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Chapitre III
Le noyau doctrinal du « Projet socialiste » : laïcité – « liberté, égalité, fraternité »
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1. Les droits de l'homme dans la société autogestionnaire: s'informer, dialoguer et voter On a déjà vu que le PS propose d'éduquer le citoyen depuis la naissance jusqu’à la mort, lui façonnant l'âme dans le travail et les loisirs, dans la culture et l'art, et influant même sur l’aménagement de son logement. Quelle influence cela aura-t-il sur la liberté individuelle ? On peut confirmer ici ce qui a été dit plus haut sur les relations entre liberté et égalité, dans la trilogie de la Révolution. Si par liberté on entend n'avoir rien ni personne au-dessus de soi, et par conséquent faire absolument ce que l'on veut – ceci est en effet le sens radical et anarchique du terme - le citoyen autogestionnaire ne sera libre qu'en apparence. En vérité, il ne le sera à aucun moment de sa vie. Le citoyen autogestionnaire verra se rétrécir de plus en plus la sphère de son choix individuel, qui lui permet d'extérioriser le caractère irremplaçable de sa personnalité. Dans son travail, comme dans ses loisirs, il aura la liberté d'être informé, de dialoguer et de voter, mais normalement la décision incombera à la collectivité. La liberté du citoyen se bornera à pouvoir dire ce que bon lui semble lors de débats publics et de voter selon son choix. Il est libre comme électeur quant au choix de noms, et comme votant lors des assemblées délibératives. Comme individu, il est poussé par le Projet jusqu'aux limites de la non-existence (35). Ceci n'est pas directement au profit de l'État, mais d'un ensemble ou d'un mécanisme social composé de groupes autogestionnaires d'entreprise ou étrangers à l'entreprise. (35) “La reconnaissance des petits collectifs sociaux et par conséquent d'intérêts collectifs très proches de l'individu et faciles à appréhender (famille, atelier, classe d'école, association, quartier, etc) est un des fondements de la société socialiste autogestionnaire. Encore faut-il qui les décisions puissent se prendre; l'existence d'un intérêt collectif doit se traduire en définitive dans une procédure. C'est pourquoi les socialistes... affirment que la légitimité ne saurait jamais procéder en dernier ressort, demain comme aujourd'hui, que du suffrage universel. L'intérêt général et la démocratie ne sont pas en guerre. Tout simplement l'intérêt général ne peut se définir autrement que par la démocratie” (Projet, p. 131)
Tant que l'autogestion ne se dirige pas vers la désagrégation finale de l'État et la dissémination des pouvoirs de celui-ci en petites communautés autocéphales, le graphique du pouvoir dans la société autogestionnaire aura pour extrême l’Etat, en passant par les assemblées, les comités et autres organes de la société (36). (36) Tout comme les socialistes français, les communistes veulent faire de l'autogestion de la société leur but final. On peut lire dans le préambule de la Constitution Russe: “L'objectif suprême de l'État Soviétique est la construction d’une société communiste, dépourvue de classes dans laquelle l’autogetion sociale communiste pourra se développer” (Constitución - Ley Fundamental de la Unión de las Repúblicas Socialistas Soviéticas, du 7 octobre 1977, Editorial Progreso, Moscou, 1980, p. 5). Il n’y a donc pas di désaccord doctrinal entre les communistes et les socialistes à ce sujet. Les divergences apparaissent dans la manière de concevoir le dépérissement de l'État. L’Institut de Philosophie de l'Académie des Sciences de Russie définit de la manière suivante le rôle de l'État pendant la période de transition vers une société autogestionnaire: “Le développement d'une démocratie socialiste consolide le pouvoir de l'État en même temps qu'il pave la voie pour sa disparition et parallèlement il prépare le passage à un régime social où il est possible de gouverner sans mécanismes politiques et sans coercition de la part de l'État... Mais essayer de parvenir à une disparition plus rapide de l'État, sous prétexte de combattre ‘le bureaucratisme' et