Plinio Corrêa de Oliveira

 

IVème Partie

 

Chapitre III

« L’Apostolat de l’infiltration »

 

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

« L’Apostolat de l'infiltration »

Un autre sujet intimement lié à la question du «terrain d'entente» c’est la soi-disant stratégie d’«apostolat de l'infiltration». Précisons de quoi il s'agit. Comme l'indique le terme, l’«apostolat de l'infiltration» est une forme de prosélytisme qui consiste à glisser un apôtre dans un milieu non-catholique pour y travailler à la conquête des âmes. Un très grand nombre de cas concrets répond à cette définition théorique. Tout d'abord, voyons la nature du milieu qu'il s'agit d'infiltrer; ensuite, voyons quelles sont les raisons données à cette l'infiltration ; et, enfin, qui est la personne chargée de procéder à l'infiltration. Seulement après cela, nous serons en mesure de dire dans quels cas cet apostolat est licite.

 

Variété d'ambiances

Il y a des milieux éloignés de la pensée de l'Église dans lesquelles, cependant, le mal ou l'erreur sont dans un état d'apathie relative. Tel est le cas des milieux scientifiques, littéraires, récréatifs (par exemple, un club d'échecs), des associations philatéliques et ainsi de suite. Le tempérament des personnes habituellement consacrées à ces activités, comme la nature même de ces activités, rendent hautement improbable qu'elles pourraient servir à une action militante et contagieuse du mal. On peut dire de même de nombreux milieux de travail comme les banques, bureaux, services, etc. L'énorme quantité de travail, l'attention très absorbante qu'exigent les affaires, et la moralité des patrons, peuvent éventuellement créer un environnement qui n’entraîne les gens au mal que de façon marginale ou même pas du tout. Cependant, ici on doit éviter toute énumération qui n’a pas un caractère d'exemple.

Assez souvent, malheureusement, un grand nombre de circonstances peut rendre un de ces lieux, généralement inoffensifs dans telle ville, très préjudiciables dans une autre. En elles-mêmes, cependant, ces ambiances ne sont pas mauvaises.

D'autre part, il y a de nos jours des milieux dont seule une personne naïve pourrait imaginer qu'ils sont inoffensifs. Une telle naïveté évoque le reproche du prophète Osée (7,11) aux «colombes facile à séduire, sans intelligence». Ici, on trouve en premier place tous les lieux typiquement mauvais de divertissement que la morale publique juge impropres aux honnêtes gens. Deuxièmement, il y a les nombreux lieux de divertissement, peut-être pires que les premiers, généralement appelés « quasi familiaux ». Nous les voyons comme des repaires de l'ignominie. Dans ces lieux, une femme au foyer côtoie, sans rougir, des personnes qu'il vaudrait mieux ne même pas mentionner. Pourtant le père de famille n’a pas honte de s'y trouver, à la vue de ses parents et amis, dans ce milieu qui détruit son prestige et donne à ses enfants un très mauvais exemple. Tout se mélange, tout est nivelé et confondu dans une promiscuité qui réduit à la fois la distance et la différence qui doivent exister entre une maison et une maison close. Aussi pénible que ce soit, il faut dire la vérité : une famille qui fréquente les lieux de divertissement «quasi-familiaux» se voit réduite à la condition d'une quasi-famille – autrement dit, une famille en ruine. Malheureusement, les limites entre le divertissement familial et le quasi-divertissement familial sont de plus en plus floues, et de nombreux milieux cachent, sous apparence de divertissement familial, une situation de complète promiscuité. Aujourd'hui, les grands hôtels avec des danses, des casinos et des salles sont, pour la plupart, et dans le meilleur des cas, des lieux quasi familiaux.

