© pour cette 2ème édition française: Société Française pour la Défense de la Tradition, Famille et
Propriété (TFP) 12, Avenue de Lowendal - PARIS VII
Septembre, 1995 |
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Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales
ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir
ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée.
PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine
GNP = Allocution à la Garde noble pontificale
Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères
gras par l'auteur.
Titre original:
Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções
de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa,
1993).
Traduit du portugais par Catherine Goyard
1ère édition française: Editions Albatros, 1993.
Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan),
en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton
Press, Lanham MD, USA).
Ce livre fut commencé, par pure coïncidence, l'année du
bicentenaire de la Révolution française. Des obstacles de toute nature ont
imposé à l'auteur de nombreuses et longues interruptions, de sorte qu'il
ne s'est achevé que quatre ans plus tard.
Cette coïncidence peut cependant être qualifiée
d'heureuse, car bon nombre des thèmes de cet ouvrage avaient un rôle
prépondérant dans les réflexions et les buts que les révolutionnaires de
1789 s'étaient fixés. Ces réflexions et ces buts se reflètent d'ailleurs
clairement dans les violences qu'ils réalisèrent, les injustices qu'ils
pratiquèrent et les réformes orageuses qu'ils menèrent à terme.
Les commémorations du bicentenaire de la Révolution
française ont ravivé considérablement, dans tout le monde contemporain, le
souvenir de cette grande convulsion. Des échos de ce souvenir perdurent
encore aujourd'hui et rendent les sujets abordés dans ce travail d'une
actualité supérieure à ce qu'elle était auparavant.
Il n'est donc pas étonnant que certains aspects de
cette révolution soient revenus, plus d'une fois au long de ce volume, à
la mémoire des lecteurs qui affectionnent les sujets historiques. Ainsi en
est-il, parmi d'autres, de la fameuse trilogie révolutionnaire «liberté-égalité-fraternité».
Pour satisfaire les lecteurs désireux d'approfondir ce
point, les textes pontificaux concernant cette trilogie se trouvent
publiés ici, indépendamment de celui déjà cité (chapitre III).
1. Liberté illimitée et égalité absolue: concepts
insensés et même monstrueux
Dans sa décrétale du 10 mars 1791, adressée au cardinal
de La Rochefoucauld et à l'archevêque d'Aix-en-Provence, sur les principes
de la Constitution civile du clergé, Pie VI déclare:
«On décrète donc, dans cette Assemblée [l'Assemblée
nationale française] que jouir d'une liberté illimitée est un droit de
l'homme dans la société, de sorte que celui-ci ne doive être inquiété en
rien sur ce qui concerne la Religion, et qu'il soit laissé à son libre
arbitre d'opiner, parler, écrire et même publier ce que bon lui semble sur
celle-ci. Elle a proclamé que ces monstruosités découlaient et émanaient
de l'égalité des hommes et de la liberté de la nature humaine. Mais que
veut-on imaginer de plus insensé que l'implantation d'une telle égalité et
liberté pour tous, sans aucun respect pour cette raison dont la nature a
doué la race humaine seule et qui la distingue des autres animaux ? Quand
Dieu créa l'homme, ne lui a-t-Il pas, tout en le plaçant dans le Paradis
des délices, défendu sous peine de mort, de manger le fruit de l'arbre de
la connaissance du bien et du mal ? N'était-ce pas mettre des entraves à
sa liberté dès le début par ce premier précepte ? Et quand l'homme se
rendit coupable de désobéissance, Dieu ne lui imposat-Il pas un nombre
plus grand de prescriptions par l'intermédiaire de Moïse ? Et quoique Dieu
ait "laissé dans la main de son conseil" de mériter le bien ou le mal, il
lui donna "en outre ses commandements et ses préceptes pour que ceux-ci le
gardent s'il veut les observer"(Eccl. XV, 14-16).
«Où est donc cette liberté de pensée et d'action que
les décrets de l'Assemblée nationale attribuent à l'homme en société comme
un droit immuable de la nature ? [...]
«Etant donné que l'homme, dès sa naissance, doit se
soumettre à ses aînés pour qu'ils le gouvernent et l'instruisent, et pour
pouvoir ordonner sa vie selon les normes de la raison, de l'humanité et de
la Religion, il est donc certain que cette égalité et cette liberté si
acclamées sont vaines et sans fondement dès l'instant de sa naissance. "Il
est nécessaire que tu sois soumis" (Rom. 13, 5). Afin donc que les hommes
puissent se réunir en société, il a fallu organiser une forme de
gouvernement dans laquelle les droits de liberté fussent délimités par des
lois et par le pouvoir suprême des gouvernants. D'où il résulte que saint
Augustin enseigne en ces termes: "L'obéissance aux rois est assurément un
accord général de la société humaine" (Confessions, Livre III, Chap.