proclamer en même temps le besoin de renoncer ou pouvoir de l'État, en revient à - vues les conditions du socialisme dans un monde où le capitalisme continue à exister (et ce qui est plus grave, pendant une époque de transition vers le socialisme) - désarmer les travailleurs en pleine vue de leur classe ennemie. On ne peut se servir d'aucune mesure artificielle pour accélérer l'anéantissement le l'État. L'État ne sera aboli par personne mais il disparaîtra, petit à petit, à partir du moment où L’on n'auro plus besoin de pouvoir politique. Cela ne sera possible que lorsque l'État socialiste aura rempli sa mission historique, ce qui nécessite, en revanche, une consolidation du pouvoir politique. C'est pourquoi on ne peut pas mettre le souci de la consolidation de l'État socialiste en opposition aux perspectives de son extinction. C'est le revers de la médaille. Du point de vue dialectique, le problème de l’anéantissement de l’État est le problème de la transformation de l’État socialiste, à la société communiste d’autogestion. Certaines fonctions analogues à celles remplies par l'État en ce moment existeront toujours sous le communisme. Mais elles prendront un tout outre caractère et elles ne s'exerceront pas de la même manière qu'à leur stade actuel. L'anéantissement de l'État veut dire: 1) La disparition du besoin du caractère coercitif de l'État et des organes dont il se sert pour l'application de cette force; 2) la transformation des fonctions économiques, éducationnelles culturelles et d'organisation exercées actuellement par l'État, en fonctions purement sociales; 3) la participation de tous les citoyens à la direction des affaires publiques et la disparition du besoin de créer toutes sortes d'organes du pouvoir public. Quand toutes les traces marquant la division de la société en classes auront été biffées, quand le communisme aura définitivement triomphé et quand les forces de l’ancien monde qui s'opposent au communisme auront quitté la scène, la nécessité de l'existence de l’État disparaîtra aussi. La société n'aura plus besoin de former des contingents spéciaux d'hommes portant les armes pour garantir l'ordre social et la discipline. La machine de l'État pourra donc, comme Engels l’a prédit, aller rejoindre le rouet et la hache de bronze au musée archéologie” (Académia des Sciences de l'URSS - Institut de Philosophie, Fundamentos de la Filosofía Marxista, Rédaction générale de F. V Konstantinov, Editorial Grijalbo, Mexique, 2ᵉ éd., 1965, pp. 538-539).
Du point de vue du travailleur, ce graphique pourrait avoir la forme d’un losange. A un angle se trouverait sa propre entreprise, à l’intérieur de laquelle il n’est qu’une molécule qui parle et qui vote; à l’angle opposé se trouve l’État. Ce dernier se trouverait cependant au sommet du losange, l'assemblée des travailleurs étant à l'angle inférieur. Une fois l'autogestion installée, cette assemblée ne serait pas nécessairement une simple façade derrière laquelle l'État manipule tout. Ceci pourrait bien sûr arriver, mais on ne considère pas ici les déformations que la société autogestionnaire pourrait subir en pratique; on ne tient compte que de ce que serait le mirage socialiste mis en pratique dans sa totalité. Ainsi, il est évident dans la logique du Projet que: a) une fois la société autogestionnaire installée, les pouvoirs de l'État diminueront “graduellement”; b) l'État est cependant omnipotent au moment d'installer cette société par la loi. Bien que la loi serve de fondement et de norme, cette société ne vivra qu'en vertu de l'omnipotence de l'acte de l'État qui l'a constituée et qui l'a organisée. L'État pourra à tout moment abroger cette loi, ou la modifier comme et quand il l'entend... du moins tant qu'il existe; c) l'État n'exerce pas de tels pouvoirs dans la société occidentale. Les États de l'Orient et de l'Occident ont théoriquement adopté le principe de la souveraineté du suffrage universel. Cette souveraineté est limitée en Occident par la reconnaissance de libertés individuelles plus ou moins développées, ce qui n'est pas le cas en Orient. Et pas davantage dans la société