Malheureusement, ce panorama ne serait pas complet si l'on omettait de dire que certains milieux fréquentés exclusivement par les familles sont aussi dans cette catégorie. En elles, le leadership en termes de coutumes, de bon goût et d'élégance est tellement accaparé par des personnes d'une vie si ouvertement scandaleuse, que le mal semble être entouré par la splendeur que peuvent mettre à son service les ressources illimitées de l'argent et de la politesse. Combien de soi-disant danses, rencontres et dîners de famille ne sont que des milieux où tout est réuni pour perdre les âmes ! Nous n'hésitons pas à dire, sans crainte d'exagération, que dans certains milieux la vie sociale dans son ensemble a été envahie, infectée et dominée par le despotisme du mal, sans aucun doute exercé dans l'excès même de la langue et de l'intempérance dans le boire ! On peut dire la même chose de certains milieux de travail où la familiarité excessive, la conversation, le comportement immoral et païen, le tout aggravé par la promiscuité sexuelle, font du travail pour gagner sa vie un risque grave pour le salut éternel.

Ayant ainsi décrit des milieux différents dans lesquels une personne peut se trouver, nous pouvons maintenant établir les premiers principes d’une solution.

 

Pluralité des attitudes

I. Selon la doctrine magistralement développée par le père abbé Dom Chautard dans L'Ame de tout apostolat, la première préoccupation de toute personne qui se consacre à travailler dans l'apostolat doit être avant tout sa propre sanctification. Alors, pour la majorité des habitants de notre époque, il est d'une importance primordiale qu'ils fréquentent des milieux catholiques, c'est-à-dire qu'ils passent une partie de leur temps libre avec leurs frères dans la foi, dans un centre de l'Action Catholique ou de toute autre association religieuse. Et comme ce sont des hommes jeunes, cette nécessité est impérative. Comme nous l'avons rappelé, c’est le procédé utilisé par l'effrayante machine de propagande de pays totalitaires. Ainsi, chaque fois que « l'apostolat d'infiltration », même dans des environnements sans danger, signifie un sacrifice considérable de cet outil irremplaçable de formation, il doit être entendu que ledit « apostolat de l'infiltration » ne doit pas être mis en pratique.

II. Heureusement, ce n'est pas toujours le cas. Parfois, un laïc est en mesure de fréquenter des milieux qu’il est censé infiltrer sans perdre le contact vital qu'il a besoin de garder auprès de son association. Dans ce cas, « l'apostolat d'infiltration » dans les milieux inoffensifs peut produire des résultats inestimables.

III. Le divin Maître demande à quoi sert pour un homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme. D'où le principe, également approuvé par tout moraliste digne de ce nom, que dans le cas « Sans doute, dans certains cas où il y a danger grave et prochain de péché formel, en particulier contre la foi et la vertu angélique, Dieu veut que l'on s'éloigne des œuvres ». (1) En d'autres termes, sauf pour le cas très extraordinaire de l'obligation d’état, ce serait un péché mortel que de s'exposer à une occasion prochaine de péché mortel, même si cela pourrait faire réussir un travail d’apostolat brillant et prometteur. Il n'y a aucun doute à cet égard.

Étant donné que c'est une occasion prochaine de péché pour des hommes émotionnellement normaux que de fréquenter des milieux clairement non-familiaux ou quasi-familiaux de tout genre, il est strictement interdit aux membres de l'Action Catholique de fréquenter de tels lieux.

IV. C'est une erreur très grave que de prétendre que l'Action Catholique, par une mystérieuse grâce d’état, immuniserait ses membres contre la tentation. Bien que cette grâce d’état soit certainement beaucoup plus abondante pour le clergé, elle ne modifie pas la relation entre la grâce et le libre arbitre, et n'étouffe pas non plus la concupiscence et le diable, qui existent pour tous les hommes. Il en va de même pour l'Action Catholique. Pour le démontrer, il suffirait de répéter les arguments que nous avons développés plus haut dans la 3e Partie, 3e chap., « l’Apostolat de conquête ». Ces doctrines sont erronées parce qu'elles supposent un faux panorama.

Il n'est pas moins erroné d’avoir recours à l'exemple de certains saints des premiers siècles de l'Eglise, dont on dit qu'ils ont fréquenté ces lieux pour faire de l'apostolat. Sans discuter le fait historique, nous ne pouvons manquer de souligner que, si l'argument était valable, le droit canonique aurait commis une erreur en interdisant le clergé et les religieux de fréquenter des tels milieux.

