Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

Le communisme est-il mort ? 
Et qu'en est-il de  l’anticommunisme?

 

 

 

 

TFP Informe, Québec, février 1990, pages 2-11 (*)

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L’« homme moyen de la rue » n’est pas nécessairement un inculte. Typiquement il a complété ses études secondaires et peut même avoir un diplôme universitaire. Par conséquent, il a une certaine culture; il lit les journaux même s'il ne lit pas tous les suppléments hebdomadaires détaillés, qui n’intéressent que les spécialistes ou ceux qui sont si intéressés par le sujet qu'ils en font un passetemps.

Son vécu - personnel, familial, social, professionnel - et ses responsabilités qui l'obligent à se préoccuper et à penser lui confèrent un certain ascendant intellectuel qui lui procure une influence indiscutable dans son milieu. En bref, il est un facteur quantifiable de l'opinion publique.

Son sens commun aide naturellement à contrebalancer l'inuence - qui serait autrement valable en tant d'autres domaines d’intellectuels, de technocrates et de bureaucrates dont les excès leur font tendre vers un totalitarisme technique, bureaucratique et livresque, et dont l’exclusivisme les conduit fréquemment à planifier et concevoir des solutions dans une atmosphère irréaliste, utopique et confinée.

Dans une telle atmosphère, la vitalité est étouffée; les subtilités de la réalité s'échappent et s'évanouissent; des idéologies unilatérales et vides de sens assaillent et conquièrent l’opinion publique. Cette dernière pourrait, à son tour, être jetée dans un tel chaos de confusion, de contradictions et de drames que des nations entières pourraient agoniser pendant des décennies ou même des siècles. 

- La Russie soviétique: Une scène bien connue pour les mélodrames politiques

C’est précisément le cas de la Russie aujourd'hui. Des mélodrames politiques tournant autour d’interprétations livresques des œuvres de Marx, Engels, Trotski et d’autres théoriciens de la première phase du communisme sont monnaie courante. Ils sont suivis de débats politico-idéologiques utopiques sur les indélités réelles ou supposées de Lénine à l’école de Marx. La même chose se produit en ce qui concerne les infidélités de Staline aux enseignements de Lénine. Puis Khroutchev et Brejnev (pour ne mentionner que les figures principales) sont remis en question de la même manière.

Et, finalement, le drame englobe maintenant tout l’empire soviétique. D’un côté se trouvent les communistes radicaux, les partisans de la ligne dure du capitalisme d'état. De l'autre se trouvent les partisans de l’autogestion, qui recherchent avidement à démanteler le capitalisme d'état (ainsi que le capitalisme privé de l'Occident). Ces deux clans se disputent pour savoir s'il y a lieu de remplacer les deux capitalismes par le socialisme autogestionnaire. On vante ce nouveau système comme étant innovateur et fortifiant, et ses partisans envisagent un tissu de groupes humains cellulaires comme étant l’organisation sociale idéale pour aujourd’hui. Chaque groupe cellulaire s’autogérerait dans une harmonie interne utopique et imperturbable, où tout serait possédé en commun : les biens, le travail, les fruits du travail, et même comme certains le mentionnent ou le sous-entendent avec beaucoup de vraisemblance – les « épouses » et les enfants.  

- Gorbatchev met lentement le cap vers l'autogestion

Comment cette harmonie interne et intergroupes peut-elle être expliquée ? Les intellectuels « puristes » utopistes ne s’attardent pas longtemps à ces problèmes. Ces groupes formant d'immenses magmas pacifiques, primitifs et d'une simplicité pastorale - sont leur objectif utopique, le but de leurs vaines pensées, leur « wishful thinking »(*).

(*) En anglais, un désir ardent qui mène l’homme à penser et à agir comme si la chose désirée fût déjà une réalité. 

Désirant ardemment cet idéal, ils commencent à rêver à la façon de l'atteindre.