VIII). Voilà pourquoi l'origine de ce pouvoir devrait être recherchée
moins dans un contrat social qu'en Dieu lui-même, en l'auteur de ce qui
est droit et juste (1).»
(1) Pii VI Pont. Max. Acta, Typis S. Congreg. de
Propaganda Fide, Rome, 1871, vol. I, p. 70-71.
2. «Liberté» et «égalité» diffusées par la
Révolution française: concepts fallacieux semés par de «très perfides
philosophes»
Pie VI condamna à plusieurs reprises les fausses
conceptions de liberté et d'égalité. Dans le Consistoire secret du 17 juin
1793, citant les termes de l'encyclique Inscrutabile divinae sapientiae
du 25 décembre 1775, il déclare:
«"Ces très perfides philosophes s'attaquent encore à
cela: ils dissolvent tous les liens qui unissent les hommes entre eux
comme à leurs supérieurs et les maintiennent dans l'accomplissement de
leurs devoirs. Ils clament et proclament jusqu'à la nausée que l'homme est
né libre et qu'il n'est assujetti à personne, que la société n'est rien
d'autre qu'un groupe d'hommes stupides dont l'imbécillité se courbe devant
les prêtres qui les trompent et les rois qui les oppriment: de telle façon
que l'accord entre le sacerdoce et l'empire n'est qu'une monstrueuse
conspiration contre la liberté innée de l'homme". [...] Ces présomptueux
protecteurs du genre humain ont allié ce mot faux et mensonger, "liberté"
avec un autre mot également fallacieux, "égalité". Comme si, parmi les
hommes réunis en société civile, sujets à différents états d'esprit et
susceptibles de se comporter de façon diverse et incertaine, chacun
suivant l'impulsion de ses désirs, il ne devait exister personne qui
puisse régner soit par autorité soit par force, obliger et gouverner, qui
puisse également rappeler à leurs devoirs ceux qui se conduisent d'une
manière désordonnée, de façon à ce que la société ne tombe pas en
anarchie, sous les secousses téméraires et contradictoires d'innombrables
passions, et ne se dissolve complètement. Ainsi en est-il de l'harmonie,
faite de la conformité de nombreux sons et qui, si elle ne consiste pas en
une combinaison adéquate de cordes et de voix, se dissipe en bruits
désordonnés et laisse la place à une dissonance complète (2).»
(2) Pii VI Pont. Max. Acta, Typis S. Congreg. de
Propaganda Fide, Romae, 1871, vol. II, p. 26-27.
3. L'abus de liberté et d'égalité mène au socialisme et
au communisme
Dans son encyclique Nostis et nobiscum du 8
décembre 1849, Pie IX dénonce: «En ce qui concerne cette doctrine dépravée
et ce système [celui d'éloigner les populations d'Italie de l'obéissance
au Pape et au Saint-Siège] il est bien connu que son but principal est
d'introduire dans le peuple, en abusant des termes "liberté" et "égalité",
ces pernicieuses inventions du communisme et du socialisme (3).»
(3) Pii IX, Pontificis Maximi Acta, Pars Prima,
Typographia Bonarum Artium, Rome, 1854-1874, p. 210.
4. L'égalité chrétienne
«ne supprime pas toute distinction entre les hommes»
Dans l'encyclique Humanum genus contre la
franc-maçonnerie, du 20 avril 1884, Léon XIII affirme:
«Nous profitons à dessein de cette occasion pour
renouveler la recommandation que Nous avons déjà faite de propager et
consolider le tiers ordre de Saint-François. [...] Parmi les nombreux
avantages que l'on peut en attendre, il en est un qui prime tous les
autres; cette association est une véritable école de liberté, de
fraternité, d'égalité, non selon l'absurde façon dont les francs-maçons
entendent ces choses, mais telles que Jésus-Christ a voulu en enrichir le
genre humain et que saint François les a mises en pratique. Nous parlons
donc ici de la liberté des enfants de Dieu, au nom de laquelle Nous
refusons d'obéir à des maîtres iniques qui s'appellent Satan et les
mauvaises passions. Nous parlons de la fraternité qui nous rattache à Dieu
comme au Créateur et Père de tous les hommes. Nous parlons de l'égalité
qui, établie sur les fondements de la justice et de la charité, ne
supprime pas toute distinction entre les hommes, mais fait de la variété
des conditions et des devoirs de la vie une harmonie admirable et une
sorte de concert dont profitent naturellement les intérêts et la dignité
de la vie civile (4).»
