Plinio Corrêa de Oliveira

 

IIème Partie

 

3e Chapitre

La doctrine de l’Eglise

 

 

 

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Titre original: Em Defesa da Ação Católica

Publié par Edições "Ave Maria", São Paulo, Brésil, 1943 (1ère édition)

En Défense de l’Action Catholique, préfacé par Son Excellence Mgr Benedetto Aloisi Masela, Nonce Apostolique au Brésil, 1943. La lettre d’éloges, adressée à l’auteur au nom du Pape Pie XII par Mgr Jean-Baptiste Montini, alors Substitut du secrétaire d’Etat et futur Paul VI, constitue une appréciation éloquente, de la part de l’autorité ecclésiastique suprême, des dénonciations faites par ce livre.

Liturgie et mortification selon l'enseignement du Saint-Siège

Le plus grand respect que nous devons tous à l'autorité éminente du Saint-Siège nous pousse à compléter le chapitre précédent à l'aide de quelques réfutations de la doctrine que nous avons décrite, et qui circule malheureusement dans certains milieux de l'Action Catholique. Nous nous sommes excusés de considérations doctrinales sur le problème de la grâce et du libre arbitre, un problème peu accessible aux masses, et présenté aujourd'hui par certains théoriciens en des termes si manifestement contraires à la doctrine traditionnelle de l'Eglise, que tout catholique, autant peu versé qu’il pourrait l’être dans les questions théologiques, s’en rendra compte immédiatement.

Pour la documentation, citons seulement des textes pontificaux importants qui développent les idées contenues dans la lettre Magna Equidem, qui prouvent que la liturgie ne dispense pas la coopération de l'homme ou des moyens traditionnels d'ascèse, tels que la mortification, la fuite des occasions de péché, etc. :

« Saint Cyprien ne craint pas d'affirmer que ‘le sacrifice du Seigneur n'est pas célébré avec la sainteté requise si notre propre oblation et notre propre sacrifice ne correspondent pas à sa Passion’. Pour cette raison encore, l'Apôtre nous exhorte à « porter dans notre corps la mort de Jésus », à nous ensevelir avec Jésus et à nous greffer sur lui par la ressemblance de sa mort non seulement en crucifiant notre chair avec ses vices et ses convoitises en fuyant la corruption de la concupiscence qui règne dans le monde, mais encore en manifestant la vie de Jésus dans nos corps et, unis à son éternel sacerdoce, à offrir ainsi des dons et des sacrifices pour nos péchés. … Plus notre oblation et notre sacrifice ressembleront au sacrifice du Christ, autrement dit plus parfaite sera l'immolation de notre amour-propre et de nos convoitises, plus la crucifixion de notre chair se rapprochera de cette crucifixion mystique dont parle l'Apôtre, plus abondants seront les fruits de propitiation et d'expiation que nous recueillerons pour nous et pour les autres ». (1)

En effet, nous ne pouvons pas nous dispenser de « compléter dans notre chair ce qui manque aux souffrances du Christ, par son corps [mystique], qui est l'Eglise » (Col. 1,24).

Il y a encore plus. Sans l'esprit de pénitence nous ne pouvons rien obtenir de Dieu. En fait, le Pape Léon XIII recommande expressément que, avec l'esprit de prière, on demande à Dieu l'esprit de pénitence, sans lequel la justice divine n'est pas apaisée :

« Notre devoir et Notre paternelle affection exigent que Nous demandions au Dieu dispensateur de tous les biens, pour tous les enfants de l´Eglise, non seulement l´esprit de prière, mais encore l´esprit de la sainte pénitence. En le faisant de tout Notre cœur, Nous exhortons avec la même sollicitude tous e chacun en particulier à cette vertu si étroitement unie à l´autre. Car, si la prière a pour effet de nourrir l´âme, de l´armer de courage, de l´élever aux choses divines, la pénitence nous donne la force de nous dominer, et surtout de commander au corps, qui, par suite de la faute originelle, est l´ennemi le plus redoutable de la doctrine et de la loi évangéliques ». (2)

Voici comment le même Pontife décrivait la vie de pénitence des saints :

« Ils (les saints) dirigeaient et domptaient continuellement leur esprit, leur cœur et leurs passions ; …. Ils ne déterminaient leur volonté qu´après avoir reconnu celle de Dieu ; dans toutes leurs actions, ils ne recherchaient rien autre que l´accroissement de sa gloire ; ils réprimaient et brisaient énergiquement les mouvements tumultueux de leur âme ; ils traitaient leur corps durement et sans pitié ; ils poussaient la vertu jusqu´à s´abstenir des choses agréables et même des plaisirs innocents. Aussi pouvaient-ils s´appliquer avec raison ce mot que l´apôtre saint Paul disait de lui-même : Pour nous, notre vie est dans les cieux (Philip., III, 20), et c´est pourquoi leurs prières étaient si efficaces pour apaiser et fléchir Dieu ». (3)

