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Plinio Corrêa de Oliveira
Introduction
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Publié dans Catolicismo, São Paulo, Brésil, Avril 1959 (I et II), Janvier 1977 (III) Edité par la Société Française pour la Défense de la Tradition, de la Famile et de la Propriété - TFP 2, avenue de Lowendal 75007 PARIS Dépôt légal : 4ème trimestre 1997 ISBN: 2-901039-24-3 |
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"Catolicismo" publie aujourd'hui (1) son centième numéro et souhaite marquer l'événement en apportant à la présente édition une note spéciale qui resserre encore les liens de pensée et de cœur l'unissant à ses lecteurs. Rien ne lui semble plus opportun à cet effet que la publication d'un article sur le thème "Révolution et Contre-Révolution". Le choix du sujet est simple: "Catolicismo" est un journal de combat; en tant que tel, il doit être jugé principalement en fonction de la fin que vise son combat. Or qui veut-il précisément combattre? Sa lecture produit sur ce point une impression peut-être un peu floue. On rencontre fréquemment dans ses pages des réfutations du communisme, du socialisme, du totalitarisme, du libéralisme, du liturgicisme, du "maritanisme", et de bien d'autres "ismes". Aucun d'entre eux toutefois ne constitue une cible favorite suffisant à nous définir. Par exemple, qualifier "Catolicismo" de revue spécifiquement antiprotestante ou antisocialiste serait une exagération. Le journal poursuivrait-il alors une pluralité d'objectifs? Non, car la perspective dans laquelle il se place confère en réalité à tous ces points de mire un dénominateur commun qui caractérise la cible constante visée dans nos colonnes. Quel est ce dénominateur commun? Une doctrine? Une force? Un courant d'opinion? A l'évidence la lumière sur ce point va permettre de comprendre jusque dans ses profondeurs toute l'œuvre de formation doctrinale entreprise par "Catolicismo" au long de ces cent mois. * * * L'étude de la Révolution et de la Contre-Révolution présente un intérêt qui dépasse de beaucoup ces objectifs limités. Pour le mettre en évidence, il suffit de jeter un regard sur le panorama religieux offert par notre pays. Statistiquement la situation des catholiques est excellente: selon les dernières données officielles, nous constituons 94% de la population. Si nous tous, catholiques, correspondions à ce que nous devrions être, le Brésil serait aujourd'hui une des plus admirables puissances catholiques nées au long des vingt siècles de vie de l'Eglise. Pourquoi nous trouvons-nous donc si loin de cet idéal? Qui pourrait affirmer que la cause principale de notre état actuel est le spiritisme, le protestantisme, l'athéisme ou le communisme? Personne. La cause est ailleurs, impalpable, subtile, pénétrante comme s'il s'agissait d'une puissante et redoutable radioactivité. Tous sentent ses effets mais peu sauraient révéler son nom et son essence. En énonçant cela, notre pensée se porte au-delà des frontières du Brésil, vers les nations hispano-américaines - nos soeurs si chères - et de là vers toutes les nations catholiques. Chez toutes, le même mal exerce son empire insaisissable et dominateur. Chez toutes, il produit des symptômes d'une grandeur tragique. En voici un exemple parmi d'autres: en 1956, dans une lettre adressée à S. Em. le cardinal Carlos Carmelo de Vasconcellos Motta, archevêque de Sao Paulo, à l'occasion de la Journée nationale d'action de grâce, S. Exc. Mgr Angelo Dell'Acqua, Substitut de la Secrétairie d'Etat, déclarait que, "en raison de l'agnosticisme religieux des Etats", "le sentir de l'Eglise (s'est) émoussé ou presque perdu dans la société moderne". Quel ennemi a donc porté ce coup terrible à l'Epouse du Christ? Quelle unique cause a produit ce mal, et tant d'autres, alliés et concomitants? Comment la nommer? Par quels moyens agit-elle? Quel est le secret de sa victoire? Comment la combattre avec succès? Il serait difficile, comme l'on voit, de trouver un thème de plus flagrante actualité. * * * Cet ennemi terrible a un nom: il s'appelle Révolution. Sa cause profonde est une explosion d'orgueil et de sensualité qui inspira, nous ne dirions pas un système, mais toute une chaîne de systèmes idéologiques. Du large accueil donné à ceux-ci dans le monde entier découlèrent les trois grandes révolutions de l'histoire de l'Occident: la pseudo-Réforme, la Révolution française et le communisme (2). L'orgueil conduit à la haine de toute supériorité