autogestionnaire, puisque la liberté de l'individu n'y consistera qu'en l'usage de la parole et du vote lors des assemblées. Ainsi, l'État dispose de tout le pouvoir sur la société autogestionnaire. Il annihile la famille et la remplace. Il accorde aux molécules autogestionnaires les bribes de droits qui leur restent dans la société ; il a le pouvoir illimité de légiférer sur l'autogestion de l'entreprise, de l'enseignement ou autre. Il enseigne. Il forme, il nivelle, il remplit les loisirs. En somme, il s'installe dans l'esprit de l'individu. Il ne reste à celui-ci que la condition d'automate, dont les seuls signes de vie propre sont de s'informer, de dialoguer et de voter. Cette trilogie serait la mise en pratique de l'autre: « Liberté, égalité, fraternité ». En bref, la société autogestionnaire a une morale et une philosophie propres (37), que le travailleur automate absorbera avec l'air qu'il respire. (37) “On n'adhère pas au socialisme sons une certaine vision de l'homme, de ce qu'il veut, de ce qu'il peut, de ce qu'il doit, de ses droits et de ses besoins” (Projet, p. 10).
2. La Religion et les religions dans le « Projet » La société autogestionnaire ne se borne pas à éliminer ou à restreindre les libertés de l'individu, mais, comme on l'a vu, elle cherche même à lui former la conscience. Ces considérations conduisent naturellement à analyser jusqu'à quel point les droits de la Religion sont mutilés par le Projet. a) Le Projet est laïc en chacun de ses mots, voire en chacune de ses lettres. Il n'a pas une seule pensée pour Dieu. Pour le Projet, la source de tous les droits n'est pas Dieu, mais l'homme, la société. Le Projet ignore tout à fait la vie dans l'au-delà, la Révélation, l'Église comme Corps Mystique du Christ (38). (38) “Le Parti socialiste n'a pas pour but de se faire plaisir ni de témoigner pour L’au-delà mais de transformer les structures de la société” (Projet, p.33). “ L'explication de la société... est une chose, le destin ultime de L’homme en est une autre”, affirme le Projet. Comme si on pouvait expliquer quelque chose en faisant abstraction de sa fin. Mais en guise de consolation, le Projet ajoute avec habileté: “Dans la mesure où le cléricalisme s'efface, l’anti-cléricalisme perd sa justification. C'est là un enrichissement de la laïcité et un acquis précieux du combat socialiste de ces dernières années” (Projet, p. 29). En fait, plus que le cléricalisme c'est le clergé et l'Église qui sont ainsi “biffés” dans le Projet.
b) La Religion - pour le Projet, les religions, puisqu'il ne reconnaît le caractère surnaturel d'aucune d'elles - est tout juste un fait social qui a toujours existé et qui subsiste encore. Ce fait est extrinsèque à la société autogestionnaire et incompatible avec sa laïcité. Ceci mène à penser que la société autogestionnaire, qui tend à détruire tout ce qui lui est extrinsèque et contradictoire, s'efforcera d'anéantir les religions « graduellement ». Il est certain que le Projet leur garantit la liberté de culte, mais elle est forcée à des limites véritablement minimes, car tout l'ordre temporel sera conçu et mis en pratique dans un sens opposé à celui de l'Église: l'économie, l'organisation sociale, le totalitarisme politique, la perpétuation de l'espèce humaine, la famille et l'homme lui-même (39). (39) Les catholiques sont fréquemment plus sensibles aux transgressions des lois divines qui se rapportent à la famille qu'à celles qui touchent l'institution de la propriété privée. Il est en effet possible qu'un lecteur catholique, plus ou moins indulgent envers l'idée d'autogestion dans l'entreprise, s'imagine qu'elle ne s'applique qu'au domaine des affaires, sans effleurer la vie de l'individu, sa famille et son éducation. Tout cela ne serait qu'une illusion, car la corrélation naturelle entre la famille et la propriété rend une telle séparation impossible. Ne serait-ce qu'à lire ce texte, il est évident que l'autogestion d'entreprise comme la décrit le Projet, est inséparable de ses fondements philosophiques et moraux. Et une fois qu'on les a adoptés, ces principes affectent forcément tous les autres aspects de la vie humaine.
