Plinio Corrêa de Oliveira

 

 

 

Dans une pizzeria avec des modérés

 

 

 

Folha de S. Paulo, le 28 octobre 1978 (*)

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A peine installé à table avec un groupe d'amis dans une vaste et bruyante pizzeria, je perçus vite que notre présence déplaisait à quelques personnes assises à la table voisine.

Trois hommes et deux femmes nous fixaient continuellement des yeux. L’un d'eux, un individu grand et mince au teint sombre, au nez pointu, aux bras anguleux et au long cou, déplaça sa chaise quelque peu de façon à pouvoir suivre notre conversation.

Nous causions à propos de tout et de rien. Notre conversation touchait l’un ou l'autre de nos sujets habituels, au gré de nos fantaisies et imaginations.

L'homme au nez et aux bras anguleux n'essayait en aucune manière de cacher ses réactions quand nos propos légers l'amusaient ou le contrariaient. Alors, son regard projetait – se l’on peut le dire – des ténèbres.

Le bout de son nez prenait la forme d'un bec de corbeau. Ses coudes se faisaient agressivement pointus.

Qui pouvait-il être? Un instituteur dans quelque campus de banlieue ? Un chef d’Union ? Un journaliste informateur d'un petit journal de campagne ou d'un quotidien d’une grande ville? Un petit homme d’affaires quelque peu penseur ? Je ne saurais dire.

À un certain moment il remarqua que nous causions de l'emploi des gaz toxiques. Dès lors il ne put se contenir. Avec ce despotisme hérissé, typique de certains gauchistes soi-disant modérés, et qui évidemment espérait soulever la foule dans le restaurant contre nous, il demanda à l'un des plus jeunes gens de ma table:

« Ah ! Ha ! Vous allez aussi loin que ça, wowl !Etes-vous en faveur d’utiliser les gaz toxiques ? » L'échalas aurait voulu que mon jeune ami confirme ses soupçons. Dès lors il aurait bondi sur sa table (ou sur la nôtre) et aurait fait appel à tout le monde présent pour nous huer à cause de nos opinions.

Ce gauchiste, qui certainement était un partisan exalté de la liberté d'expression de nos opinions... en autant qu'elles sont de gauche, ne m'impressionna point. Mais tout ceci avait été le point de départ d’une longue et assommante polémique entre une table et l'autre. L'échalas devait être réduit au silence si nous voulions continuer à causer d’un sujet ou d'un autre au gré de nos réflexions.

Le traiter d'intrus aurait justement fait son jeu. Il aurait hurlé alors que notre orgueil est intolérable, etc., etc.; cela aurait été plus long et plus monotone qu’une discussion; cela aurait même tourné en bataille... Que faire?

Je pris un air d'autorité et de la distance qui nous séparait je le fixai intensément du regard et répliquai :

« En vérité je suis un partisan de l'emploi des gaz toxiques. Je pense, par exemple, que quand un petit groupe de guérilléros se retranchent dans les montagnes en y faisant une base d'opérations pour créer des problèmes à l'armée régulière, cette dernière a le droit de se défendre en vaporisant des gaz toxiques sur les rebelles. Ce ne sont pas tous ces gaz qui doivent être mortels. Il suft vraiment que quelques-uns seulement soient mortels. Pour chaque chose il y a une mesure appropriée. Les autres peuvent simplement rendre malades les guérilleros. Cela suffira pour éliminer ces mouvements de guérilla.

Ce gauchiste modéré était toutes griffes sorties : nez, oreilles, menton, bras, commissures de la bouche. Triomphalement il me cria :

« Vous ne refuseriez pas de me remettre cet exposé par écrit, n'est-ce pas ? Un homme de caractère n'hésite pas à mettre par écrit ce qu'il dit. »

Pour le piquer davantage, je prétendis manquer de caractère. Je lui dis que je n'écrirais pas ce que j'avais dit. Je s une courte pause dont il prota - je suppose  - pour calculer ou bien s'il sauterait directement sur la table d'un seul bond ou s'il devrait utiliser quelque chaise comme tremplin. Il tremblait de rage. Oh quelle soirée glorieuse il anticipait pour lui dans la pizzeria !

Je poursuivis d'un ton doux et détaché :

« Écrire présente beaucoup de travail, et je me sens paresseux. Mais si vous pouviez me procurer un magnétophone à cassettes (j'en vis un sur une table tout près) j'enregistrerai volontiers ce que je viens d'énoncer. » En moins d’une minute le magnétophone était à mon coude.

J'imposai une seule condition pour acquiescer à la demande de notre échalas : Qu'il ne m'interrompe pas. Il fut d'accord.

Mes amis furent amusés de ce développement. Les siens affichaient la curiosité des hyènes. Ah! la férocité de tant de « modérés », je la connaissais déjà bien !

J'enregistrai ce que j'avais dit mot à mot, ajoutant bonnement que mon énoncé n'avait été rien d'autre qu'un stratagème pour éloigner de notre conversation un interlocuteur agressif et importun. Quand nous fûmes interrompus par lui, expliquai-je, nous étions justement en train de condamner les bombardements aux gaz toxiques que, selon les journaux, les Communistes laotiens effectuaient contre les guérilleros anti-communistes de la tribu des Hmongs. Ils le faisaient avec l'aide vietnamienne et donc avec l'aide russe. Les rapports disent que ce ne sont pas toutes les victimes qui moururent, mais qu'un bon nombre d'entre elles gisaient par terre.

Je poursuivis en faisant l'éloge de ces héros anti-communistes qui continuent à se battre pour leur patrie même encore maintenant alors que tout semble perdu. Alors je fermai le magnétophone. De main à main mes amis le lui firent parvenir.

Je jetai les yeux sur le « camp ennemi ». Ils parlaient tous de tout autre chose. Quant à « lui », il continuait à nous regarder xement, mais avec l’esprit complètement absorbé dans sa cigarette. Tous les points saillants de sa gure s'étaient affaissés. Il tendit la main pour prendre l'enregistrement, disant simplement, « D'accord ! » Il détourna son regard et dès lors nous tourna le dos.

La thèse vraiment odieuse selon laquelle il est légitime en principe d'exterminer tout adversaire au moyen de gaz toxiques ne mettra plus dorénavant ces gauchistes modérés en fureur. Pourquoi ? Parce que cela n’était pas préconisé par des gens de la droite comme ils l'avaient espéré, mais par les communistes, qui non seulement le défendent, mais qui effectivement en font usage dans la pratique. Ainsi… ces « modérés » désormais ne haïrent plus l’idée.

La seule chose véridique concernant toute cette histoire que je viens de vous raconter, c’est le bombardement de gaz toxiques que les communistes ont perpétré contre les vaillants Hmongs laotiens. La pizzeria et ses clients, le grand échalas et ses amis, et mon propre cercle d’amis ne sont rien d’autre qu’un petit conte. Un petit conte destiné à faire ressortir d’une manière symbolique ce à quoi la psychologie de la haine chez plusieurs, et entre autres chez beaucoup de gauchistes « modérés », ressemble vraiment.

« Mon Dieu, sauvez-moi de mes amis, je vais m’occuper de mes ennemis », avait coutume de dire Voltaire. Je dis, à mon tour : Sauvez-moi, mon Dieu, des « modérés » ; je vais m’occuper des têtes chaudes !


(*) Traduit et publié par TFP Informe, Montréal, juillet-août, No. 2, 1980, pages 3 et 4.


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