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Plinio Corrêa de Oliveira
Postface de 1992
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Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III) Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP 2, avenue de Lowendal 75007 PARIS Dépôt légal : 4ème trimestre 1997 ISBN: 2-901039-24-3 |
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C'est sur ces mots que se concluaient les différentes éditions de Révolution et Contre-Révolution depuis 1976. En les lisant, le lecteur de cette nouvelle édition (1992) se demandera certainement où en est aujourd'hui le processus révolutionnaire. La IIIe Révolution est-elle encore vivante ? La chute de l'empire soviétique permet-elle d'affirmer que la IVe Révolution est sur le point d'éclater au tréfonds de la réalité politique de l'Est européen, ou même qu'elle est déjà victorieuse ? Il est nécessaire de faire une distinction. Les courants qui propulsent l'implantation de la IVe Révolution s'étendent actuellement - sous des formes diverses - au monde entier, et présentent, à peu près partout, une tendance sensible à l'amplification. La IVe Révolution suit donc un crescendo prometteur pour ceux qui la désirent, mais menaçant pour ceux qui la combattent. Il serait pourtant exagéré de dire que l'état de choses régnant de nos jours en ex-URSS est déjà totalement modelé selon la IVe Révolution et qu'il n'y reste plus rien de la IIIe. Bien qu'elle présente aussi un côté politique, la IVe Révolution se qualifie elle-même de « culturelle », c'est-à-dire qu'elle embrasse grosso modo tous les aspects de l'existence humaine. Ainsi les heurts politiques actuels entre les nations qui composaient l'URSS pourront fortement conditionner la IVe Révolution, mais il est difficile qu'ils s'imposent de façon dominante aux événements, c'est-à-dire à l'ensemble des actes humains que la « révolution culturelle » embrasse. Mais que penser de l'opinion publique des pays hier encore soviétiques (et dont bon nombre sont toujours dirigés par d'anciens communistes) ? N'a-t-elle rien à dire sur ce problème, elle qui a exercé, selon Révolution et Contre-Révolution, un rôle si important dans les Révolutions antérieures ? La réponse se trouve dans d'autres questions : y a-t-il vraiment une opinion publique dans ces pays ? Peut-elle être engagée dans un processus révolutionnaire systématique ? Sinon quel plan les plus hauts dirigeants nationaux et internationaux du communisme ont-ils conçu à propos du chemin que cette opinion doit prendre ? Il est difficile de répondre à toutes ces questions, l'opinion publique actuelle de ce qui fut le monde soviétique se présentant manifestement atone, amorphe, immobilisée par le poids de 70 ans de dictature totale, pendant laquelle chaque individu craignait, bien souvent, d'énoncer son opinion religieuse ou politique à son parent le plus proche ou à son plus intime ami, car une délation possible - voilée ou ostensible, vraie ou calomnieuse - pouvait l'envoyer aux travaux forcés à perpétuité dans les steppes glacées de Sibérie. Il est pourtant nécessaire de répondre à toutes ces questions avant d'émettre un quelconque pronostic sur le cours des événements se déroulant dans l'ancien monde soviétique. A cela s'ajoute le fait que les moyens internationaux de communication ne cessent de se référer, comme cela a déjà été dit, à une migration éventuelle de hordes affamées, à moitié civilisées (et donc semi-barbares), vers les pays opulents d'Europe qui vivent dans la société de consommation occidentale. Pauvres gens, accablés par la faim mais dépourvus d'idées, qui entreraient alors en choc avec le monde libre, sans le comprendre - monde qui pourrait être qualifié, par certains côtés, de super-civilisé, et par d'autres, de gangrené ! Que résulterait-il de ce choc dans l'Europe envahie et, par ricochet, dans l'ancien monde soviétique ? La révolution autogestionnaire, coopérativiste, structuralo-tribaliste (95), ou directement l'anarchie totale, le chaos et l'horreur, que nous n'hésiterions pas à appeler la Ve Révolution ? Au moment où cette édition voit le jour, il est manifestement prématuré de répondre à ces questions. Mais l'avenir se présente si lourd d'imprévus que demain la réponse viendra peut-être trop tard. Quelle serait l'utilité des livres, des penseurs, de ce qui reste enfin de civilisation, dans un monde tribal où se déchaîneraient tous les ouragans des passions humaines désordonnées et tous les délires des « mysticismes » structuralo-tribalistes ? Situation tragique dans laquelle personne ne sera quoi que ce soit, sous l'empire du Rien... * * * Gorbatchev est toujours à Moscou. Et il y restera tant qu'il ne se sera pas décidé à accepter les invitations hautement avantageuses que se sont empressés de lui faire, peu après sa chute, les recteurs des prestigieuses universités de Harvard, Stanford et Boston (96). A moins qu'il ne préfère l'hospitalité royale offerte par Juan-Carlos Ier, roi d'Espagne, dans le célèbre Palais de Lanzarote, aux îles Canaries (97) ou la chaire proposée par le fameux Collège de France (98). Devant ces différentes propositions, l'ex-leader communiste, mis en échec en Orient, semble n'avoir que l'embarras du choix entre les invitations les plus attrayantes d'Occident. Il s'est contenté jusqu'à présent d'écrire une série d'articles pour différents journaux du monde capitaliste, dans les hautes sphères duquel il continue à trouver des appuis inexplicables ; et à faire un voyage aux Etats-Unis, entouré de tout l'apparat publicitaire, afin de trouver des fonds pour ce que l'on appelle la Fondation Gorbatchev. Ainsi, tandis que dans sa propre patrie, Gorbatchev erre dans la pénombre - son rôle est sérieusement remis en question même en Occident - des magnats occidentaux s'emploient à maintenir les feux d'une publicité dithyrambique sur l'homme de la perestroïka, qui pourtant, pendant toute sa carrière politique, a tenu à souligner que la réforme qu'il proposait n'était pas opposée au communisme, mais le perfectionnait (99). Quant à la faible fédération soviétique qui agonisait lorsque Gorbatchev fut précipité du pouvoir, elle a fini par se transformer en une « Communauté d'Etats indépendants » presque imaginaire, dans laquelle s'accentuent de sérieuses frictions entre les membres, ce qui préoccupe les hommes publics et les analystes politiques; et cela d'autant plus que plusieurs de ces républiques ou républiquettes possèdent des armements atomiques qu'elles peuvent lancer contre d'autres (ou contre les adversaires de l'Islam, dont l'influence dans le monde ex-soviétique croît de jour en jour), aux vives appréhensions de ceux qui se soucient de l'équilibre planétaire. Ces éventuelles agressions atomiques peuvent entraîner des effets multiples : principalement, l'exode de populations contenues autrefois par le rideau de fer, et qui, pressées par les rigueurs d'un hiver habituellement peu clément et par les risques de catastrophes immenses, peuvent redoubler du désir de "demander" l'hospitalité à l'Europe occidentale ou même aux nations du continent américain... Approuvant ces perspectives pour le Brésil et soutenu par le ministre de l'agriculture du gouvernement fédéral, M. Leonel Brizola, gouverneur de l'Etat de Rio de Janeiro, a proposé de faire venir des paysans de l'Est européen pour participer aux programmes officiels de la Réforme agraire (100). De son côté, le président de l'Argentine, Carlos Menem, en accord avec la Communauté économique européenne, s'est déclaré disposé à accueillir plusieurs milliers de ces émigrants (101). Et peu après, au nom de la Chancellerie colombienne, Mme Nohemi Sanin a déclaré que le gouvernement de son pays étudiait l'admission de techniciens provenant de l'Est (102). Les énormes vagues des invasions peuvent parvenir jusqu'à ces extrêmes. Et le communisme ? Que va-t-on en faire ? L'impression qu'il est mort s'est