Et enfin, la prière, même liturgique, lorsqu’elle est faite indignement, ne peut que provoquer la colère de Dieu contre celui qui l'accomplit :

« Car c’est en vain que nous espérons voir descendre sur nous, à cette fin, l’abondance des bénédictions du ciel si notre hommage au Très-Haut, au lieu de monter en odeur de suavité, remet au contraire dans la main du Seigneur les fouets avec lesquels le divin Rédempteur chassa autrefois du Temple ses indignes profanateurs ». (4)

On ne doit ne jamais oublier le commandement de l'Esprit-Saint : « N'offre pas de présents pervers, car Il ne les recevra point » (Eccl. 35 :14). Le sacrifice de Caïn, à cet égard, est d’une éloquence décisive.

Le but de cet ouvrage ne consiste pas à réfuter les erreurs du pseudo-liturgisme, mais seulement à en tirer les conséquences relatives au domaine de l'Action Catholique. Quand nous nous référons donc à ces erreurs, nous ne le faisons que parce qu'il serait impossible de relever autrement les véritables racines des troubles doctrinaux qui, à l'égard de l'Action Catholique, peuvent être observés dans certains de nos milieux laïcs. Puisque, cependant, aucune erreur ne doit jamais être mentionnée ou décrite sans la réfutation correspondante, il nous semble qu'il serait utile d'ajouter à cette partie du livre un sommaire de quelques arguments solides, qui, nous l'espérons, préviendront contre certaines innovations doctrinales les âmes dociles à la suprême et décisive autorité du Saint-Siège. Il est bien évident qu'une réfutation fondée sur des arguments autres que d'autorité, ne peut être faite que dans un travail portant de manière particulière sur le sujet et écrit par un spécialiste plutôt qu'un laïc. Toutefois, si l'argument d'autorité n'épuise pas la question, au moins suffit-il à résoudre le problème. Nous sommes donc certains que les citations et réflexions que nous transcrivons ci-après sont appropriées à la tâche.

Avant d'aborder la question, nous voudrions, toutefois, faire comprendre que lorsque nous parlons de « pseudo-liturgisme », nous avons choisi cette expression à dessein, de manière à préserver de toute censure les efforts méritoires entrepris avec l'intention louable d’accroitre la piété envers la sainte Liturgie.

Nous avons également mis de côté le problème de la « messe dialoguée » et de l'usage exclusif du Missel. Ce problème n'a rien à voir directement avec ce livre, et transcende le cadre du jugement d'un laïc. Nous ne voulons pas nous abstenir de souligner, toutefois, que les exagérations évidentes auxquelles certains « pseudo-liturgistes » se sont livrés à cet égard, trompent même un certain nombre d'âmes méfiantes. En effet, le mal le plus grave de cette tendance ne se trouve pas ici, mais plutôt dans certaines doctrines professées de façon plus ou moins voilée, au sujet de la piété et du soi-disant « sacerdoce passif » des laïcs. Celui-ci est très exagéré, entraînant une déformation de l'enseignement de l'Église qui, par ailleurs, reconnaît un tel sacerdoce. Occupons-nous uniquement des erreurs concernant la piété, qui sont plus étroitement liés à l'Action Catholique, bien que cette question soit également au-dessus de notre compétence.

 

Les dévotions approuvées par l'Église ne peuvent pas être attaquées

Lorsque le Saint-Siège approuve une pratique de piété, il déclare implicitement que les objectifs visés par cette pratique sont sacrés et que les moyens dont elle se compose sont licites et adéquats à sa fin. Par conséquent, l'Église affirme que l'utilisation de ces moyens est propre à contribuer à l'augmentation de la piété et à la sanctification des fidèles. Il n'est permis à quiconque, par conséquent, de soutenir le contraire, alléguant que la pratique de tels actes impliquerait l'acceptation de principes contraires à ceux de l'Eglise et qu'ils seraient radicalement inefficaces à favoriser la sanctification des âmes.

Le saint Rosaire et le Chemin de Croix sont des dévotions qui ont été approuvées un nombre incalculable de fois par la Sainte Eglise ; elles ont été recommandées par les pontifes, assorties d'une profusion d'indulgences, et incorporées à la piété commune, de telle sorte que plusieurs associations ont été créées pour leur diffusion avec toutes les bénédictions de l'Église, que de nombreux ordres et congrégations religieuses ont comme point d'honneur et devoir solennel de les propager, et que le Code de Droit canonique charge les évêques à stimuler la dévotion au saint Rosaire parmi leur clergé. Par un décret du 20 août 1885, sa Sainteté le Pape Léon XIII rendit obligatoire la récitation du Rosaire pendant la Sainte Messe durant le mois d'octobre. De toute évidence, donc, celui qui ne rend pas à ces dévotions la haute estime et le respect qu'engendrent des actes si nombreux et si louables de l'Eglise, se révolte contre l'autorité du Saint-Siège.

