au moins - une rupture formelle avec la foi. Mais en d'autres pays, il s'attaqua ouvertement à l'Eglise. L'orgueil et la sensualité, dont la satisfaction fait le plaisir de la vie païenne, suscitèrent le protestantisme. L'orgueil engendra l'esprit de doute, le libre examen, l'interprétation naturaliste de l'Ecriture. Il provoqua l'insurrection contre l'autorité ecclésiastique, réalisée dans toutes les sectes par la négation du caractère monarchique de l'Eglise universelle, c'est-à-dire par la révolte contre la Papauté. Certaines d'entre elles, plus radicales, nièrent aussi ce que l'on pourrait appeler la haute aristocratie de l'Eglise: les évêques, ses princes. D'autres encore rejetèrent même le caractère hiérarchique du sacerdoce, le réduisant à une simple délégation du peuple, seul véritable détenteur du pouvoir sacerdotal. Sur le plan moral, le triomphe de la sensualité dans le protestantisme s'affirma par la suppression du célibat ecclésiastique et par l'introduction du divorce.
C. Révolution française Le jansénisme et les autres ferments fâcheusement implantés par le protestantisme du XVIe siècle dans le Royaume Très Chrétien y entraînèrent l'affaiblissement de la piété des fidèles. Ainsi favorisée, l'action profonde exercée par l'Humanisme et la Renaissance parmi les catholiques ne cessa de s'amplifier, provoquant des conséquences en chaîne dans toute la France. Elle entraîna au XVIIIe siècle une dissolution presque générale des mœurs, une manière frivole et brillante d'envisager les choses, une déification de la vie terrestre, ce qui prépara le terrain à la victoire graduelle de l'irréligion. Doutes sur l'Eglise, négation de la Divinité du Christ, déisme, athéisme émergeant furent les étapes de cette apostasie. En profonde affinité avec le protestantisme, héritière de ce dernier comme du néo-paganisme de la Renaissance, la Révolution française réalisa une œuvre en tous points symétrique à celle de la pseudo-Réforme. L'église constitutionnelle qu'elle tenta d'établir, avant de sombrer dans le déisme et l'athéisme, était une adaptation de l'Eglise de France à l'esprit du protestantisme. Et l'œuvre politique de la Révolution française ne fut que la transposition, dans la sphère de l'Etat, de la "réforme" que les sectes protestantes les plus radicales avaient adoptée en matière d'organisation ecclésiastique: - révolte contre le roi, symétrique à la révolte contre le pape; - révolte du peuple contre les nobles, symétrique à la révolte du "peuple" ecclésiastique, c'est-à-dire des fidèles, contre l'"aristocratie" de l'Eglise, le clergé; - affirmation de la souveraineté populaire, symétrique au gouvernement de certaines sectes, dans une plus ou moins grande mesure, par les fidèles.
D. Communisme Certaines sectes issues du protestantisme, transposant directement leurs tendances religieuses dans le domaine politique, préparèrent l'avènement de l'esprit républicain. Au XVIIe siècle, saint François de Sales mettait déjà en garde le duc de Savoie contre ces tendances républicaines (5). D'autres sectes, allant plus loin, adoptèrent des principes qui, s'ils ne peuvent être dénommés communistes au sens actuel du mot, sont pour le moins pré-communistes. De la Révolution française naquit le mouvement communiste de Babeuf. Et plus tard, de l'esprit de plus en plus vigoureux de la Révolution, surgirent les écoles du communisme utopique du XIXe siècle et le communisme dit scientifique de Marx. Quoi de plus logique? Le déisme a pour fruit normal l'athéisme. La sensualité, en révolte contre les fragiles obstacles du divorce, tend d'elle-même à l'amour libre. L'orgueil, ennemi de toute supériorité, devait fatalement s'attaquer à la dernière inégalité, celle des fortunes. Ivre des rêves d'une république universelle, de la suppression de toute autorité ecclésiastique ou civile, de l'abolition de toute Eglise et, après une dictature ouvrière de transition, de l'abolition de l'Etat lui-même, voilà le néo-barbare du XXe siècle, produit le plus récent et le plus outré du processus révolutionnaire.