V. Quelqu'un pourrait prétendre que mettre une telle restriction à la liberté de mouvement de l'Action Catholique entraverait sa fécondité. Mais l'Action Catholique n'est pas un jeu de loterie ou de roulette où certaines âmes sont exposées afin d'en gagner d'autres. D'autre part, le spectacle des jeunes purs et généreux, triomphant des séductions du monde moderne et piétinant toutes ses attractions ravissantes pour laisser derrière eux la peste moderne, doit nécessairement causer une impression beaucoup plus grande chez les âmes prudentes et équilibrées, des âmes droites assoiffés de vertu : en un mot, les âmes en route vers Jésus. Lorsque des apôtres «camouflés», participent tels des païens à des spectacles tout à fait en désaccord avec leur foi et se livrent à des tels plaisirs, en fin de compte on ne sait pas si l'apostolat est une excuse au plaisir, ou si le plaisir est censé être un instrument d'apostolat. Décidemment, ce n'est pas en se donnant un air mondain que l'on attire les âmes à Notre Seigneur Jésus-Christ.

VI. Appliquant ce principe à des danses quasi-familiales, aux lieux de travail dangereux pour la moralité, etc., nous arrivons à la conclusion que ces ambiances sont en soi une occasion proche de péché pour les personnes ayant une sensibilité normale, et doivent donc être proscrites.

Des arguments dans le sens opposé ont été présentés, ou tout au moins pourraient l’être, avec l'appui d'un texte célèbre de Léon XIII sur l'infiltration des catholiques dans la société romaine. Dans ce texte, le Saint-Père décrit la pénétration par les premiers chrétiens dans des postes de travail très variés, y compris à la Curie impériale. Notez que cette infiltration s'est passée dans des lieux de travail obligatoire : le Saint-Père ne mentionne pas des catholiques fidèles infiltrant les orgies de la haute société romaine.

VII. Enfin, comme nous l'avons dit, il y a des endroits où il est licite d'être présent parce qu'ils ne posent aucun danger pour le salut. Cela ne signifie pas que l'Action Catholique a le droit d'imposer à ceux de ses membres qui ont renoncé à tout divertissement, même licite, en vue de mener une vie plus sainte, qu'ils fréquentent ces lieux. Ces membres sont dignes d'éloges et toute critique à leur égard serait une grave inversion des valeurs.

La première raison à cela est que la perfection chrétienne, lorsqu’elle est pratiquée de façon claire et sans dissimulation, est toujours la forme d’apostolat la plus authentique et féconde.

Deuxièmement, il est certain que l'obligation de sauver les âmes ne peut priver qui que ce soit de la très sacrée liberté de pratiquer n'importe quel renoncement indiqué par un directeur spirituel prudent guidé par le Saint Esprit. Si sur le plan naturel une telle vie peut paraître moins fructueuse, sur le plan surnaturel elle aura une efficacité si grande qu'il serait difficile de la  jauger.

VIII. En pondérant tous ces facteurs multiples, il ne faut pas oublier que le critère à prendre en compte n'est pas seulement celui du risque plus ou moins grand posé à raison du lieu où l'on se trouve, mais aussi celui de la loi de la décence et le devoir de donner le bon exemple. Les autorités ecclésiastiques censurent la fréquentation des endroits discutables, spectacles païens, etc. Certaines catégories de la population, plus dociles à la voix de l'Église ou plus attachées à leurs traditions, sont encore réticentes à adopter des coutumes nouvelles. Elles s’exposent ainsi à la moquerie de leurs connaissances, mais aussi au sacrifice en renonçant à certains divertissements.