et, par conséquent, à l'affirmation que l'inégalité est un mal en soi, sur tous les plans, même et principalement sur les plans métaphysique et religieux. C'est l'aspect égalitaire de la Révolution. La sensualité tend d'elle-même à renverser toutes les barrières. Elle ne tolère aucun frein et mène à la révolte contre toute autorité et toute loi, divine ou humaine, ecclésiastique ou civile. C'est l'aspect libéral de la Révolution. Ces deux aspects, qui présentent en dernière analyse un caractère métaphysique, paraissent souvent contradictoires, mais se rejoignent dans l'utopie marxiste d'un paradis anarchique où une humanité hautement évoluée et "émancipée" de toute religion vivrait dans un ordre profond sans autorité politique, et dans une liberté totale dont ne découlerait aucune inégalité. La pseudo-Réforme fut une première révolution. Elle implanta l'esprit de doute, le libéralisme religieux et l'égalitarisme ecclésiastique, à des degrés d'ailleurs variés dans les différentes sectes auxquelles elle donna naissance. Lui emboîta le pas la Révolution française, qui fut le triomphe de l'égalitarisme dans deux domaines: dans le domaine religieux, sous la forme de l'athéisme, spécieusement dénommé laïcisme; et dans la sphère politique, par la fausse maxime selon laquelle toute inégalité est une injustice, toute autorité un danger, et la liberté le bien suprême. Le communisme est la transposition de ces maximes dans le domaine social et économique. Ces trois révolutions forment les épisodes d'une seule Révolution à l'intérieur de laquelle le socialisme, le liturgicisme, la "politique de la main tendue" etc., sont des étapes de transition ou des manifestations atténuées. Il est clair qu'un processus d'une telle profondeur, d'une telle envergure et d'une telle durée ne peut se développer sans embrasser tous les domaines de l'activité humaine, comme la culture, l'art, les lois, les coutumes et les institutions. En faire une étude détaillée dépasserait de beaucoup les limites de cet article. Dans ce dernier - nous restreignant à un aspect de ce vaste sujet - nous cherchons à tracer sommairement les contours de l'immense avalanche qu'est la Révolution, la désigner par son nom, indiquer très succinctement ses causes profondes, les agents qui la propagent, les éléments essentiels de sa doctrine, l'importance respective des divers terrains sur lesquels elle opère, la vigueur de son dynamisme, le "mécanisme" de son expansion. Nous étudions ensuite, symétriquement, des points analogues se rapportant à la Contre-Révolution, et certaines conditions nécessaires à sa victoire. Et même ainsi, nous n'avons pu exposer, de chacun de ces thèmes, que les parties qui nous ont paru actuellement les plus utiles pour éclairer nos lecteurs et les aider dans la lutte contre la Révolution. Nous avons dû laisser de côté nombre de points d'une importance réellement capitale, mais d'une actualité moins pressante. Ce travail, comme nous l'avons dit, constitue simplement un ensemble de thèses qui permettent de mieux connaître l'esprit et le programme de "Catolicismo". Il sortirait de ses dimensions naturelles s'il contenait une démonstration complète de chaque affirmation. Nous nous contentons de développer le minimum d'argumentation nécessaire pour mettre en évidence le lien existant entre les différentes thèses, et la vision panoramique de tout un versant de nos positions doctrinales. "Catolicismo" ayant des lecteurs dans presque tout l'Occident, il a paru opportun de publier à part une traduction de ce travail. Nous avons opté pour le français, que la tradition diplomatique consacre, car il est la langue du pays catholique le plus universellement connu. Cet article peut servir d'enquête. Que pensent exactement de la Révolution ou de la Contre-Révolution les lecteurs de "Catolicismo" qui, au Brésil ou ailleurs, comptent assurément parmi ceux qui s'opposent le plus à la Révolution? Nos propositions, bien qu'elles n'englobent qu'une partie du thème, peuvent donner à chacun l'occasion de s'interroger et de nous envoyer sa réponse que nous recevrons avec le plus grand intérêt (3). Notes : (1) Cette introduction fut publiée dans le numéro 100 de "Catolicismo", en avril 1959. (2) Cf. Léon XIII, encyclique "Parvenu à la Vingt-Cinquième Année", du 19 mars 1902, Bonne Presse, Paris, vol. VI, p. 279. (3) Nous avons tenu à laisser ces deux derniers paragraphes qui figuraient dans l'édition originale de 1959.
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