Il serait tout à fait futile de prétendre que ces pratiques soient dépassées à notre époque. Il est vrai que d'autres pratiques de piété aussi admirables que celles-ci pourraient encore apparaître ; mais leurs motifs - à partir desquels découle la valeur du Rosaire et du Chemin de Croix - sont si profondément fusionnés avec la doctrine immuable de l'Eglise et avec les caractéristiques immuables de la psychologie humaine, qu'il serait erroné d'affirmer qu’un jour ces pratiques puissent devenir obsolètes.

Etre froid envers les dévotions chaudement recommandées par l'Église, vouloir enfouir dans le silence des dévotions dont l’Église parle en permanence, est la preuve que l'on ne pense pas, on n'agit pas, et on ne se sent pas en union avec l'Église.

 

On ne peut admettre des contradictions dans la spiritualité des divers Ordres religieux

On peut dire la même chose à propos de la spiritualité propre à chaque ordre religieux ou congrégation. Chacune des familles religieuses existant dans l'Eglise a ses objectifs spécifiques, ses dévotions particulières, et son mode de vie propre approuvé par le Saint-Siège comme irrépréhensible et parfaitement conforme à la doctrine catholique. C'est pourquoi, quiconque se dresse contre un ordre religieux, s’attaque à l'Eglise elle-même et se révolte contre le Saint-Siège.

Ainsi, l'animosité professée par certaines personnes contre la Compagnie de Jésus est tout simplement insupportable. Cette animosité est souvent fondée sur des arguments de critique préétablis, soit par la franc-maçonnerie ou les protestants. La spiritualité de la Compagnie de Jésus est tout aussi inattaquable que celle de tout autre ordre religieux. En conséquence, les « trésors spirituels », les Exercices Spirituels, et l’examen de conscience plusieurs fois par jour ne peuvent être attaqués par personne, car ils sont les ressources spirituelles dont les âmes peuvent librement se prévaloir quand elles voient que, ce faisant, elles progressent dans la vertu.

Encore plus insupportable, est la tentative odieuse de jeter un autel contre un autre en créant des incompatibilités qui existeraient entre les spiritualités de différents ordres. Il y a des différences entre celles-ci, et l'Église est fière de ces différences comme « une reine dans une robe décorée avec maintes couleurs ». Mais une telle variété n’a jamais signifié ni ne signifie rien d’autre qu’une profonde harmonie comme celle résultant de la variété des notes dans le même accord musical.

Les ordres et congrégations religieuses

« s'adonnent au service de Dieu, chacune suivant des modalités propres, les unes et les autres poursuivant, selon leur but, pour la plus grande gloire de Dieu et le profit d'autrui, des œuvres différentes de charité et de dévouement au prochain. Cette si grande variété d'Ordres religieux — tels des arbres d'essences diverses plantés dans le champ du Seigneur — produit des fruits également très variés et abondants pour le salut du genre humain. Et il n'est assurément pas de spectacle plus beau et plus agréable que l'homogénéité et l'harmonieuse diversité de ces Instituts : tous tendent finalement vers le même et unique but, et chacun toutefois a ses œuvres spéciales de zèle et d'activité, distinctes des autres par quelque endroit. Car c'est la méthode habituelle de la divine Providence de répondre à chaque besoin nouveau par la création et le développement d'un nouvel Institut religieux ». (5)

Pour cette raison, nous considérons qu'il est abominable pour un fidèle, dans sa préférence légitime pour tel ou tel ordre religieux, de vouloir s'ériger en opposition aux autres, ne trouvant aucune issue à son admiration pour l'un qu'en diminuant les autres. Or, diminuer un ordre religieux est les diminuer tous : c’est diminuer l'Eglise catholique elle-même.

Sans aucun doute, il est licite et même normal pour les fidèles de se sentir attirés, comme par préférence, à la pratique de la spiritualité de l'un ou l'autre de ces ordres. Il ne leur sera jamais licite, cependant, de dévier d'autres voies, elles aussi très saintes, les âmes qui seraient orientées vers la spiritualité d'autres ordres. Dans le jardin de la sainte Eglise de Dieu, personne ne peut gêner, sans criminelle injustice, notre droit de cueillir les fleurs de la sainteté dans n'importe quel parterre où le Saint-Esprit nous appelle.