Comment ces cercles réagiraient-ils aux nouvelles que les membres de l'Action Catholique sont non seulement autorisés mais même conseillés de fréquenter de tels endroits et profiter de tous les spectacles, se livrant à tout ce que la hiérarchie condamne ? La même hiérarchie dont beaucoup de membres se vantent d’y participer et d’en être les mandataires ! Et pourtant, ces mandataires autoproclamés agissent contre les intentions du mandant ! Donc, même si un membre de l'Action Catholique pourrait prétendre que la fréquentation de certains lieux ne nuit pas à sa personne, sa propre dignité en tant que membre de l'Action Catholique le lui interdirait.

IX. Cela ne signifie pas que nous n'admettons pas la possibilité que l'un ou l'autre membre de l'Action Catholique, dans des cas très particuliers et donc très exceptionnels, préalablement autorisé par son assistant et ayant pris toutes les précautions nécessaires pour éviter tout mauvais exemple, puisse mener à bien certaines «infiltrations» en participant, par exemple, à une réunion d'un syndicat communiste ou similaire. Toutefois, si une telle pratique exceptionnelle devenait normale, elle entraînerait la ruine de l'Action Catholique.

 X. Que chacun soit attentif, surtout, au fait que dans cette affaire personne ne peut être son propre juge. Par conséquent, il devrait toujours demander l'avis d'un prêtre prudent. Parfois même les meilleures âmes passent par de longues tentations d'origine naturelle ou diabolique, qui peuvent rendre  dangereux pour certains ce qui est normalement inoffensif pour les autres. Ainsi, le bien de l'apostolat doit toujours être subordonné au bien de la vie intérieure, selon l’avis des prêtres prudents.

XI. Toutes ces raisons seraient incomplètes si l'on manquait de souligner que personne ne peut être forcé, comme un devoir de son état, à travailler dans des endroits clairement dangereux ou, plus rarement, d'être présent dans les lieux mondains. Rappelons-nous toujours que Dieu donne une force spéciale à ceux qui se trouvent involontairement dans cette situation. Pendant que cette situation inattendue perdure, les personnes concernées devraient en profiter pour faire de l'apostolat d'infiltration. Toutefois, aucun devoir d’état ne pourra jamais obliger quiconque à faire le mal. Que chacun consulte un prêtre sage et prudent avant de se juger autorisé à accepter une telle situation exceptionnelle. Mais si le conseiller estime que le devoir d’état existe réellement, que ces âmes soient en paix et luttent courageusement pour se sanctifier elles-mêmes comme ceux avec lesquelles elles sont en contact. Dieu leur donnera la force qui fera très certainement défaut chez les futurs agents infiltrés animés par un zèle hâtif plutôt que par un véritable devoir d'état.

 

Comment faire l’« Apostolat d'infiltration »

Nous ne pouvions pas clore ce sujet sans établir le comportement à suivre par les membres de l'Action Catholique dans « l'apostolat d'infiltration ». Ici aussi, afin de clarifier autant que possible cette question complexe, il convient de faire un recensement précis des principes.

I. L'apostolat de l'infiltration est souvent destiné principalement à exercer une action directe sur les personnes dont le groupe a été infiltré. C'est le cas, par exemple, de personnes qui s'infiltrent dans une cellule communiste dans le but d'obtenir des informations, plans de campagne, etc. Évidemment, ces informations ont une valeur bien plus grande que la douteuse conquête de certains des dirigeants communistes. Dans ce cas, un catholique doit cacher ses convictions, s'il veut obtenir des résultats, et il serait licite de le faire tant qu'il ne va pas jusqu'à l'extrémité de nier la vérité, au lieu de simplement la cacher.

II. Sauf en ce cas et en d'autres cas particuliers, le membre de l'Action Catholique ne doit pas oublier que le plus bel ornement de l'Église catholique est Notre Seigneur Jésus-Christ. Donc, s'abstenir de confesser Notre Seigneur de façon ouverte et claire ; voiler son visage divin sous le prétexte de faire de l’apostolat ; éviter de proclamer que nous sommes chrétiens catholiques fiers de l’être et fiers de pratiquer les vertus imposées par l'Eglise, serait priver l'apostolat de ses moyens les plus efficaces d'attraction. Cela signifierait renoncer à propager la « bonne odeur de Notre Seigneur Jésus-Christ », après laquelle les âmes généreuses de toutes les latitudes géographiques et idéologiques courront toujours.

