Plinio Corrêa de Oliveira
Ils Lui lièrent les mains car elles faisaient le bien
Catolicismo, avril 1954 (*) |
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Pourquoi le Seigneur a-t-Il été ligoté par Ses bourreaux ? Pourquoi ont-ils empêché le libre mouvement de Ses mains, en les attachant avec des cordes rigides ? Seules la haine et la crainte peuvent expliquer que l’on réduise ainsi quelqu’un à l’immobilité et à l’impuissance. Mais pourquoi haïr ces mains-là ? Pourquoi les craindre ? La main est une des parties les plus expressives et les plus nobles du corps humain. Quand les pontifes et les parents bénissent, ils le font d’un geste de la main. Quand l’homme innocent et persécuté, saturé de douleurs, fait appel à la Justice divine – son dernier rempart contre la méchanceté humaine – c’est encore avec la main qu’il maudit. C’est avec les mains que parents et enfants, frères, époux, se manifestent leur affection dans les moments de tendresse. Pour prier, l’homme joint les mains ou les lève vers le Ciel. Quand il veut symboliser le pouvoir, il empoigne le sceptre. Quand il veut exprimer la force, il brandit le glaive. Quand il parle aux foules, l’orateur accentue de ses mains la force du raisonnement qui convainc ou des paroles qui émeuvent. C’est avec les mains que le médecin dispense le remède et que l’homme charitable secourt les pauvres, les vieillards, les enfants. Voilà pourquoi on embrasse les mains qui font le bien, et on menotte celles qui pratiquent le mal. Vos mains, Seigneur, qu’ont-elles fait ? Pourquoi les a-t-on attachées ? « In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum » (J. I, 1) Comment décrire Votre majesté transcendante, éternelle et ineffable quand – avant toutes choses et avant tous les siècles – Vous viviez de la vie suprêmement glorieuse et heureuse de la Très Sainte Trinité? Saint Paul a contemplé cette vie, et il n’a pu en dire qu’une chose : c’est que les paroles humaines ne permettent pas de la décrire. Du haut de ce trône, Vous êtes venu avec des desseins d’amour pour unir les hommes. Et ainsi, avec une bonté sublime, Vous avez assumé notre nature humaine. Par amour pour l’homme, Vous avez voulu avoir un corps humain. Et c’est pour faire le bien que Vos mains ont été créées. Mains de Maître, mais aussi mains de Pasteur Qui peut dire, Seigneur, la gloire que ces mains – maintenant sanglantes et défigurées – mais si belles et si dignes depuis les premiers jours de Votre enfance, ont rendue à Dieu au moment où sur elles se sont posés les premiers baisers de la Sainte Vierge et de saint Joseph? Qui peut dire avec quelle douceur elles firent à Marie leur premier câlin ? Avec quelle piété elles se sont jointes en attitude de prière ? Et avec quelle force, quelle noblesse, quelle humilité elles ont travaillé dans l’atelier de saint Joseph ? Ces mains du Fils parfait, qu’ont-elles fait d’autre dans le foyer sinon le bien ? Quand Votre vie publique a commencé, Vous étiez surtout le Maître qui apprenait aux hommes le chemin du Ciel. Et ainsi, quand dans le «pusillus grex», le «petit troupeau» de Vos préférés, Vous enseigniez la perfection évangélique, quand Votre voix s’élevait et s’étendait sur les multitudes pleines d’admiration et de révérence, Vos mains en mouvement désignaient la demeure céleste ou blâmaient le crime, ajoutant à la parole qu’elles venaient enrichir, tous les impondérables du geste. Alors les Apôtres et les multitudes croyaient en Vous, et Vous adoraient, Seigneur. Mains de Maître, mais aussi mains de Pasteur. Vous ne vous contentiez pas d’enseigner, mais Vous conduisiez. La conduite s’exerce plus spécialement sur la volonté, de même que l’enseignement s’exerce plus précisément sur l’intelligence. Et comme c’est surtout par l’amour que l’on guide les volontés, Vos divines mains ont eu des vertus mystérieuses et surnaturelles pour combler les petits, accueillir les pénitents, guérir les malades. Amour si ardent, si généreux, si communicatif que depuis lors, quand les mains d’un chrétien – et spécialement celles d’un prêtre – se meuvent pour choyer les petits, consoler les pénitents, donner un médicament aux malades, l’amour qui les anime n’est qu’une flamme de cet amour infini, ô mon Dieu. À leur signal fuyaient la douleur, la mort et le doute Mais ces mains si fortes