Certains, probablement influencés par l’objectif exprimé dans le Préambule de la Constitution soviétique (*) voudraient que Gorbatchev conduise laborieusement de frêles esquifs tels que la perestroïka et la glasnost par les eaux agitées de la nouvelle Russie vers l’autogestion. Et ainsi, le drame se poursuivrait. Il n'est pas surprenant, donc, qu'il ait éventuellement à faire face à de dangereuses réactions à l’autogestion venant des « conservateurs », ceux qui promeuvent le capitalisme d'état actuel de l’état soviétique.

(*) « L'objectif suprême de l'état soviétique est la construction d'une société communiste sans classes dans laquelle l'auto-administration sociale communiste sera développée » (Constitution et loi fondamentale de l’Union des républiques socialistes soviétiques, in Arye H. L. Unger, Constitutional Development in the USSR [New York: Pica Press, 1982], p. 233).

Dans son livre Perestroika: New Thinking for Our Country and the World (New York: Harper & Row, 1987), Gorbatchev attire l'attention sur les défauts du système soviétique actuel :

« Il restait peu de place pour l'idée de Lénine de l'autogestion des peuples travailleurs. La propriété publique était graduellement mise hors de portée de son véritable propriétaire le travailleur…. Ce fut la cause principale de ce qui se produisit : à ce nouvel échelon l'ancien système de gestion économique commença à se transformer d'un facteur de développement en un frein qui retarda l'avance du socialisme. »

« Un peuple éduqué et talentueux dévoué au socialisme ne pouvait pas faire un plein usage des potentialités inhérentes au socialisme, de leur droit de prendre une part réelle dans l’administration des aaires de l'état. »

« Il va sans dire que dans ces conditions, les idées valables de Lénine sur la gestion et l'autogestion, la prise en compte des profits et pertes et l'union des intérêts publics et personnels ne furent pas appliquées et ne se développèrent pas convenablement » (pp. 47-48). 

Comme Gorbatchev l'explique amplement dans son livre, la perestroïka est simplement une continuation des idées de Lénine. Par conséquent, le plan de réforme économique, présenté durant l'assemblée plénière de juin 1987 du Comité central du parti communiste « contribue à la création de nouvelles structures organisationnelles de gestion, pour le développement global des fondations démocratiques de la gestion, et pour une large introduction des principes d'autogestion » (p. 84). La perestroïka n'est pas une retraite du communisme, comme certains pourraient le penser, mais plutôt une étape vers la réalisation de l'objectif final de l'utopie marxiste-léniniste. Gorbatchev ne perd aucune occasion d’exprimer fortement et clairement dans son livre que les peuples de l’Occident ne devraient pas se laisser berner en ce domaine (voir pp. 36 ss.).

A ce sujet, voir le Message des TFP « Le socialisme autogestionnaire par rapport au communisme : obstacle ou tête-de-pont ? » par Plinio Corrêa de Oliveira (La Presse, Montréal 12/12/81; The Globe and Mail, Toronto, 11/12/81).

De plus, les communiqués de presse montrent clairement combien les optimistes sont dupés en ce qui concerne la marche supposée de la Russie vers la restauration de la propriété privée.

Le premier ministre adjoint Léonid Abalkin a déclaré à Izvestia que « les difficultés économiques causent une aggravation des tensions sociales et un manque d’intérêt pour les reformes » (Jornal da Tarde, Sao Paulo, 2-10-89). Comme remède, il prévoit la privatisation des compagnies d'état en faillite, en les plaçant sous le contrôle de coopératives de travailleurs (voir le Jornal de la Tarde, 25-9-89). Ceci est bien loin de la restauration de la propriété privée.

Ainsi, lorsque le premier ministre Nikolai Rizhkov introduisit un projet de loi au parlement soviétique proposant une nouvelle loi commerciale, il exprima très clairement qu'il y avait des plans seulement pour « dénationaliser l’économie en créant de nouveaux types de propriété socialiste » (Jornal da Tarde, Sao Paulo, 3-10-89). Le projet de loi appelle un système de coopératives et d'industries contrôlées par des groupes de citoyens, mais exclut la possibilité de propriétaires uniques (voir le Jornal da Tarde, 3-10-89). Dans une déclaration également opposée à l’idée du droit de propriété privée, le premier ministre Rizhkov commentait : « Présentement, il y a quelques propriétés privées appartenant à seulement une personne. La plupart d’entre elles appartiennent à des corporations. Comment pouvons-nous retourner dans le passé ? » (O Globo, Rio de Janeiro, 3-10-89).