(4) Acta Sanctae Sedis, Ex Typographia Polyglotta S.C.
Prop. Fide, Romae, 1906, vol. XVI, p. 430-431.
Dans sa Lettre apostolique Notre charge apostolique
du 25 août 1910, condamnant le mouvement français de gauche catholique de
Marc Sangnier, le Sillon, saint Pie X analyse la célèbre trilogie en ces
termes:
«Le Sillon a le noble souci de la dignité humaine.
Mais cette dignité, il la comprend à la manière de certains philosophes
dont l'Eglise est loin d'avoir à se louer. Le premier élément de cette
dignité est la liberté, entendue en ce sens que, sauf en matière de
religion, chaque homme est autonome. De ce principe fondamental il tire
les conclusions suivantes: aujourd'hui le peuple est en tutelle sous une
autorité distincte de lui, il doit s'en affranchir: émancipation
politique. Il est sous la dépendance de patrons qui, détenant ses
instruments de travail, l'exploitent, l'oppriment et l'abaissent; il doit
secouer leur joug: émancipation économique. Il est dominé enfin par une
caste appelée dirigeante, à qui son développement intellectuel assure une
prépondérance indue dans la direction des affaires; il doit se soustraire
à sa domination: émancipation intellectuelle. Le nivellement des
conditions à ce triple point de vue établira parmi les hommes l'égalité,
et cette égalité est la vraie justice humaine. Une organisation politique
et sociale fondée sur cette double base, liberté et égalité (auxquelles
viendra bientôt s'ajouter la fraternité), voilà ce qu'ils appellent
Démocratie. [...]
«D'abord en politique, le Sillon n'abolit pas
l'autorité; il l'estime, au contraire, nécessaire; mais il veut la
partager, ou, pour mieux dire, la multiplier de telle façon que chaque
citoyen deviendra une sorte de roi. [...]
«Proportions gardées, il en sera de même dans l'ordre
économique. Soustrait à une classe particulière, le patronat sera si bien
multiplié que chaque ouvrier deviendra une sorte de patron. [...]
«Voici maintenant l'élément capital, l'élément moral.
[...] Arraché à l'étroitesse de ses intérêts privés et élevé jusqu'aux
intérêts de sa profession, et plus haut, jusqu'à ceux de la nation
entière, et plus haut encore, jusqu'à ceux de l'humanité (car l'horizon du
Sillon ne s'arrête pas aux frontières de la patrie, il s'étend à tous les
hommes jusqu'aux confins du monde), le coeur humain, élargi par l'amour du
bien commun, embrasserait tous les camarades de la même profession, tous
les compatriotes, tous les hommes. Et voilà la grandeur et la noblesse
humaine idéale réalisée par la célèbre trilogie: «liberté-égalité-fraternité». [...]
«Telle est, en résumé, la théorie, on pourrait dire le
rêve, du Sillon (5).»
(5) Acta Apostolicae Sedis, 31-8-1910, Typis
Polyglottis Vaticanis, Romae, vol. II, p. 613-615.
Saint Pie X marche ainsi sur les traces de ses
prédécesseurs qui, dès Pie VI, avaient réprouvé les erreurs inspirées par
la devise de la Révolution française.
Promulguant le décret sur l'héroïcité des vertus
pratiquées par le bienheureux Marcellin Champagnat (6), le 11 juillet
1920, Benoît XV prononça une allocution dont voici des extraits:
(6) Le bienheureux Marcellin-Joseph-Benoît Champagnat,
fondateur de la Société des frères maristes, né le 20 mai 1789, décédé le
6 juin 1840 et béatifié par Pie XII le 29 mai 1955.
«Il suffit de considérer les principes du XIXe siècle
pour reconnaître que plusieurs faux prophètes apparurent en France, d'où
ils se proposaient de diffuser partout l'influence maléfique de leurs
doctrines perverses. C'étaient des prophètes qui prenaient des allures de
vengeurs des droits du peuple, préconisant une ère de liberté, de
fraternité, d'égalité. Qui ne voyait pas qu'ils étaient déguisés en brebis
"in vestimentis ovium" ?