fortement emparée de la plus grande partie de l'opinion publique de l'Occident, éblouie par la perspective d'une paix universelle de durée indéterminée, peut-être perpétuelle, entraînant la disparition d'un spectre terrible : l'hécatombe nucléaire mondiale. Mais cette « lune de miel » de l'Occident avec son soi-disant paradis de paix sans nuage brille de moins en moins. En effet, nous avons relevé un peu auparavant les agressions de tous ordres qui fusent dans les territoires de la défunte URSS; il faut donc se demander si le communisme est mort. Au début, les voix qui mettaient en doute l'authenticité de sa mort étaient rares, isolées et manquaient de bases. Peu à peu, des ombres apparurent ici et là à l'horizon. Dans quelques nations d'Europe centrale et des Balkans, dans le territoire même de l'ex-URSS, on remarqua que les nouveaux détenteurs du pouvoir étaient parfois des figures marquantes du parti communiste local. A l'exception de l'Allemagne de l'est, la privatisation, dans la plupart des cas, se faisait à pas de tortue, lentement et sans direction bien définie. Peut-on dire ainsi que, dans ces pays, le communisme est mort ? N'a-t-il pas simplement entamé un processus compliqué de métamorphose ? Les doutes à ce propos s'amoncellent, tandis que les derniers échos de l'allégresse universelle provoquée par une prétendue chute du communisme s'éteignent discrètement. Quant aux partis communistes de l'Occident, ils se sont flétris avec évidence lors des premières déroutes en URSS. Mais plusieurs d'entre eux ont, déjà aujourd'hui, commencé à se réorganiser sous de nouvelles étiquettes. Ce changement d'étiquettes est-il une résurrection ? Une métamorphose ? J'incline pour cette dernière. Seul le futur pourra donner des certitudes. Cette mise à jour du panorama général en fonction duquel le monde prend position, m'a paru indispensable pour tenter de mettre un peu de clarté et d'ordre dans un horizon où croît surtout le chaos. Quel est le chemin spontané du chaos sinon une augmentation énigmatique de lui-même ? * * * Au milieu de ce chaos, une chose seulement ne variera pas. C'est, dans mon coeur et sur mes lèvres, comme chez tous ceux qui voient et pensent comme moi, la prière transcrite un peu auparavant : Ad te levavi oculos meos, qui habitas in Coelis. Ecce sicut oculi servorum in manibus dominorum suorum, sicut oculi ancillae in manibus dominae suae ; ita oculi nostri ad Dominam Matrem nostram donec misereatur nostri (103). C'est l'affirmation de la confiance immuable de l'âme catholique, à genoux, mais ferme, au milieu de la convulsion générale. Ferme avec toute la fermeté de ceux qui, au milieu de la bourrasque et avec une force d'âme plus grande que celle-ci, continuent à affirmer du plus profond de leur coeur : Credo in Unam, Sanctam, Catholicam et Apostolicam Ecclesiam ; c'est-à-dire, Je crois en l'Eglise Catholique, Apostolique, Romaine, contre laquelle, selon la promesse faite à Pierre, les portes de l'enfer ne prévaudront pas. Notes : (95) Cf. Commentaire de 1992 sur la Partie III, chapitre II, sous le titre: "Perstroïka" et "glasnost": démantèlement de la IIIe Révolution ou métamorphose du communisme? (96) Cf. "Folha de S. Paulo", 21/12/91. (97) Cf. "O Estado de S. Paulo", 11/1/92. (98) Cf. "Le Figaro", Paris, 12/3/92. (99) Cf. Commentaire de 1992 sur la Partie III, chapitre II, sous le titre: "Perestroïka" et "glasnost": démantèlement de la IIIe Révolution, ou métamorphose du communisme? (100) Cf. "Jornal da Tarde", Brésil, 27/12/91. (101) Cf. "Ambito Financiero", Buenos Aires, 19/2/92. (102) Cf. "El Tiempo", Bogota, 22/2/92. (103) "Je lève mes yeux vers toi, qui habites les Cieux. Vois: comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de ses maîtres, comme les yeux de l'esclave sur les mains de sa maîtresse, ainsi nos yeux sont fixés sur Notre Dame, notre Mère, jusqu'à ce qu'Elle ait pitié de nous" - Cf. Ps. 122, 1-2.
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