Pour ce qui est de la propriété rurale, Rizhkov notait que les terres louées par l’état aux unités familiales pouvaient être héritées, mais jamais vendues. La terre demeure une propriété collective (voir le Jornal da Tarde, 4-10-89). Il est clair que cette location de terres agricoles ne doit pas être confondue avec la propriété privée.

D'une façon semblable, tous les autres projets de loi proposés par le gouvernement se basent sur l'absence de propriété privée (ibid.).

Les vieux concepts communistes ne se sont pas adoucis avec le temps : « Nous [les Russes] soupçonnons le mot « riche » lui-même, écrivait récemment dans Izvestia l’auteur soviétique A. Vaskinsky. C’est une sorte d’allergie, cultivée depuis nos années d'étudiants » (Newsweek, [édition internationale] 9-10-89, p. 18).

Symptomatiquement, des adjoints mécontents interrompirent brutalement le premier ministre adjoint Abalkin alors qu'il faisait l'éloge des coopératives privées au parlement soviétique ; au lieu de cela, ils exigèrent que les coopératives soient sévèrement restreintes ou simplement fermées. Même Gorbatchev, qui les avait autorisées, se plaignit de leurs prix élevés et donna l'avertissement suivant : « Nous devons prendre les sentiments du peuple en considération » (Newsweek, [édition internationale] 9-10-89, p. 18). 

- Les mouvements séparatistes : un brouhaha d'inconnus

Alors que cela se produit en Russie, le reste de l’empire soviétique se découd. Les mouvements séparatistes secouent des « républiques unies » aussi éloignées que l'Estonie et l’Arménie, et s'étendent de l'Ukraine au Kazakhstan et même aussi loin qu’en Sibérie. Au même moment, d’impétueuses tendances centrifuges secouent des républiques communistes « souveraines » telles que la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et, surtout, la Pologne.

Qu’adviendra-t-il de tout cela ?

Personne ne le sait. Et personne ne pourrait le savoir, car ce scénario est un immense brouhaha d’inconnues qui bouillonnent, s’affrontent ou collaborent sous la pénombre de nouvelles encore plus sombres. 

- Les rêves utopiques de l’optimiste se dirigent vers une convergence totale

Cependant, il y a quelqu'un qui pense connaître « la réponse ». Il habite l'Occident. Ce n’est pas un homme, mais une légion d’hommes qu’on peut retrouver dans ce courant d’opinion occidental composé d’optimistes. A l’avant-garde d’entre eux se trouvent des personnalités de divers domaines spécialisés qui vivent presqu'exclusivement dans les enceintes étouffantes des bibliothèques, des laboratoires, des macro-bureaucraties, ou même dans les bureaux de grandes corporations.

Si ce n’était de l'appui énorme de la majorité des médias, la seule inuence de ces intellectuels et technocrates, détachés qu'ils sont de la réalité, n'aurait aucune inuence sur le cours des événements. Forts de cet appui cependant, ces individus parviennent à transmettre leurs vaines pensées à une portion non négligeable des hommes de la rue qui ont habituellement une certaine confiance dans les médias.

Cette légion d’optimistes prend ses rêves utopiques pour des intuitions « prophétiques » et interprète la réalité d'aujourd’hui comme si l’autogestion allait nous introduire dans une ère de concorde parfaite et de paix éternelle pour un monde finalement libéré des grandes structures. Dans ce but, beaucoup d'utopistes aspirent à la fusion de toutes les nations, de toutes les écoles de pensée philosophique et religieuse et de toutes les idéologies, peu importe les conflits internes qui peuvent les opposer. Ce serait le fruit de la « mise à bas des barrières idéologiques », nous introduisant dans une ère de consensus universel, libre de polémiques et de dissensions. Ainsi, le désarmement total ne semblerait plus téméraire mais, au contraire, deviendrait séduisant. Ce serait l’ère œcuménique du dialogue où tout serait résolu harmonieusement. En devenant autogestionnaire, le communisme déclinerait comme danger pour l'Occident, et l'Occident ne serait plus un danger pour le monde communiste. Toute l'humanité chanterait, enfin, l'hymne de la convergence totale.