surnaturellement que sous leur empire pliaient toutes les lois de la nature et qu’à leur signal fuyaient la douleur, la mort et le doute, ces mains avaient encore un autre rôle à jouer. N’aviez-Vous pas parlé du loup féroce ? Seriez-Vous le Pasteur si Vous ne le repoussiez pas ? Et puisque Vous faites tout avec une force irrésistible, comment ne pouvait-on pas ressentir le coup du fouet que Vous saisissiez ? Le loup, oui… et avant tout le démon. Votre vie a montré clairement que le démon n’est pas un élément de fiction ou quelque chose de ce genre; un être à qui le pouvoir d’agir serait donné en si peu d’occasions que l’immense majorité des choses se passerait pratiquement comme s’il n’existait pas. Les hommes hypocrites, ceux de mœurs dissolus, qui se parent des attributs de la justice et même du sacerdoce, tout cela est désigné dans les Évangiles non seulement comme une conséquence de la dépravation humaine en raison du péché originel et de notre méchanceté, mais aussi comme une œuvre du démon, actif, diligent, embusqué ici et là, et dénonçant parfois sa présence par de spectaculaires manifestations d’obsession et de possession. Vous expulsiez le démon, Seigneur, par Votre terrible puissance, et devant Votre parole grave et dominatrice comme le tonnerre, plus noble et plus solennelle qu’un cantique d’ange, les esprits impurs fuyaient épouvantés et terrassés. Tellement vaincus et si terrifiés que par la suite ils ont dû obéir à Vos apôtres avec docilité. Partout où Votre parole était prêchée et acceptée par les hommes, l’impureté, la révolte et les démons fuyaient. Et ils n’ont recommencé à étendre sur l’humanité leurs ailes ténébreuses et leur pouvoir de perdition que lorsque le monde a entrepris de rejeter Votre Église, qui est Votre Corps Mystique. Pourtant, ils sont toujours tellement battus et impuissants qu’il suffira aux hommes d’être à nouveau fidèles à la grâce de Dieu pour que l’empire des puissances infernales s’effondre une fois encore et que les ténèbres, la luxure et l’esprit de la Révolution refluent dans les antres secrets d’où ils sont sortis depuis des siècles. Pasteur, Vos divines mains ne se sont pas limitées à brandir le bâton contre les puissances spirituelles et invisibles présentes dans les airs, comme le dit saint Paul, pour perdre les hommes ; mais elles ont attaqué le démon et le mal dans ses agents tangibles et visibles. Le mal, avant tout considéré en lui-même. Il n’y a pas de vice contre lequel Vous n’ayez parlé. Mais aussi le mal concret, réalisé dans les hommes ; et non seulement dans les hommes en général, mais dans certaines classes – les pharisiens par exemple – ; et non seulement dans certaines classes mais dans certains hommes concrètement désignés : les vendeurs du Temple sont immortalisés dans les pages de l’Évangile par le châtiment exemplaire qu’ils ont subi. Au service de Dieu, ne pas fustiger revient parfois à trahir Vous qui avez recommandé la mansuétude jusqu’à ses dernières extrémités lorsque seuls des droits particuliers sont en jeu, Vous qui vouliez que nous répondions à une gifle en tendant l’autre joue, Vous avez pourtant développé une accusation, ardente et sainte, pour discréditer les pharisiens, et Vous avez empoigné le fouet pour châtier les vendeurs du Temple. Car alors il ne s’agissait plus de droits purement humains, mais de la Cause de Dieu. Et au service de Dieu, il y a des moments où ne pas réprimander, ne pas fustiger équivaut à trahir. Et ces mains qui ont été si douces pour les hommes droits comme Jean, l'innocent, et Madeleine, la pénitente, ces mains qui ont été si terribles envers le monde, le démon, la chair, pourquoi sont-elles à présent ligotées et mises à vif ? Pourquoi une telle haine, pourquoi une telle peur ? Est-ce par hasard, l’œuvre des innocents, des pénitents ? Ou est-ce plutôt l'œuvre de ceux qui ont reçu un châtiment mérité et qui se sont révoltés diaboliquement contre ce châtiment ? Oui, pourquoi une telle haine, pourquoi une telle peur qu‘il a paru nécessaire de lier Vos mains, de réduire au silence Votre voix, d'éliminer Votre vie ? Est-ce parce que quelqu’un craignait d’être guéri ? Ou choyé ? Qui craint la santé ? Qui hait la tendresse ? Seigneur, pour comprendre cette monstruosité il faut croire au mal. Il faut reconnaître que les hommes