«La liberté préconisée par ces prophètes n'ouvrait pas
les portes au bien, mais au mal; la fraternité qu'ils prêchaient ne
révérait pas Dieu comme Père unique de tous les frères; et l'égalité
qu'ils annonçaient ne se fondait ni sur l'identité d'origine, ni sur la
même Rédemption, ni sur le destin commun à tous les hommes. C'étaient des
prophètes qui prêchaient une égalité destructrice de la différence des
classes désirée par Dieu dans la société; c'étaient des prophètes qui
appelaient frères les hommes pour leur enlever l'idée de soumission des
uns vis-à-vis des autres; c'étaient des prophètes qui proclamaient la
liberté de faire le mal, d'appeler lumière les ténèbres, de confondre le
faux et le vrai, de préférer le premier au dernier, de sacrifier à
l'erreur et au vice les droits et les raisons de la justice et de la
vérité.
«Il n'est pas difficile de comprendre que ces
prophètes déguisés en brebis, devaient s'avérer intrinsèquement,
c'est-à-dire en réalité, des loups rapaces: "qui veniunt ad vos in
vestimentis ovium, intrinsecus autem sunt lupi rapacis" — ils s'approchent
de vous déguisés en brebis, mais en réalité ce sont des loups rapaces.
«Il n'est pas étonnant que contre de tels faux
prophètes une voix terrible résonne: prenez garde à eux, "attendite a
falsis prophetis".
«Marcellin Champagnat a écouté cette parole; il a
aussi compris qu'elle n'avait pas été prononcée seulement pour lui, et a
pensé devenir son écho auprès des enfants du peuple, voyant que c'étaient
les victimes les plus probables des principes de 1789, à cause de leur
inexpérience et de l'ignorance de leurs parents en matière de religion.
[...]
«"Attendite a falsis prophetis": voilà les paroles
que répétait celui qui désirait ardemment arrêter le torrent d'erreurs et
de vices qui, grâce à la Révolution française, menaçait d'inonder la
terre. "Attendite a falsis prophetis": voilà les paroles qui expliquent
la mission que Marcellin Champagnat a embrassée; paroles que celui qui
veut étudier sa vie ne doit pas enfouir dans l'oubli.
«Il n'est pas sans intérêt de signaler que Marcellin
Champagnat, né en 1789, fut précisément destiné à combattre, dans leur
application pratique, les principes qui ont pris pour nom l'année de sa
naissance, et qui ont ensuite obtenu une triste et douloureuse célébrité.
«Pour justifier son oeuvre, il lui aurait suffi de
continuer la lecture de l'Evangile d'aujourd'hui, car d'un simple coup
d'oeil sur les plaies ouvertes par les principes de 89 au sein de la
société civile et religieuse, on constaterait que ces principes étaient le
ramassis des enseignements des faux prophètes: "a fructibus eorum
cognoscetis eos". [...]
«La multiplication des maisons des Petits Frères de
Marie [Frères maristes] et la bonne orientation des jeunes qui y sont
accueillis, furent sans aucun doute aidées par Notre Dame, dont une image
apparut, puis disparut, pour être finalement retrouvée. Véritablement
merveilleux fut cet envol, explicable seulement par l'essor qui le suivit,
lui-même si extraordinaire qu'avant le dixième lustre de la fondation,
cinq mille religieux du nouvel Institut dispensaient déjà une saine
instruction à cent mille garçons éparpillés sur toutes les régions du
globe.
«Si le vénérable Champagnat avait pressenti, grâce à
une lumière prophétique, un effet si admirable, il se serait lamenté sans
aucun doute devant le nombre exorbitant de jeunes garçons qui restent
aujourd'hui submergés par les ombres de la mort et les ténèbres de
l'ignorance; et il aurait déploré de n'avoir pu empêcher davantage le
développement néfaste de la semence pernicieuse répandue par la Révolution
française. Un sentiment de gratitude profonde envers Dieu pour le bien
accompli par sa Congrégation l'aurait cependant forcé à reconnaître que,
de la même façon que l'on pouvait déduire la fausseté des enseignements de
certains prophètes, ses contemporains, aux fruits pernicieux qu'ils
dispersaient, la maturation des bons fruits de son oeuvre prouvait sa
bonté: "igitur ex frutibus eorum cognoscetis eos " (7).»
(7) L'Osservatore Romano, 12/13-7-1920, 2e éd.