Avec la mort du communisme et de l'anticommunisme, émergerait un monde libre de la menace nucléaire.

A son tour, la mort du communisme apporterait - oh! délice de tous les optimistes! - la mort de l'anticommunisme. Une fois le mal disparu, les médecins se spécialisant dans son traitement deviendraient inutiles.

Ce sont là les sentiments de beaucoup d'hommes de la rue (les optimistes) qui rêvent sans cesse d'abondance totale dans un monde libéré du spectre prémonitoire d'un holocauste nucléaire.

Libéré de ses cauchemars, l'occidental bourgeois pourrait alors s'abandonner aux délices de l’aube d'un relativisme absolu, frivole et volage qui serait son paradis sur terre.

Cependant, les hommes ont souvent honte de rêver et, par conséquent, ne rendent pas leurs rêves clairs, même pas pour eux-mêmes. Pour les connaître, il est nécessaire d’enquêter sur leurs opinions sur les événements récents. Ces opinions se retrouvent fréquemment dans les conversations quotidiennes de l’homme optimiste de la rue. En analysant ces commentaires, nous pouvons déterminer l’itinéraire de leurs utopies.

Puisque cet article est écrit pour dialoguer avec l’homme optimiste de la rue, je considérerai maintenant plusieurs aspects de leurs rêves, ce qui me permettra d'exposer leurs diverses aspirations. 

Par souci de brièveté, j’élaborerai sur ce sujet par phrases successives. D’abord, la proposition de l’optimiste est présentée, puis la réfutation de la TFP la démasquant. 

- La confiance ne peut se baser seulement sur les impressions personnelles

1. Les optimistes : Pour l’observateur lucide et intuitif les personnalités de Gorbatchev et de Raïssa suggèrent qu'ils sont du « bon monde », amis de leur peuple, désirant leur procurer autant d’abondance que possible, éliminer le despotisme policier et superviser le spectre de la guerre nucléaire.

TFP : C'est la manière typique de penser de l’optimiste. Une simple impression personnelle ou une forte sympathie qu’il ressent envers que1qu'un d'autre achète sa confiance et autorise des rêves délicieux.

Une simple photo dans un journal ou une revue ou une évaluation fugace d'une personne apparaissant au petit écran, suffit pour susciter le plus téméraire acte de confiance de la part de l’optimiste - qu'il s'agisse d’individus, de groupes ou d'une multitude.

Evaluer et analyser les antécédents de la personne, ses écrits ou ses actions, tout cela n'a que peu d’importance. Il suft de voir sa photo ou d'entendre sa voix pour la juger. 

- Il est téméraire de faire conance aux bonnes intentions d'une personne sans connaître ses antécédents

2. Les optimistes : A cause de leur popularité, Gorbatchev et Raïssa sont tout-puissants et peuvent faire ce qui leur plaît. Ils veulent ce que nous voulons. C'est-à-dire qu'ils désirent une prospérité sans limite pour tous les peuples du monde. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

TFP : Une fois encore nous pouvons voir le point faible des optimistes. Ne sachant rien des antécédents d'une personne, ils ne trouvent pas moins facile d’attribuer les intentions les plus généreuses et les plus désintéressées à ceux auprès desquels ils « se sentent bien ».

De cette même façon, des multitudes entières, dans les années '30, tant à l’intérieur qu'à l’extérieur de l’Allemagne, s’étaient extasiées d’un simple peintre en bâtiment qu'ils avaient vu et entendu et s'étaient immédiatement « senties bien avec lui ».

Qu'ils soient nazis, fascistes, communistes ou quoi que ce soit d’autre, les démagogues et la démagogie ont la victoire facile lorsque le nombre d'optimistes est grand. 