E. Monarchie, république et religion Afin d'éviter toute ambiguïté, il convient de souligner l'idée suivante: cet exposé n'affirme aucunement que la république soit un régime politique nécessairement révolutionnaire. A propos des diverses formes de gouvernement, Léon XIII exposa clairement que "chacune d'elles est bonne, pourvu qu'elle sache marcher droit à sa fin, c'est-à-dire le bien commun, pour lequel l'autorité sociale est constituée" (6). Nous qualifions de révolutionnaire, cela oui, l'hostilité de principe contre la monarchie et l'aristocratie accusées d'être des formes essentiellement incompatibles avec la dignité humaine et l'ordre normal des choses. C'est l'erreur condamnée par saint Pie X dans la Lettre apostolique "Notre Charge Apostolique", du 25 août 1910. Le grand et saint pontife y censure la thèse du Sillon selon laquelle "la démocratie seule inaugurera le règne de la parfaite justice"; et il s'écrie: "N'est-ce pas une injure faite aux autres formes de gouvernement qu'on ravale, de la sorte, au rang de gouvernement de pis-aller impuissants?" (7). Or, sans cette erreur, ancrée dans le processus dont il s'agit ici, on ne peut expliquer complètement que la monarchie, qualifiée par le pape Pie VI comme étant en thèse la meilleure forme de gouvernement - "praestantioris monarchici regiminis forma" (8) - ait été l'objet, aux XIXe et XXe siècles, d'un mouvement mondial d'hostilité qui renversa les trônes et les dynasties les plus vénérables. La production en série de républiques aux quatre coins du monde est, à notre avis, un fruit typique de la Révolution, et l'un de ses aspects capitaux. L'on ne peut taxer de révolutionnaire celui qui, pour des raisons concrètes et locales - les droits de l'autorité légitime étant sauvegardés -, préfère pour sa patrie la démocratie à l'aristocratie ou la monarchie; mais on tiendra pour révolutionnaire celui qui, entraîné par l'esprit égalitaire de la Révolution, hait l'aristocratie ou la monarchie dans leur principe et les qualifie d'essentiellement injustes ou inhumaines. De cette haine anti-monarchique et anti-aristocratique naissent les démocraties démagogiques, qui combattent la tradition, persécutent les élites, dégradent le bon ton général et créent une ambiance de vulgarité qui constitue pour ainsi dire la note dominante de la culture et de la civilisation... pour autant que les concepts de civilisation et de culture puissent s'appliquer en de telles conditions. Quelle différence entre cette démocratie révolutionnaire et la démocratie décrite par Pie XII: "Selon le témoignage de l'Histoire", dit-il, "là où règne une véritable démocratie la vie du peuple est comme imprégnée de saintes traditions, qu'il est illicite de détruire. Les représentants de ces traditions sont avant tout les classes dirigeantes, en d'autres termes les groupes d'hommes et de femmes ou les associations qui donnent, comme on a coutume de le dire, le ton au village et à la ville, à la région et au pays tout entier. "De là provient chez tous les peuples civilisés l'existence et l'influence d'institutions éminemment aristocratiques, au sens le plus élevé du terme, comme le sont plusieurs académies de grande et légitime renommée. La noblesse elle-aussi est de ce nombre" (9). L'esprit de la démocratie révolutionnaire est ainsi bien différent de celui que doit animer une démocratie conforme à la doctrine de l'Eglise.
F. Révolution, Contre-Révolution et dictature Ces considérations sur les positions respectives de la Révolution et de la pensée catholique à propos des formes de gouvernement susciteront chez nombre de lecteurs une question: la dictature est-elle un facteur de Révolution, ou de Contre-Révolution? Pour répondre clairement à un problème qui a reçu tant de solutions confuses et parfois tendancieuses, il est nécessaire d'établir une distinction entre divers éléments qui s'enchevêtrent de manière désordonnée dans l'idée de dictature telle que l'opinion publique la conçoit. Celle-ci, confondant la dictature considérée en théorie avec ce qu'elle a été "in concreto" au cours de notre siècle, entend par là un état de choses dans lequel un chef muni de pouvoirs illimités gouverne un pays donné. Pour le bien de ce dernier disent les uns, pour son malheur disent les autres. Mais dans les deux cas, il s'agit toujours d'une dictature. Or ce concept contient deux éléments distincts: - l'omnipotence de l'Etat; - la concentration du pouvoir en une seule personne. Il semble que ce second élément retienne davantage l'attention dans le public. Toutefois, l'élément fondamental est le premier, au moins si l'on entend par dictature un état de choses