Plinio Corrêa de Oliveira
Les demi-vérités sont la cause de la ruine
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La plupart des gens de ma génération, c'est-à-dire ceux qui sont nés au début du siècle, rompirent d'une façon profonde avec les modèles idéologiques et culturels de la vieille Europe. Par contre, ils s'ouvrirent avec enthousiasme à l'influence des Etats-Unis, considérés à cette époque comme l'apogée de l'avant-gardisme. Quoiqu'ils n'aient pas adhéré complètement à l'une ou à l'autre de ces attitudes, c'est résolument vers cette direction qu'ils sont partis « en avant ». Cependant, du point de vue religieux, ils ont fait le chemin à l'envers : ils ont commencé dans un indifférentisme qui marquait même beaucoup des catholiques pratiquants; mais depuis trente années ils ont évolué vers une attitude d'intérêt et de respect pour la Religion. Une partie considérable de cette majorité est même arrivée à la pratique religieuse Il me semble que ceux de ma génération ressentent aujourd'hui quelque désillusion par rapport à l' « américanisme ». Ils ne s'attendait jamais au chaos dans lequel le monde s'est plongé. Devant ce chaos, ils restent profondément perplexes, et très alarmés. La période de l'entre-deux-guerres, dans laquelle ma génération s'est formée, fut marquée d'abord par le zénith de l’influence « hollywoodienne », et donc par un féminisme agressif, par la marée de la modernité, par le débordement de l'enthousiasme pour les nouvelles inventions (surtout le développement du cinéma, de l’automobilisme et de l'aviation). Ce sont tous des faits qui ont suivi la Première Guerre Mondiale. On prévoyait déjà que le communisme serait le grand problème des années à venir. Des cercles très larges devenaient inquiets de la question sociale. Une telle rupture avec le passé et un tel avancement vers la gauche ont éveillé, comme contrecoup, des tendances vers la droite. Ces réactions furent polarisées, exacerbées et détournées par le nazisme, par le fascisme et leurs congénères, qui ont instauré un socialisme camouflé de droitisme, au lieu d'entrer en choc avec lui. Toute cette série de faits s'est prolongée jusqu'à la Deuxième Guerre Mondiale. Celle-ci terminée, a débuté ce que j'appellerais la « cancérification » de l'univers. En d'autres mots, tout a grandi comme un cancer, prenant des proportions babyloniennes : les risques d'une nouvelle guerre nucléaire, le pouvoir des super-grands, le développement de la technique, l’efficacité de la propagande, la « massification » de l'homme, l'universalité des agitations, la super-spécialisation des sciences, etc. Un excès de vitesse, un excès d'abondance dans la production du mal, et même de certaines choses qui sont bonnes, un manque de rythme et de mesure dans toutes les choses, tout cela a transformé le monde dans un chaos inhumain. De là, le tumulte infini des tentatives d'interpréter et d’« humaniser » ce chaos, qui a abouti à la dispersion des forces et au découragement qui souvent attaquent même les meilleurs. Ajoutez à tout cela l'effet maléfique de la prolifération de l'érotisme, de la sensualité, du freudisme et du permissivisme, et essayez de regarder tout ce chaos de l’intérieur des yeux de ceux qui ont vu la lumière du jour à la fin de la « belle époque », et qui ont formé leurs esprits dans la relative placidité de l'entre-deux-guerres ! Vous pourrez donc imaginer le choc souffert par les âmes de ma génération, jadis bercées par les rêves de l’optimisme nord-américain. Le seul appui qui leur restait, c'était l'Eglise. Je peux bien imaginer le bouleversement de tant de mes contemporains, voyant qu'Elle est dans une crise apocalyptique. Disant tout cela, je me sens largement hors de ma génération, dont je n'ai jamais partagé les illusions et les tendances, que j'ai dû d’ailleurs fréquemment confronter. En réalité, j'ai été beaucoup mieux entendu et compris par les jeunes que par ceux de mon temps. Pour le prouver, il suffit de regarder les rangs de la TFP. L'on constate que plus la génération est jeune, plus de représentants il y en a. D'après Saint Pie X, tout ce qu'il y a de pleinement vrai et bon dans le monde vient de la religion catholique; dans la mesure où le monde s’éloigne d’Elle, toutes les valeurs entrent en agonie. Quoi dire, donc, si même la religion immortelle semble être dans l'agonie ? A mon avis, cette maladie de l’Eglise, nommée le « progressisme », a déjà virtuellement perdu la bataille. La majorité le rejette. Le grand problème est de savoir si la réaction anti-progressiste sera authentique, ou si la majorité de ceux qui la soutiennent se laisseront infiltrer par l'esprit progressiste. Dès qu'elle sera authentique, toutes les valeurs reprendront leur force. Dans le cas contraire, il n'y aura point de maux auxquels on ne pourra échapper. Seulement une chose est impossible : que l'Eglise vienne à mourir. Le monde d'aujourd'hui fuit la vérité totale et la vertu totale, et il veut bâtir une civilisation sur des demi-vérités et des demi-vertus. Le résultat, ce sont ces décombres qui sont devant nous. Et dans cette sphère de réalités, les décombres engendrent des ruines. (*) Le texte ci-dessus a été traduit, adapté et publié par TFP Informe, Montréal, Septembre-Octobre 1985, page 3. |