- Une longue oppression peut habituer un peuple à son esclavage

3. Les optimistes : C'est assez naturel que Gorbatchev soit fermement installé au pouvoir, puisqu’il est absurde de penser que les gens ne désirent pas être riches après 70 ans de misère.

TFP : Telle pourrait être réellement l'attitude d'un peuple soumis à une misère prolongée. Cependant, il est également plausible qu’un peuple ainsi traité se sente au contraire écrasé, décourage et habitué à la morne vie de l'esclavage.

Pourquoi devrait-on supposer que l'immense population de la Russie soviétique ait une attitude unanime face à sa misère ? Par exemple, il se pourrait bien que les peuples opprimés le long de la mer Baltique soient enragés, alors que ceux habitant le long des mers Noire et Caspienne savourent paresseusement leur conformité. Conséquemment avec sa tendance à l’optimisme et sans autre preuve, l’homme de la rue affirme qu’ils sont tous enragés. De cela il tire des conclusions qui sont elles-mêmes optimistes. Parmi elles : le communisme n'existe plus. Cette manière frivole de penser nécessite-t-elle davantage de réfutation ? Nous ne le pensons pas.

(*) L'article de Bernard Lecomte "Gorbatchev en danger" dans L'Express (7/7/89), démontre que trois dangers planent sur la tête du leader soviétique. L’un d'eux est « le conservatisme …  d’une population qui a été assommée, annihilée et terrorisée par le moyen d'une lutte prolongée entre un ancien système de valeurs et l'utopie criminelle du ‘nouvel homme’. Derrière une élite intellectuelle il y a 286 millions de Soviétiques qui ne croient pas les réformes en cours. Comment Gorbatchev pourra-t-il faire évoluer cette société qui est en passe de devenir la société la plus conservatrice au monde ? » (p. 30).

Il est bon de se rappeler que ce « conservatisme » est le fruit d’accommodements et d’apathie face à un régime-anti-naturel et despotique.

Dans ce même numéro de L'Express (p. 38), Vladimir Berelovitch souligne la même idée en décrivant « les habitants de l’intérieur de la Russie » comme « des humains soumis, terrorisés et irresponsables qui furent moulés par le despotisme pendant des décennies. Nous attendons-nous à ce que cette population ait de l’initiative et approuve les réformes ? …. Une apathie générale caractérise cette  population. » 

- Seul le temps nous dira si les masses russes sont réellement enragées

4. Les optimistes : L’état policier a réprimé la possibilité des peuples aamés et enragés de se révolter. Gorbatchev a libéré la bête et personne ne peut plus l'arrêter maintenant. L'agressivité de la misère est invincible et a justement fait connaître Gorbatchev comme le paladin de l’abondance et le champion de la liberté. Un homme détenant dans ses mains la vague irrésistible de l'opinion publique ne peut être renversé

TFP : « Des peuples enragés » ? La misère et l'oppression ne causent pas toujours de l'outrage; au contraire, elles peuvent parfois affaiblir un peuple. Seuls les événements prochains nous diront si les masses russes sont réellement enragées ou lamentablement affaiblies. La révolte en Chine illustre très bien comment une majorité découragée s’est en fait soumise à l'oppression (au moins jusqu’à maintenant) qui fut ré-instituée avec la victoire des communistes « conservateurs » de la ligne dure.

« Il ne peut pas être renversé ». Puisque cette prédiction se base sur le vide d'une prémisse non prouvée, elle n'a pas plus de valeur que la prémisse. 

- La frénésie d’aider Gorbatchev suggère qu'il pourrait échouer sans l'appui de l'Occident

5. Les optimistes : Tous les plans de Gorbatchev sont viables et prévaudront. Toutes ses promesses sont sincères et seront réalisées. Toutes ses assurances sur le désarmement méritent notre confiance absolue. Il serait absurde de penser autrement. Ceci conduit l'Occident (les gouvernements, les politiciens, les capitalistes, les intellectuels et les médias) à laborieusement appuyer Gorbatchev (et avec raison). Ainsi fournissent-ils un appui immense à son prestige et à sa puissance en Russie.