Parce qu’on aime l'Eglise filialement et tous les ordres qui y existent, on ne pouvait pas s'abstenir, dans cette vénération affectueuse, d'attribuer une place particulièrement tendre à l'Ordre de saint Benoît. En raison de la sagesse admirable de sa règle et des fruits spirituels extraordinaires qu'il a produit, produit et produira toujours dans l'Eglise ; en raison de sa primauté historique par rapport à tous les ordres religieux de l'Occident ; en raison du rôle qu’ont eu les fils de saint Benoît dans la formation de la société et de la culture médiévale, ils occupent une place de choix dans notre cœur, d'autant plus que l'on trouve dans ses rangs certains des meilleurs amis que nous ayons jamais eu. Nous sommes donc remplis d'indignation quand on entend la rumeur selon laquelle de telles erreurs peuvent être identifiées ou liées d’aucune façon que ce soit à l'esprit de saint Benoît, sous le prétexte de la liturgie.

Ne pas aimer la liturgie, qui est la voix de l'Eglise en prière, signifie à tout le moins être suspect d'hérésie. Il est absurde de croire que des irrégularités pourraient résulter de l'effort développé par l'Ordre bénédictin en faveur d'une compréhension plus profonde de la liturgie et sa place exacte dans la vie spirituelle des fidèles. Pour toutes ces raisons, nous considérons calomnieuse toute identification que des circonstances fortuites et peut-être inexistantes pourraient suggérer entre l'esprit bénédictin et l'esprit liturgique authentique, d'une part, et d'autre part la stratégie moderniste et les exagérations « hyper-liturgistes » que nous combattons. À cet égard, le magnifique article écrit par le Sa Révérence Lourenço Zeller, évêque titulaire de Dorilea et archi-abbé de la Congrégation Bénédictine du Brésil, publié dans Legionário le 13 décembre 1942, est parfaitement éclairant. C’est une lecture très importante pour ceux qui souhaitent être orientés sur ce point.

Quant à la glorieuse et invincible Compagnie de Jésus, à l'occasion de son récent centenaire, le Pape Pie XII a publié une encyclique louant si hautement les statuts et la spiritualité de cette noble milice que nous ne savons vraiment pas ce qui reste d'adhésion filiale au Saint-Siège chez ceux qui, après cette lecture, persistent à la critiquer. Se référant aux Exercices Spirituels, Pie XI dit que

« il (Saint Ignace) apprit de la Mère de Dieu elle-même comment il devait combattre les combats du Seigneur. Ce fut comme de ses mains qu'il reçut ce code si parfait — c'est le nom qu'en toute vérité nous pouvons lui donner — dont tout soldat de Jésus-Christ doit se servir. Nous voulons parler des Exercices spirituels, qui, selon la tradition, furent donnés du ciel à Ignace. Non qu'il ne faille estimer les autres Exercices de ce genre, en usage ailleurs, mais en ceux qui sont organisés selon la méthode ignacienne tout est disposé avec tant de sagesse, tout est en si étroite coordination que, si l'on n'oppose point de résistance à la grâce divine, ils renouvellent l'homme jusque dans son fond et le rendent pleinement soumis à la divine autorité. (...) Nous avons déclaré saint Ignace de Loyola, patron céleste de tous les Exercices spirituels. Bien qu'en effet, Nous l'avons déjà dit, il ne manque pas d'autres méthodes de faire les Exercices, il est certain cependant que celle d'Ignace y excelle et que, surtout à cause de l'espoir plus assuré qu'elle donne d'avantages solides et durables, elle est l'objet d'une plus large approbation du Siège apostolique ». (6)

Compte tenu de cette affirmation, l'alternative est claire : soit Pie XI a été affecté par l'individualisme anthropocentrique, ce qui est absurde, soit les adversaires des Exercices Spirituels de Saint Ignace sont en opposition déclarée à l'esprit de l'Eglise en cette matière vitale.

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Notes :

(1) Pie XI, Encyclique Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928.

(2) Léon XIII, Encyclique Octobri Mense, 22 septembre 1891.

(3) Léon XIII, Encyclique Octobri Mense, 22 septembre 1891.

(4) Pie X, Motu Proprio Tra le Sollecitudini, 22 novembre 1903.

(5) Pie XI, Lettre Apostolique Unigenitus Dei Filius, 19 mars 1924 : Actes de S.S. Pie XI, Maison de la Bonne Presse, tome II, pages 46 et 47.

(6) Pie XI, Lettre Apostolique Meditantibus Nobis, 3 décembre 1922 : Actes de S.S. Pie XI, tome I, pages 120, 121, 124.


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