Le Projet implique une vision tellement globale de la société, qu'il présuppose nécessairement - quoique de façon implicite - une vision globale de l'Univers, puisque ce dernier est d'une manière ou d'une autre le contexte de la société. Une société globale, laïque et fermée sur elle-même correspond à un Univers également laïque, global et fermé sur lui-même. A son tour, une vision de l'Univers implique l'affirmation ou la négation de Dieu, négation parfaitement authentique, bien qu'elle soit exprimée par un mutisme (40). Le Projet est donc « a-thée », sans Dieu: athée. (40) La Constitution Pastorale Gaudium et Spes, du Second Concile du Vatican, renferme une description très synthétique et nuance de l'athéisme moderne. De ce point de vue il nous est utile de le citer ici: “On emploie le mot 'athéisme' pour désigner des phénomènes qui diffèrent considérablement L’un de L’autre. Il y en a qui nient expressément L’existence de Dieu. D'autres maintiennent que L’homme ne peut faire aucune affirmation à son sujet. D'autres encore soumettent le problème de L’existence de Dieu à une telle méthode d'examen qui lui ôte tout son sens. Beaucoup d'autres, allant à tort au delà des limites des sciences positives, prétendent soit que tout peut s'expliquer par un procédé de raisonnement scientifique, soit, au contraire, qu'ils n'admettent plus aucune vérité absolue. Quant aux autres, c'est L’idée exagérée qu'ils se font de L’homme qui fait languir leur foi et L’affaiblit. Ils semblent tendre davantage à affirmer l'homme qu'à nier Dieu... Il y en a aussi qui ne cherchent même pas à s'interroger sur Dieu: Ils semblent ne ressentir aucun souci religieux et ainsi ne voient-ils aucune raison de s'inquiéter de la Religion” (nº 19) (apud Vatican Council II, The Conciliar and Post-Conciliar Documenls, Scholarly Resources, Inc., Wilmington, Del., 1975, pp.918-919).
On peut se demander si le silence du Projet à propos de Dieu n'est qu'une simple étape “graduelle” vers quelque panthéisme évolutionniste. La référence à un panthéisme éventuel correspond à la fonction pour ainsi dire rédemptrice que le Projet attribue à la collectivité, par laquelle l’individu se sauve du naufrage où il se trouve de par sa condition d’individu. C’est la voie pour la solution de tous les problèmes (41). (41) “Nous entendons que le collectif soit synonyme de grandeur, de beauté, de profondeur, de joie di vivre” (Projet, p. 153). Ce qui revient à dire que grandeur, beauté, profondeur et joie de vivre sont synonymes du collectif.
La référence à l’évolutionnisme est à son tour proche du caractère arbitraire, antinaturel et artificiel du réformisme socialiste, et plus encore du relativisme fondamental qu'il professe (42). A partir de concepts philosophiques très obscurs, mais dont l'influence le parcourt d'un bout à l'autre, le Projet nie les principes les plus fondamentaux de l'ordre naturel (tels que la différenciation entre la mission de l'homme et celle de la femme, la famille, l'autorité maritale, l'autorité paternelle, le principe de l’autorité à tous les niveaux et dans tous les domaines, la propriété individuelle, l'héritage). Le Projet tend à reconstruire - à vrai dire en guerre avec l'œuvre du Créateur - une société humaine contraire à la nature que Dieu a créée pour l'homme. (42) Tout le mouvement de la science... s'inscrit dans une remise en couse permanente des postulats de la phase précédente » (Projet, p. 135). “Il ne saurait à nos yeux exister un savoir constitué une fois pour toutes. La connaissance, parce qu'elle implique une rectification et même une reconstruction permanente de la réalité telle que nous nous la représentons, ne peu jamais se dire achevée et doit être constamment remise en cause” (Projet, pp. 136-137). Tout ceci présuppose que la nature, que le PS envisage comme métamorphosable à l’infini, peut être modelée par l'homme comme il l'entend, ce qui fait songer au système évolutionniste.