TFP : L'optimisme facile de l'Occident aide vraiment Gorbatchev à demeurer au pouvoir. Des prêts publics et privés dangereusement considérables ; des ententes sur le désarmement faisant preuve d'une confiance aveugle et dépourvues de clauses de vérification sérieuses ; tous genres d'ententes commerciales internationales améliorant le prestige de Gorbatchev; des voyages à l’étranger qui ne sont pas moins prestigieux et propagandistes ; tout cela est fourni par un Occident « drogué » d'optimisme et aide Gorbatchev à résister effectivement à l'opposition interne.

Cette frénésie de reddition et de retraite face à la puissance soviétique et de favoritisme envers Gorbatchev par tous les moyens possibles peut ne rien augurer de bon. La frénésie occidentale semble largement motivée par la peur que Gorbatchev puisse échouer si on ne lui donne pas ces aumônes torrentielles et ces gigantesques privilèges.

« Un mendiant est suspect lorsque les aumônes sont trop considérables. » Ces aumônes si abondantes accordées à Gorbatchev ne sont-elles pas une raison suffisante pour donner lieu aux soupçons ? Oui, au soupçon que derrière l’aide abondante à Gorbatchev se cache la panique de sa défaite dans la Russie intérieure, liée à l’optimisme frivole de ses bienfaiteurs. Un léger emportement dénonçant ses faiblesses pourrait alors être suffisant pour qu'il ne soit plus avantageux, économiquement et politiquement, de l'appuyer. Avec cela, les aumônes et les privilèges disparaîtraient avaricieusement. Et alors, malheur à Gorbatchev ! 

- Après 70 ans, il est plus que probable que l’esclavage communiste se poursuivra

6. Les optimistes : L'état présent de misère en Russie est essentiellement instable aux yeux de la bourgeoisie et des masses de l’Occident. Elles considèrent qu'une tragédie est improbable ou, si elle devait se produire, qu'elle ne serait que passagère. Ainsi, Gorbatchev conservera naturellement les rênes du pouvoir. Ses ennemis de la ligne dure devraient-ils obtenir quelque victoire, elle serait de courte durée. Cette victoire se retournerait contre eux, résultant en une catastrophe pour les coupables et en une n heureuse pour les victimes. Le « conservatisme » stalinien est destiné à connaître la catastrophe, et la perestroïka et la glasnost à triompher. Ceci est le résultat inévitable de la destinée historique. Admettre le contraire rendrait invivable la vie de l’optimiste philanthrope occidental. Par conséquent, les formes d'oppression stalinistes devront disparaître une fois pour toutes.

TFP : Il est étonnant que quelqu’un puisse tenir pour indiscutable la prémisse optimiste selon laquelle l'état de misère et d’oppression en Russie est éphémère. Le tsarisme s’est écroulé en 1917. Depuis lors, la soi-disante Union des Républiques Socialistes Soviétiques, qui inclut le vaste état russe, s'est alangui dans la misère la plus noire. C’est une misère vouée à un lugubre esclavage, et qui fut justement appelée « cette honte de notre temps » dans un document de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, présidée par le Cardinal Joseph Ratzinger (Instruction sur certains aspects de la "théologie de la libération", le 6 août 1984).

L’esclavage est sans doute l'autre visage de la misère de l'empire soviétique. Si nous considérons les peines de mort à motif politique, l'infernale Lubyanka, les sentences d'emprisonnement sans fin en Sibérie, les épouvantables hôpitaux psychiatriques, l’oppression policière incessante et omniprésente, comment peut-on qualifier d'éphémère ce cauchemar d'horreurs duquel la Russie n'a pu se tirer après plus de sept décennies? Ceci n'est rien de plus qu'une négation agrante des faits historiques les plus évidents.

Pourquoi perdre du temps avec cet argument ? Qu'il suffise de le considérer dédaigneusement pour ensuite continuer. “Non ragioniam di lor, ma guarda e passa” (La Divine Comédie, l'Enfer, Chant III, v. 51). Ainsi Virgile conseilla Dante. Comme Dante suivit ce conseil, faisons de même. 