De toute évidence, donc, le fameux «terrain d’entente» tactique ne peut pas être utilisé de façon habituelle et méthodique dans « l'apostolat d'infiltration ». Au contraire, tout ce qu'on a dit sur cette question délicate dans un autre chapitre s'applique parfaitement ici.

Quel déplorable naturalisme ! Au lieu de comprendre que le succès de l'apostolat, pour l'apôtre, consiste à manifester Jésus-Christ, ils croient qu'il consiste à le cacher. Et celui qui le cache ou défigure sa doctrine par la voie dite de l'atténuation, cache Notre Seigneur Jésus-Christ.

Quelle différence entre l'attitude du saint Curé d'Ars, désigné par l'Eglise comme saint patron des curés ! Il développa des méthodes d'apostolat qui devraient influencer profondément l'orientation de l'Action Catholique. Bien que sa sévérité peut sembler excessive aux modernistes - il a même refusé l'absolution pour une longue période à une paysanne parce qu'elle allait à une danse de famille une fois par an -, il a attiré plus d'âmes que personne. De lui, le père abbé Dom Chautard pouvait dire : «Joannes quidem signum fecit nullum» (Jn 10,41). Saint Jean Baptiste a attiré les foules sans faire de miracles. La voix de saint Jean Vianney était trop faible pour être entendue par les multitudes qui se rassemblaient autour de lui. Mais si elles ne pouvaient l'entendre, elles pouvaient le voir : elles y voyaient un ostensoir de Dieu, et cette vue suffisait à captiver et convertir les personnes présentes.

Un avocat venait de rentrer d'Ars. Interrogé sur ce qui l’avait impressionné le plus, il répondit : « J'ai vu Dieu dans l'homme » (op.cit. p. 122). Nous ne pouvons pas comprendre comment une doctrine de vie, venant d’une bouche qui sait comment l'énoncer de manière entièrement surnaturelle, puisse rester stérile auprès d'âmes droites. Dans ses sermons le saint Curé d'Ars a fait exactement cela. La solution pour un apôtre infructueux n'est pas d'éliminer la vérité de ses paroles, mais d’apprendre, au pied du Tabernacle et de la Bienheureuse Vierge Marie, le secret de la proclamer, non seulement de ses lèvres, mais avec toute son âme.

III. Bien sûr, les personnes obligées de vivre ou de travailler dans des milieux ouvertement hostiles ne sont pas obligées de se comporter de cette façon pourvu qu'elles aient des raisons fondées de craindre d'être licenciés ou de subir des pertes financières. L'obligation de faire un apostolat ouvert et audacieux ne leur est pas applicable, sauf si elles sont expressément invitées à nier la vérité.

 

Que penser de la danse ?

Nous ne pouvions pas considérer notre tâche terminée sans une observation sur les danses. Il est totalement évident et même allant de soi que la danse n'est pas un mal en soi, mais que les circonstances concrètes qui peuvent se poser, font de la danse un mal habituellement assez grave.

La douceur de saint François de Sales est très souvent mentionnée - et à juste titre. Les conseils que le saint Docteur donne au sujet des danses sont concluants, et montre comment il trouve dangereuses les danses de son temps :

« Je dis de la danse et des bals, Philothée, ce que les médecins disent des champignons : les meilleurs n'en valent rien, disent-ils ; et je vous dis aussi que les meilleurs bals ne sont guère bons. […] Si, par quelque occasion dont tous ne puissiez absolument vous dégager, il vous faut aller au bal, prenez garde que votre danse soit bien apprêtée. […] dansez peu et rarement ; car, autrement, vous seriez en danger de vous y affectionner. [Loisirs, comme les danses…] dissipent l’esprit de dévotion, elles énervent l’âme, elles refroidissent la charité, elles éveillent dans le cœur mille sortes de mauvaises affections. Il faut donc en user avec une extrême prudence ». (2)

Comment doit-on danser ? Saint François de Sales, lui, explique : « Avec de la modestie, de la dignité, et une bonne intention ». Que dirait le saint Docteur au sujet de certaines danses modernes, comme la « conga », dans laquelle les couples font de longues lignes dans la salle tenant l’un l’autre, gesticulant et hurlant comme des enfants ? Aurait-il trouvé une manière de danser la conga avec pudeur et dignité alors qu’il avait déjà un problème s'agissant des danses molles, artistiques et délicates de son temps ?