sont tels que leur nature se révolte facilement contre le sacrifice, et quand celle-ci prend le chemin de la révolte, il n'est pas d’infamie et de désordre dont elle ne soit capable. Il faut reconnaître que Votre Loi impose des sacrifices, qu’il est dur d‘être chaste, humble, honnête et par conséquent il est dur de suivre Votre Loi. Votre joug est suave, oui, et Votre charge légère. Mais ce n'est pas parce que renoncer à ce qui existe en nous d’animal et de désordonné n'est pas amer, mais parce que Vous-même nous aidez à le faire. Et quand quelqu'un Vous dit non, il commence à Vous haïr, en haïssant tout le bien, toute la vérité, toute la perfection dont Vous êtes la personnification même. Et, s'il ne Vous a pas visiblement à portée de la main pour décharger sa haine satanique, il frappe l‘Église, il profane l‘Eucharistie, il blasphème, il diffuse l'immoralité, il prêche la Révolution. Vos mains sont liées, mon Jésus, et où donc se trouvent les boiteux et les paralytiques, les aveugles, les muets que Vous avez guéris, les morts que Vous avez ressuscités, les possédés que vous avez libérés, les pécheurs que Vous avez relevés, les justes à qui Vous avez révélé la vie éternelle ? Pourquoi ne viennent-ils pas rompre les liens qui attachent Vos mains ? Curieux paradoxe ! Vos ennemis continuent à craindre Vos mains bien qu’attachées et pour cela ils Vous tueront. Vos amis semblent moins conscients de Votre pouvoir. Et comme ils ne Vous font pas confiance, ils s’enfuient effrayés devant ceux qui Vous persécutent. Pourquoi ? Là encore, la force du mal se manifeste. Vos ennemis aiment tellement le mal que, malgré les humiliations des cordes qui Vous attachent, ils discernent en Vous toute la force de Votre pouvoir... et tremblent ! Pour se rassurer, ils veulent transformer en plaie votre dernière fibre de chair encore saine, ils veulent verser la dernière goutte de Votre sang, ils veulent Vous voir exhaler Votre dernier souflle. Et encore, ils ne sont pas tranquilles. Mort, Vous semez toujours la terreur. Il faut sceller votre sépulcre et entourer Votre cadavre de gardes armés. La haine du bien les rend si perspicaces qu’ils perçoivent en Vous ce qui est indestructible. Les cordes n'ont servi à rien, ni le sépulcre, ni la mort n'ont réussi à Vous retenir ! Par contre, les bons n’ont pas la même clarté de vue. Ils Vous considèrent vaincu, perdu... ils s'enfuient pour sauver leur propre personne. Ils n'ont d’yeux, d'oreilles que pour leur risque personnel. L’homme est perspicace seulement pour ce qu‘il aime. Et s'il voit mieux le risque qu’il court que Votre pouvoir, c'est parce qu’il aime davantage sa vie que Votre gloire. Oh, Seigneur, combien de fois Vos adversaires tremblent devant l’Église, pendant que moi, misérable, la voyant les mains liées, je crois que tout est perdu ! Mais comme Vos ennemis avaient raison ! Vous êtes ressuscité ! Non seulement les cordes et les clous n'ont servi à rien, mais ni la dalle du sépulcre, ni la geôle de la mort n’ont réussi à Vous retenir. Oui, Vous êtes ressuscité ! Alléluia ! Mon Seigneur, quelle leçon ! En voyant l’Église persécutée, humiliée, abandonnée par ses fils, niée par les mœurs païennes et par la science panthéiste d’aujourd’hui, menacée de l'extérieur par les hordes du communisme, et à l'intérieur par les égarements de ceux qui veulent pactiser avec le démon, j'hésite, je tremble, je juge que tout est perdu. Seigneur, mille fois non ! Vous êtes ressuscité par Votre propre force et Vous avez réduit à néant les liens par lesquels Vos adversaires prétendaient Vous retenir dans les ombres de la mort. Votre Église participe de cette force intérieure et à n’importe quel moment Elle peut détruire tous les obstacles qui l’encerclent. Notre espérance n'est pas dans les concessions, ni dans les adaptations aux erreurs du siècle. Notre espérance est en Vous, Seigneur. Exaucez les suppliques des justes, qui Vous implorent par l’intercession de la Très Sainte Vierge. Envoyez, ô Jésus, Votre Esprit et Vous renouvellerez la face de la Terre ! (*) Cet article du professeur Plinio Corrêa de Oliveira, fondateur de la TFP au Brésil, a été publié par la revue Catolicismo, en 1952. « La France a besoin de la Sainte Vierge : une campagne de la TFP ! », Bulletin d’information – Février 2001, pages 4-6. |