Pendant sa visite à Frascati, le ler septembre 1963,
Paul VI parlant des activités qu'y avait déployées saint Vincent Pallotti,
fit quelques commentaires sur la Révolution française et sur sa devise
«liberté-égalité-fraternité»
«C'était la période qui suivait la Révolution
française, avec tous les désastres et toutes les idées désordonnées,
chaotiques, en même temps passionnées et trop chargées d'espérances, dont
cette Révolution avait imprégné les hommes du siècle précédent. Il était
très nécessaire de remettre les choses à leur place et, disons-le, de
stabiliser cette période historique, de la fortifier, comme cela doit être
fait. Dans le même temps, on nota le ferment d'une chose nouvelle; il y
avait des idées enflammées, assemblage des grands principes de la
Révolution qui n'avait rien fait d'autre que s'approprier certains
concepts chrétiens: fraternité, liberté, égalité, progrès, désir d'élever
les classes humbles. Oui, tout cela était chrétien, mais avait assumé un
drapeau antichrétien, laïc, irréligieux, tendant à dénaturer cet élément
du patrimoine évangélique, chargé de donner à la vie humaine un sens plus
haut et plus noble (8).»
(8) Insegnamenti di Paolo VI, Tipografia Poliglotta
Vaticana, 1963, vol. I, p. 569.
8. Au fond, idées chrétiennes; mais les premiers à les
formuler ne se référaient pas à l'alliance de l'homme avec Dieu
Dans le sermon prononcé à l'aéroport du Bourget, le ler
juin 1980, Jean-Paul II expliqua:
«Que n'ont pas fait les fils et les filles de votre
nation pour la connaissance de l'homme, pour exprimer l'homme par la
formulation de ses droits inaliénables! On sait la place que l'idée de
liberté, égalité et fraternité tient dans votre culture, dans votre
histoire. Au fond, ce sont-là des idées chrétiennes. Je le dis tout en
ayant bien conscience que ceux qui ont formulé ainsi, les premiers, cet
idéal, ne se référaient pas à l'alliance de l'homme avec la Sagesse
éternelle. Mais ils voulaient agir pour l'homme (9).»
(9) Insegnamenti di Giovanni Paolo II, Libreria
Editrice Vaticana, 1980, vol. III, 1, p. 1589.
9. Mouvement historique entraîné par une vague
impétueuse de violence et de haine religieuse
A l'audience qu'il accordait aux pélerins d'Angers à
l'occasion de la béatification de Guillaume Repin et de ses compagnons, le
20 février 1984, Jean-Paul II exposait:
«Je sais que la Révolution française — surtout la
période de la Terreur — a fait chez vous, dans l'Ouest, beaucoup d'autres
victimes, des milliers, guillotinés, fusillés, noyés, morts dans les
prisons d'Angers. Dieu seul connaît leurs mérites, leur sacrifice, leur
foi. Le diocèse et le Saint-Siège n'ont pu examiner qu'un nombre restreint
de cas, où le témoignage du martyre était mieux connu et plus transparent
pour ce qui est des motivations religieuses. [...]
«Leur arrestation [celle du bienheureux G. Repin et de
ses 98 compagnons], leur condamnation se situent certes dans un contexte
politique de contestation d'un régime qui, à cette époque, rejetait tant
de valeurs religieuses. Même si ce mouvement historique avait été inspiré
par des sentiments généreux — «liberté-égalité-fraternité» — et par un
désir de réformes nécessaires, il fut entraîné dans un déferlement de
représailles, de violences, de haine religieuse. C'est un fait. Nous
n'avons pas à juger ici cette évolution politique. Nous laissons aux
historiens le soin de qualifier ses excès (10).»
(10) Insegnamenti di Giovanni Paolo II, Libreria
Editrice Vaticana, 1984, vol. VII, 1, p. 447-448.
* * *
Le lecteur remarquera peut-être, çà et là dans ces
textes, une contradiction apparente entre les déclarations des différents
Papes qui ont fait allusion à la trilogie «liberté-égalité-fraternité».
Cette impression s'évanouit dans la mesure où l'on ne
perd pas de vue que, considérés correctement en eux-mêmes — donc à la
lumière des principes catholiques —, chacun de ces mots désigne des
concepts dignes d'approbation. C'est ce que certains Souverains Pontifes
ont voulu relever.
Cependant, pour la plupart des penseurs et écrivains
qui ont préparé la Révolution française, ou des hommes d'action qui ont
ourdi la terrible commotion politique et sociale ayant secoué la France à
partir de 1789, ou encore des pamphlétaires et démagogues qui l'ont portée
dans la rue pour lui faire commettre tant d'injustices et tant de crimes
effroyables, les mêmes mots n'indiquaient pas ces mêmes concepts. Ils se
sont au contraire employés ardemment à démolir la religion, haïr toute
autorité légitime, et nier furieusement toutes les inégalités, même justes
et nécessaires.