Bien sûr que non. Beaucoup de gens pensent que, parce que saint François de Sales, quoique avec beaucoup d'inquiétude et de malaise, autorisa en théorie les gens à danser, cette autorisation devrait être largement étendue à tous. Ces personnes seront-elles assez prudentes pour conseiller à ceux qui dansent d’avoir de bonnes pensées au cours de la danse ? Auraient-elles le courage de recommander les pensées que mentionne saint François de Sales ? Quelles sont ces pensées ?

« 1. Pendant que vous étiez au bal, plusieurs âmes brûlaient en enfer pour les péchés commis à la danse, ou à cause de la danse. 2. Plusieurs religieux et autres personnes pieuses étaient à la même heure devant Dieu chantant ses louanges, et contemplant sa beauté. Oh ! que leur temps a été bien plus heureusement employé que le vôtre ! 3. Tandis que vous avez dansé, plusieurs personnes sont mortes en des angoisses cruelles; mille milliers d'hommes et de femmes en proie à des maladies violentes, ont souffert des douleurs affreuses dans leurs lits, dans les hôpitaux […] 4. Notre-Seigneur, la sainte Vierge, les anges et les saints vous ont vue au bal. Ah ! que vous leur avez fait pitié, avec votre cœur amusé de pareilles niaiseries et occupé de telles fadaises ! 5. Hélas ! tandis que vous étiez là, le temps s'est passé, la mort s’est approchée ; déjà elle vous appelle, bientôt l'éternité va commencer pour vous : sera-ce l'éternité des biens, sera-ce l'éternité des peines ? votre vie, bonne ou mauvaise, en aura décidé pour toujours ». (3)

Il est intéressant de lire à ce sujet la troisième partie du chapitre 33 d’un livre jamais assez loué, Introduction à la vie dévote.

Le remarquable père dominicain F.A. Vuillermet, OP, dans une intéressante monographie sur Les Catholiques et les Danses Nouvelles, d'où nous tirons la quasi-totalité de nos citations sur les danses, a fait une importante observation valable pour n'importe quel type de danse :

« Il est rare que les danses fréquentes et régulières restent un simple amusement. Elles deviennent, au contraire, et c’est la remarque de presque tous les moralistes, une occasion d’intimité et de rencontre pour des personnes qui trouvent ainsi le moyen facile, et qui permet d’échapper à toute suspicion, de donner à leur passion un aliment dont elles sont toujours avides. Et même quand ce désir initial n’existe pas, est-ce que la fréquence des mêmes rencontres ne fait pas naître la passion, rencontres d’autant plus dangereuses qu’elles sont plus prolongées ; on danse aujourd’hui toute une soirée avec la même personne, ce qui autrefois était une grave inconvenance ; est-ce que, la première gêne ayant disparu, la familiarité s’établissant entre danseur et danseuse, la pudeur ne va pas en s’affaiblissant ? On ne surveille plus ses sentiments et, insensiblement, des pensées et des désirs qui jadis eussent révolté la conscience s’acclimatent dans l’intelligence et dans le cœur. Je tiens donc que ces danses fréquentes, que ces danses avec la même personne, sont extrêmement dangereuses. » (4)

Après avoir fait quelques considérations plus clémentes concernant des petites rencontres, tout à fait sporadiques improvisées de danse dans l'intimité d'une famille, qui, néanmoins, sont encore déconseillées, « gardent les nombreux inconvénients inhérents à leur nature », l'auteur conclut :