dans lequel, tout ordre juridique étant suspendu, le pouvoir public dispose à son gré de tous les droits. Il est évident qu'une telle dictature peut être exercée soit par un roi (la dictature royale, c'est-à-dire la suspension de tout ordre juridique et l'exercice sans restriction du pouvoir public par le roi; à ne pas confondre, bien entendu, avec l'Ancien Régime dans lequel ces garanties existaient dans une très large mesure, et bien moins encore avec la monarchie organique du Moyen-âge), soit par un chef populaire, une aristocratie héréditaire, un clan de banquiers, ou encore par la masse. La dictature exercée par un chef ou un groupe n'est, en soi, ni révolutionnaire ni contre-révolutionnaire. Elle sera l'une ou l'autre en fonction des circonstances qui lui ont donné son origine et de l'œuvre qu'elle réalisera. Et cela qu'elle soit dans les mains d'un homme ou d'un groupe. Certaines circonstances exigent pour le "salus populi" une suspension provisoire de tous les droits individuels, et un exercice plus ample du pouvoir public. La dictature peut donc être légitime dans certains cas. Une dictature contre-révolutionnaire, donc entièrement motivée par un désir d'ordre, doit présenter trois qualités essentielles: - Elle doit suspendre les droits, non pour renverser l'ordre, mais pour le protéger. Et par ordre, nous n'entendons pas seulement la tranquillité matérielle, mais la disposition des choses selon leur fin et leur place respective dans l'échelle des valeurs. La suspension des droits dans ce cas est plus apparente que réelle. Les garanties juridiques, dont les mauvais éléments abusaient au détriment de l'ordre lui-même et du bien commun sont sacrifiées, mais en réalité, ce sacrifice vise à sauvegarder les droits réels des honnêtes gens. - Par définition, cette suspension doit être provisoire et préparer les circonstances pour qu'on puisse revenir le plus vite possible à l'ordre et à la normalité. Dans la mesure où elle est bonne, la dictature consume donc sa propre raison d'être. L'intervention du pouvoir public dans les divers secteurs de la vie nationale doit se faire de telle manière que, dans le plus court laps de temps, chaque secteur puisse vivre avec l'autonomie nécessaire. Toute famille devra ainsi jouir entièrement de la capacité que sa nature même lui confère et ne recevra l'appui des groupes sociaux supérieurs que de façon subsidiaire, en ce qui dépasse sa sphère. Ces groupes, à leur tour, ne doivent recevoir l'appui de la commune qu'en ce qui excède leur capacité normale; remontant les échelons, il en ira de même entre la commune et la région, et entre cette dernière et le pays. - Le but principal de la dictature légitime aujourd'hui doit être la Contre-Révolution. Cela ne revient pas à affirmer que la dictature soit normalement un moyen nécessaire pour mettre la Révolution en déroute. Mais en certaines circonstances, elle peut le devenir. La dictature révolutionnaire, au contraire, vise à s'éterniser. Elle viole les droits authentiques et pénètre dans toutes les sphères de la société pour les anéantir en disloquant la vie de famille, portant préjudice aux vraies élites, bouleversant la hiérarchie sociale, nourrissant la foule d'utopies et d'aspirations désordonnées, étouffant la vie réelle des groupes sociaux et assujettissant tout à l'Etat, bref en favorisant l'œuvre de la Révolution. L'hitlérisme fut l'exemple typique de ce genre de dictature. C'est pourquoi la dictature révolutionnaire est fondamentalement anticatholique car, dans un environnement véritablement catholique, il ne peut y avoir de climat pour une situation semblable. Cela ne signifie pas que la dictature révolutionnaire n'ait pas, dans tel ou tel pays, tâché de prêter assistance à l'Eglise. Mais cette attitude de pure politique se transforme en persécution franche ou voilée dès que l'autorité ecclésiastique commence à entraver la marche de la Révolution. Notes : (4) Allocution à l'Union des hommes de l'Action catholique italienne du 12 octobre 1952, "Discorsi e Radiomessaggi", vol. XIV, p. 359. (5) Cf. Sainte-Beuve, "Etude des lundis - XVIIe siècle - Saint François de Sales", Librairie Garnier, Paris, 1928, p. 364. (6) Encyclique "Au Milieu des Sollicitudes", du 16 février 1892, Bonne Presse, Paris, vol. III, p. 116. (7) A.A.S., vol. II, p. 618. (8) Allocution au consistoire du 17/6/1793, Les enseignements pontificaux - La paix intérieure des nations - par les moines de Solesmes, Desclée & cie, p. 8. (9): Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine du 16 janvier 1946, Discorsi e Radiomessaggi, vol. VII, p. 340.
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