3. L’Épiscopat français face au PS En tant que catholiques, nous ne pouvons pas, après ces considérations, cacher un grand étonnement, qui sera celui de toutes les nations jusqu'à la fin des temps, passée la confusion actuelle des esprits. Nous sommes surpris que la Conférence Épiscopale Française n'ait pas eu une seule parole de mise en garde devant le danger que courait la nation ainsi, avant les élections qui allaient ouvrir la voie aux mentors et aux dirigeants du PS. L'Église et les dernières survivances de la chrétienté couraient le même danger. Au contraire, dans deux déclarations (du 10 février et du 1er juin), le Conseil permanent de l’Épiscopat Français a manifesté sa neutralité face aux différents candidats, affirmant ne pas “vouloir peser sur les décisions personnelles” des catholiques français et faisant appel pour que la campagne électorale soit vécue “dans le respect des hommes et des groupes, y compris des adversaires” (Déclaration du 10 février 1981) (43). (43) Mgr Lustiger, Archevêque de Paris, a démontré avec emphase cette attitude de neutralité évasive envers les élections à l'occasion d'une lettre ouverte qui lui avait été adressée par la JEC. Dans cette lettre, publiée par “Le Monde” (10-11 mai 1981), cette organisation d'Action catholique lui avait demandé de confirmer ou de nier des rumeurs selon lesquelles il s'était déclaré personnellement en faveur du président sortant. Dans cette déclaration, L’Archevêque manifesta son étonnement face à cette nouvelle, qu'il nia formellement, et assura être d'accord avec la position exprimée collectivement par l'Épiscopat (cf. “La Croix”, 12/5/81). Les quelques promesses d’action combative faites par Mgr Jean Honoré, Évêque d’Évreux et Président de la Commission Épiscopale du monde scolaire, semblent insuffisantes. Il déclara que l'école catholique ne constitue pas pour l’Église “priorité des priorités”. Les évêques souhaitent réserver leur parole “pour le jour où l’école catholique sera en danger” (“Informations Catholiques Internationales” nº 563, juin 1981). Dans la déclaration du 1er juin, « à l'occasion des élections législatives », les Évêques remarquent que choisir entre projets et programmes qui « se proclament et s'opposent » « est le propre d'une société démocratique ». Ainsi, l'Église Catholique, en présentant « sa propre réflexion sur l'avenir prochain de notre société », le faisait « non pour soutenir un groupe ou s'opposer à quiconque, mais pour attirer l'attention sur les valeurs essentielles de la vie personnelle et communautaire des hommes ». Les Évêques prétendent, par un tel procédé, contribuer « à la dignité et à la générosité du débat » (44). (44) Dans L’intérêt de la brièveté, le texte complet des déclarations des évêques français à propos des récentes élections présidentielles et législatives n'a pas pu être publié ici. Le texte complet, transcrit respectivement de “La Documentation catholique” nº 1803, du 1/3/81 et du “Monde” du 3/6/81 peut être obtenu auprès de la TFP.