« Théoriquement la danse en elle-même n’est pas immorale, (…) elle ne peut le devenir qu’en raison des circonstances qui vicient une action de soi indifférente, donc seulement accidentellement. Je ne puis nier que, dans la pratique, l’accidentel ne soit le plus fréquent. Les personnes qui pèchent à l’occasion de la danse sont incomparablement plus nombreuses que celles qui ne pèchent pas à son occasion. La cause en est d’une part à la diminution de la foi et à l’abandon des exercices de piété, d’autre part au relâchement des mœurs qui fait que maintenant on se permet en dansant de telles libertés qu’il est bien rare que la vertu n’y fasse pas naufrage ». (5)

Ces mots sont de 1924. Que dirait l'auteur des danses de 1942 ?

En 1924, l'Europe a souffert l'invasion de certaines danses américaines - qui semblent modérées aujourd'hui - et qui ont fait l'objet de nombreuses condamnations par la hiérarchie en France. Le cardinal Dubois, archevêque de Chambéry, et l'évêque de Lille ont condamné ces nouvelles danses à maintes reprises. L'archevêque de Cambrai a écrit : « le tango, le fox-trot et autres danses similaires sont un divertissement immoral en soi. Elles sont interdites par la propre conscience partout et toujours, avant et indépendamment de toutes condamnations épiscopales». Et Benoît XV, dans l'Encyclique Sacra propediem, déclare : « Ces danses exotiques et barbares récemment importés par des cercles mondains, les unes plus choquantes que les autres, sont mieux adaptées pour bannir toute trace de la pudeur ».

Beaucoup de ces danses venaient des classes les plus basses des Indiens d'Amérique. Dans sa lettre pastorale, Mgr Charot dit à leur sujet :

« Adoucissez autant que vous voulez cette greffe barbare, corrigez son manque de modestie natif aussi bien que vous le pouvez : dès qu'il trouve un tempérament favorable, ce rejeton retrouvera son feu et sa violence naturelle. C'est le virus de la chair païenne à pénétrer un organisme social, façonné par dix-sept siècles de la spiritualité chrétienne et de la dignité morale. Il est plus que la révolte (dont aucun siècle chrétien ne fut épargné) : au fond, par la tendance, c'est l'anarchie de l'instinct ».

Que devrait-on dire de danses modernes, dont beaucoup sont manifestement importées et adaptées de vieilles danses païennes des «bas-fonds» des Noirs américains ?

Comme pour les danses des enfants, pourquoi ne pas reproduire ici, confirmant ce que nos évêques ont dit si éloquemment, les mots de Louis Veuillot :

« Ces bals, dit-on, sont un charmant spectacle. Oui, pour les yeux. Mais, qu’elle triste chose si on écoute les murmures de la raison! Des petites filles de huit ans s’exercent en minaudage et à la coquetterie; elles sont habituées déjà dans l’art du sourire, des poses, des attitudes, des inflexions musicales de la voix; les petits garçons prennent des tournures et des physionomies variées selon les indications maternelles: les uns ont la mine cavalière, ou importante, ou pensive; les autres pratiquent la mutinerie ou la mélancolie qui leur vont mieux. Les mamans sont là, radieuses. C’est fort laid. On devine que les personnages du bal en miniature ont été défleuris de leur simplicité gracieuse et naïve dès le berceau! L’impression d’une personne raisonnable, témoin d’une de ces fêtes, dites de l’innocence, était que l’on éprouve un violent désir de fouetter à tort et à travers toute la marmaille ». (6)

Pour conclure, voyons ce que le Curé d'Ars, élevé par la Sainte Mère l'Eglise comme modèle pour les pasteurs modernes, a fait à cet égard.