Faire l'éloge de la trilogie «liberté-égalité-fraternité» en elle-même n'implique pas l'approbation des
erreurs radicales et absurdes que les révolutionnaires, considérés en
bloc, attribuaient à ces mots: erreurs qui dévoilèrent toute leur portée
dans le dernier et extrême épisode de la Révolution française que fut
l'insurrection communiste de Babeuf (11). Cette insurrection révèle
d'ailleurs que dans les profondeurs de la révolution de 1789 germait le
communisme — synthèse de toutes les erreurs religieuses, philosophiques,
politiques, sociales et économiques antérieures — auquel sont dus les
malheurs moraux et matériels sans nom dans lesquels se débattent
aujourd'hui les populations de l'Europe de l'Est.
(11) François-Noël Babeuf (1760-1797): révolutionnaire
français, qui dirigea le mouvement de la «Conjuration des Egaux» pendant
l'hiver 1795-96, «première tentative pour faire entrer le communisme dans
la réalité». Il publia le Manifeste des Egaux qui préconisait la
communauté de biens et de travail et qui «fut la première forme de
l'idéologie révolutionnaire de la société nouvelle née de la Révolution
elle-même. Par le babouvisme, le communisme, jusque-là rêverie utopique,
était érigé en système idéologique; par la «Conjuration des Egaux», il
entrait dans l'histoire politique» (Albert SousouL, La Révolution
française, Gallimard, Paris, 1962, vol. II, p. 216 et 219).
Dans son oeuvre
appelée de façon blasphématoire La Sainte Famille, Marx déclare à propos
du rôle joué par Babeuf dans l'ensemble du mouvement révolutionnaire: «Le mouvement révolutionnaire
qui commença en 1789 au Cercle social, qui eut pour représentants
principaux, au milieu de son évolution, Leclerc et Roux, et finit par
succomber un instant avec la conspiration de Babeuf, avait fait éclore
l'idée communiste que Buonarroti, l'ami de Babeuf, réintroduisit en France
après la révolution de 1830. Cette idée développée dans toutes ses
conséquences constitue le principe du monde moderne» (apud François
FURET, Dictionnaire critique de la Révolution Française, Flammarion,
Paris, 1988, p. 199).
Le mouvement de Babeuf fut combattu par le Directoire.
Quant à Babeuf, il fut jeté en prison et exécuté en 1797.
Une des ruses les plus réussies de la Révolution
française consista précisément à jeter la confusion dans de nombreux
esprits simples et peu avisés en rangeant derrière des vocables honnêtes
et même dignes d'éloges une série monstrueuse d'erreurs doctrinales et
d'événements criminels. Ces esprits avaient ainsi tendance à admettre que
les doctrines de la Révolution française étaient bonnes dans leur racine,
même si la plupart des événements révolutionnaires méritaient de dures
réprobations. D'autres pensaient, par contre, que les doctrines ayant
engendré ces événements ne pouvaient être moins blâmables que ces
derniers. Ils en déduisaient que la trilogie synthétisant ces doctrines
perverses méritait elle-aussi un rejet identique.
Cette confusion nuisible dans laquelle se trouvaient
les uns et les autres, s'est avérée — et s'avère encore — tenace. Car ce
n'est que maintenant qu'on la voit se dissiper peu à peu.
Aussi certains papes, s'adressant à de larges tranches
de fidèles mal aiguillés, s'efforcèrent-ils de rectifier certains
jugements unilatéraux et trop sévères sur la trilogie si astucieusement
manipulée; tandis que d'autres, au contraire, cherchèrent à empêcher que
l'innocuité intrinsèque de ces termes n'illusionne le public sur l'essence
perverse de la grande convulsion qui secoua la fin du XVIIIe siècle.
L'ouragan déchaîné par la Révolution française traversa en effet le XIXe siècle et presque tout le XXe sous les dénominations de socialisme ou de
communisme, et il meurt aujourd'hui dans l'Est européen, après y avoir
dévoilé toute la perversité de son vrai contenu; à moins qu'il ne se
métamorphose à la recherche d'autres vocables, de formules inédites, de
nouvelles ruses, afin d'atteindre ses buts ultimes, radicalement athées —
pour mieux dire panthéistes — et de toutes façons absolument et
universellement égalitaires.
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