- Libérer la liberté ne produit pas nécessairement l'ordre

7. Les optimistes : Ce n'est cependant pas si difficile de normaliser la situation en Russie. Vous n'avez qu'à tout libéraliser. Ensuite, l’ordre et l’abondance, irrigués par la liberté, germeront partout.

TFP : La liberté est un grand bien, comme la Sainte Eglise Catholique l'a toujours enseigné. En ce domaine, Léon XIII peut être spécialement cité pour son encyclique Libertas Praestantissimum. Cependant – et l’Eglise l’enseigne également - la liberté n'est bonne que dans la mesure où elle est limitée par les principes de la morale chrétienne et de l’ordre naturel. Observer ces principes ; trouver la mesure parfaite du comportement humain dans l’application concrète de chacun de ces principes ; investir l’autorité appropriée du pouvoir nécessaire pour remplir sa mission sans excès ; tracer les limites de l’autorité et, à cette fin, établir un système complexe et judicieux de groupes intermédiaires entre l’état et l’individu; et, finalement, équilibrer les relations entre ces groupes intermédiaires et les libertés civiles ; cette tâche herculéenne serait impossible à entreprendre sans l'aide inestimable et précieuse de la grâce de Dieu.

Faire abstraction de tout cela et imaginer que nous n'avons qu’à libérer la liberté pour que tout se mette spontanément en place, c'est imaginer une utopie de primate. 

- Le prestige de Gorbatchev se trouve ébranlé par les mouvements séparatistes

8. Les optimistes : Les mouvements séparatistes ne menacent pas réellement Gorbatchev. L'empire soviétique est si immense qu'il peut supporter de perdre la plus grande partie de ses territoires non-russes et demeurer encore vaste. Pour ce qui est des républiques communistes qui ne font pas partie de l'URSS, plusieurs d'entre elles pourraient aussi quitter le bloc soviétique et les dimensions de ce dernier demeureraient toujours considérables.

TFP : Les optimistes considèrent le problème sous le mauvais angle. Voir tomber d’une façon incontrôlable de plus en plus de sections de ce Moloch, telles les chairs pourrissantes d’un lépreux ne peut que créer une impression extrêmement troublante et profondément embarrassante chez ceux qui sont habitués à voir l’empire soviétique dans ses vastes dimensions actuelles. L’effet dévastateur de ce processus ébranle aussi le prestige de Gorbatchev dans la mesure où ces morceaux de « chair » tombent de la région qu'il gouverne. 

- Il est téméraire de faire confiance à l'ennemi d'hier sans garanties

9. Les optimistes : Le communisme est mort. De cela il résulte une joie encore plus grande : l'anticommunisme, ce répugnant prophète de malheur, ce désagréable prêcheur d'austérité, de réexion, de cohérence et de sérieux, disparaîtra de la terre.

TFP : Vraiment, comme l’exprime un proverbe classique, quiconque Dieu désire condamner, il le rend d'abord fou : « Quos Deus perdere vult, prius dementat. »

Les optimistes délirants de l'Occident savourent à l'avance la victoire du leader soviétique, bien avant le fait. Rien ne garantit que Gorbatchev n’est pas seulement en train de nous donner le change et qu’il n'est pas à faire des plans qu'il sait ne pouvoir être réalisés que dans une utopie. En Occident, l’irréductible optimiste fait confiance à l’ennemi d'hier qui est présumablement encore son ennemi aujourd’hui et le sera encore demain.

Au contraire, il désire en même temps prendre ses distances d'avec les anticommunistes, les paladins dévoués et déterminés de la civilisation occidentale et chrétienne.

Si les magnats occidentaux maintiennent cette mentalité, une chose est certaine: peu importe qui triomphera, des communistes ou des anticommunistes, ces optimistes échoueront. Ce sont toujours les réels perdants dans l'histoire. Et de nouvelles élites suscitées par la Providence divine les remplaceront au mérite pour diriger avec droiture les affaires de ce monde.


(*) L'article ci-dessus a été publié dans The Wall Street Journal (3 novembre 1989, pg. B5B). 


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