Une telle attitude est compatible avec le document Pour une pratique chrétienne de la politique approuvé à l'unanimité à Lourdes, en 1972 (cf. Politique, Église et Foi, Le Centurion, Lourdes, 1972, pp. 75-110). Dans ce document, les Prélats constatent que « les catholiques français couvrent aujourd'hui tout l'éventail de l'échiquier (sic) politique » (op. cit., p. 80), c'est-à-dire également le PS et le PC. Devant ce fait monumental, les Évêques affirment simplement la légitimité du pluralisme et commentent avec une sympathie évidente l'engagement de « nombreux chrétiens » dans le « mouvement collectif de libération » animé par la lutte de classes d'inspiration marxiste, qu'ils ne condamnent pas en termes clairs (45). (45) Dans ce document, les évêques français énoncent : “Notre ministère pastoral nous fait témoins de l'impératif évangélique qui anime de nombreux chrétiens, dans tous les milieux sociaux, et de l'espérance qui les porte quand ils participent à ce mouvement collectif de libération, avec ceux dont ils sont ou se perçoivent solidaires dans leur vie quotidienne. Les évêques de la Commission du monde ouvrier, entre autres, L’ont exprimé dans le document de travail où ils nous rendent compte de la première phase de leurs entretiens avec des ouvriers ayant fait l'option socialiste” (op. cit. p.88). “Aujourd'hui, un fait nouveau fait irruption dans L’actualité. Des chrétiens de divers milieux - ouvriers, ruraux, intellectuels - expriment ce qu'ils vivent avec un vocabulaire de 'lutte des classes'... Il est évident que cette analyse en termes de 'lutte des classes' a aidé beaucoup de militants à cerner plus précisément les mécanismes structurels des injustices et des inégalités. Il faut aussi constater que, ce faisant, ils se réfèrent plus ou moins à des instruments de L’analyse marxiste de la lutte de classes. Pour que leur ambition de réaliser une société plus juste et plus fraternelle ne se dégrade pas en cours de route, pour qu'elle bénéficie tout au long du chemin des impulsions positives du sens évangélique de l'homme, un effort de lucidité et de discernement s'impose” (op. cit., p. 89).
Devant ces précédents, le fait - en soi-même étonnant – que la doctrine socialiste pénètre impunément depuis près de dix ans le troupeau confié par le Saint Esprit au zèle et à la vigilance des Pasteurs français ne cause plus de surprise. Les voix de nombreux catholiques égarés dans les rangs de l'électorat socialiste ont contribué de façon importante à la victoire autogestionnaire des dernières élections (46). (46) La célèbre revue progressiste “Informations Catholiques Internationales” (nº 569, juin 1981) soutient que: “tous concordent: les catholiques définis comme pratiquants se sont partagés à raison d'un quart en faveur de F. Mitterrand et trois quarts pour V. Giscard... Qu'un catholique réputé pratiquant sur quatre ail voté pour F. Mitterrand est d'une importance politique décisive: c'est beaucoup plus d'un million de sulfurages qui sont venus grossier le camp de la gauche: or... il eût suffit que la moitié de ces catholiques aient voté pour le président sortant pour que celui-ci fût réélu. François Mitterrand doit, entre autres causes, son succès au mouvement qui a entraîné à gauche une partie des catholiques”. Remarquez que la revue met les “catholiques pratiquants” dans une catégorie à part. On devrait se demander combien de gens, baptisés mais non pratiquants, et qui se considèrent catholiques, auraient pu être influencés par un mot ferme d'éclaircissement de Ia part de l'Épiscopat et auraient, par conséquent, refuse de voter pour le candidat socialiste. En énumérant les raisons de la victoire de Mitterrand, de prestigieux organes de presse, dont le témoignage à ce sujet n'est pas suspect, ont relevé le fait que les progrès les plus significatifs de la gauche ont eu lieu dans les provinces françaises de l'Est, de L’Ouest et du Massif Central (cfr. “La Croix”, organe officieux de l'Archidiocèse de Paris, 12/5/81; “L'Express”, 5-11/5/81 et 12/5/81 et même “L'Humanité”, porte-parole officiel du Parti communiste, 15/5/81). Plus