Nous avons pris les citations ci-dessous au magnifique ouvrage de Mgr H. Convert, « Le Saint Curé d'Ars et le Sacrement de la Pénitence », éd. Emmanuel Vitte, 1931, pp. 18-21 :

« L'intérêt général du troupeau confié à la garde de M. Vianney n'exigeait-il pas, non moins que le salut de telle âme plus particulièrement exposée à se perdre, la disparition d'un désordre si pernicieux ? Il le pensa, et dès lors résolut d'appliquer à la lettre les principes de la théologie morale sur les occasionnaires et les récidifs, avec une grande bonté, mais aussi avec un front d'airain que rien ne ferait reculer. Il refusa, en effet, l'absolution, même au temps pascal, à toutes les personnes qui avaient dansé, ne fût-ce qu'une fois dans le cours de l'année ; et tant qu'il «jugea probablement qu'elles retomberaient dans leur péché», il les écarta de la participation aux sacrements. Elles pouvaient venir se confesser, et, de fait, la plupart continuaient d'y venir ; il les encourageait, les exhortait à changer de vie, mais ne les absolvait pas. «Si vous ne vous corrigez, leur disait-il, vous êtes damnées !

« Cette pratique, on le conçoit, suscita bien des récriminations, on dit tout haut et de toutes manières que M. le Curé «n'était pas commode», on compara sa méthode à celle de ses confrères plus indulgents ; on le taxa de «scrupuleux, d'ingrat». Certaines personnes allèrent se confesser dans les paroisses voisines ; il leur répondit qu'elles allaient «chercher un passeport pour l'enfer». Elles l'accusèrent entre elles, disant : «il veut nous faire promettre des choses que nous ne pouvons pas tenir ; il voudrait que nous fussions des saints ; et cela n'est pas trop possible dans le monde. Il voudrait que nous ne missions jamais le pied à la danse, que nous ne fréquentassions jamais les cabarets et les jeux. S'il fallait faire tout cela, nous ne ferions jamais de Pâques...» Cependant «l'on ne peut pas dire que l'on ne retournera plus dans ces amusements, puisqu'on ne sait pas les occasions que l'on pourra rencontrer». A cette argumentation intéressée, il répliqua : «Le confesseur, trompé par votre beau langage, vous donne l'absolution et vous dit : «Soyez bien sages !» Et moi je vous dis que vous allez fouler le sang adorable de Jésus-Christ, que vous allez vendre votre Dieu comme Judas l'a vendu à ses bourreaux ».

« A cette méthode, que gagna le Curé d'Ars ? Beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles demeurèrent exclus des sacrements pendant des années entières... C'est vrai. Peut-on penser, peut-on dire que ce fut un mal ?... Autrement, ils les eussent reçus d'une manière au moins nulle sinon sacrilège ; ils eussent allié, comme cela ne se fait que trop communément, les pratiques de la vie chrétienne et les désordres du cœur ; la paroisse eut paru convertie sans l'être en réalité ; les pompes de Satan étant toujours en honneur, le Prince des ténèbres serait resté le vrai maître de la situation. Or le Curé d'Ars entendait que de son troupeau, Jésus-Christ fût roi sans conteste. Pour Lui, il mena une guerre de plus de vingt années, disputant pied à pied le terrain à l'ennemi, sacrifiant dans la bataille son repos et même transitoirement sa réputation, versant son sang à flots presque tous les jours, s'exténuant de fatigues et de jeûnes. La victoire fut enfin, complète, définitive ; la piété et la vertu purent fleurir à leur aise sur cette terre purifiée et conquise à son unique Maître, et aujourd'hui encore nous continuons d'en goûter les fruits.

« Du reste, disons-le en passant, ce ne fut pas seulement à l'égard des danses que parut la fermeté du Curé d'Ars. « Le pécheur qui ne se rendait pas à ses tendres monitions, a déposé son vicaire, le trouvait inflexible à maintenir les règles » et se heurtait à une barrière infrangible. »

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Notes :

(1) Dom Chautard, L'Âme de tout apostolat, Artège, Perpignan, 2010, p, 84.

(2) St. François de Sales, Introduction à la vie dévote, p. 309.

(3) Idem, p. 311.

(4) Vuillermet; F.A., OP : Les Catholiques et les danses nouvelles, P. Lethielleux Editeur, Paris, 1924, pages 17, 18 et 20.

(5) Ibid.

(6) Louis Veuillot, L'Univers, 28 décembre 1858.


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