encore, ainsi que le Projet le relève avec satisfaction, les catholiques ne font pas que voter pour le PS, ils s'y inscrivent même, apparemment sans grande crise de conscience: “Le Parti socialiste a toujours entendu regrouper sans distinction de croyance philosophique ou religieuse tous les travailleurs qui font leur idéal et leurs principes du socialisme. De plus en plus nombreux sont donc les chrétiens qui rejoignent non seulement le Parti mais les analyses socialistes elles-mêmes, sans pour autant, bien au contraire, renier leur foi” (Projet, p.29). Ce fait, d'ailleurs, est de toute notoriété en France. Pour éviter le moindre doute au sujet du sens du verbe “rejoignent” dans la citation ci-dessus, Mitterrand en donne une explication précise dans ses Conversations avec Guy Claisse: “Au Parti socialiste, les catholiques militants ne nous servent pas d'alib. ils sont chez eux. Leur nombre y est important... - Parmi les militants de base ? - Oui. Mais aussi à la direction nationale et dans les exécutifs locaux” (François Mitterrand, Ici et maintenant - Conversations avec Guy Claisse, Fayard, Paris, 1980, p. l2). Il nous est donc absolument impossible de comprendre cette omission de l'Épiscopat à éclairer tous ces catholiques. Enfin, il nous faut noter que cette perméabilité de certains milieux catholiques au socialisme n'est pas un élément nouveau, mais qu'elle remonte à la moitié du siècle dernier, comme Mitterrand se complait à le signaler dans son livre: “Ma démarche, depuis le premier jour, a été que les chrétiens, fidèles à leur foi, se reconnaissent dans notre Parti, que dérivent vers le même fleuve les sources multiples du socialisme. Au milieu du XIXe siècle, hors l'avant-garde des Lamennais, Ozanam, Lacordaire, Arnaud, les catholiques de France appartenaient au camp conservateur, L'Église, secouée par la première révolution française, inquiète des progrès de L’esprit voltairien, s'était rangée aux côtés du pouvoir de la bourgeoisie, pouvoir d'une classe sociale, étroite, égoïste, féroce quand il fallait... Le Christ obscurci, l'Église complice, il n'y avait d'issue que dans la lutte, à bras d'homme, pour la conquête, ici et maintenant, d'un état qui vous délivrerait de L’esclavage, de la misère et de l'humiliation. Par une pente naturelle, les socialistes ont rejoint, dans leur majorité, les théories qui rejetaient L’explication chrétienne... L'enracinement rationaliste et la montée du marxisme ont accentué dans le prolétariat le refus de l'Église et de son enseignement. Le socialisme qui s'était fait sons elle a commencé de se faire contre elle. Mais aussi, quel silence du christianisme! quel long silence!... Pourtant, à la fin du siècle, Léon XIII à Rome et chez nous le Sillon amorcèrent le tournant. La première guerre mondiale hâta l'évolution. Les fraternités du front, la mort partout, pour tous, la patrie en danger apprirent à chacun à reconnaître en L’autre les valeurs dont il se réclamait, même si la traduction laïque ou religieuse demeurait différente sinon antagoniste. Du fond de l'Église et du monde chrétien ressurgit L’appel initial. Le personnalisme d'Emmanuel Mounier acheva d'apporter au socialisme chrétien ses lettres de noblesse” (op. cit. pp. 14-15). Confrontés à ce panorama historique, peint tout à fait selon le goût et le mode socialistes, mais auquel malheureusement il ne manque pas de nombreux éléments de vérité, on s'attendrait à ce que les évêques français suivent le zèle et le courage d'un Saint Pie X, qui dans sa lettre Notre Charge Apostolique du 21 août 1910, a condamné avec véhémence le mouvement du Sillon (cfr. note n. 4), évoqué par Mitterrand avec tant de révérence.
En prenant ces faits en considération - et tant d'autres dans le monde contemporain - on comprend mieux la réalité du fait que la Sainte Église se trouve aujourd'hui, comme l'a constaté Paul VI, dans un mystérieux processus « d'autodémolition » (Allocution du 7/12/68), et qu'elle a été pénétrée, selon le même Pontife, par la « fumée de Satan » (Allocution du 29/6/72).
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