* * *
Traduit en 8 langues ( français, allemand, anglais,
espagnol, hongrois, italien, polonais et ukrainien ), L'Eglise et
l'Etat Communiste: la coexistence impossible eut 33 éditions, pour un
total de 160 000 exemplaires. L'étude fut aussi reproduite intégralement
dans plus de 30 journaux et revues de 11 pays différents, parmi lesquels
il faut citer Il Tempo, le plus important quotidien de Rome.
Des commentaires ont paru dans d'innombrables
publications. Et il est significatif que la revue Informations
Catholiques Internationales dont l'orientation extrêmement «
progressiste » est bien connue, ait jugé nécessaire de publier un
compte-rendu de l'ouvrage du Pr. Corrêa de Oliveira.
M. Jean-Marie Domenach, directeur de la revue
progressiste Esprit, eut une réaction caractéristique qui mérite
une mention spéciale, puisqu'il en arriva à affirmer, à propos de
l'essai, que « la défense de la propriété n'appartient pas à
l'enseignement du Christ ».
* * *
Malgré tout, aucune prise de position n'aura mieux
illustré, peut-être, l'importance et l'actualité de l'étude du Pr.
Corrêa de. Oliveira que la protestation indignée que lança contre lui
l'Association PAX, organisation de « catholiques » de gauche de
Pologne, dont l'adhésion éhontée au régime communiste provoqua la
censure de l'Episcopat polonais lui-même. Un long article intitulé Lettre
ouverte au Professeur Plinio Corrêa de Oliveira fut publiée à la
première page de l'hebdomadaire « Kierunki » de Varsovie ( n. 8 du
1/3/64 ) et dans le mensuel Zycie i Mysl ( n. 1 - 2 de 1964 ), de
la même association PAX, par M. Zbigniew Czajkowski, membre
éminent de ce mouvement.
Le Pr. Corrêa de Oliveira répondit à travers Catolicismo
( n. 162 juin 1964 ), et M. Czajkowski répliqua dans les mêmes
périodiques Kierunki, n. 43, du 25/10/64, et Zycie i Mysl, n. 9,
de 1964 ). Il ajouta encore: « Ce probléme intéresse un milieu très
large, comme en témoignent entre autres les articles parus dans la presse
polonaise et les déclarations connues de la presse française que j'ai
citées ». La seconde réponse du Pr. Corrêa de Oliveira parut dans Catolicismo,
n. 170, de février 1965.
Le débat entre le Pr. Corrêa de Oliveira et le
journaliste polonais trouva une répercussion à Paris, où intervinrent,
du côté de l'auteur de ce livre, M. Henri Carton, de L'Homme Nouveau,
et du côté de M. Czajkowski, A.V., de Témoignage Chrétien, un
autre important organe progressiste ( cf. Catolicismo, n. 165, de
Septembre 1964, et 166, d'Octobre 1964 ).
De son côté, M. Tadeusz Masowiecki, rédacteur en
chef du mensuel Wiez et député du groupe catholique Znak
à la Diète polonaise, fit paraître dans sa revue ( n. 11 - 12, de
Novembre - Décembre 1963 ), en collaboration avec M. A. Wielowieyski, un
article qui se voulait une réplique à la présente étude.
Cette polémique met en évidence combien la
répercussion de L'Eglise et l'Etat Communiste: la Coexistence
Impossible au delà du rideau de fer gêne les autorités communistes
et les catholiques collaborateurs.
Durant ces 11 années, la Société Brésilienne de
Défense de la Tradition, Famille et Propriété, dont le Pr. Corrêa
de Oliveira préside le Conseil National, a diffusé activement la
présente étude. Pendant le même temps, elle a combattu, par diverses
autres méthodes, le mirage collaborationniste en face du communisme.
Un écho impressionnant de cette campagne fut donné
par l'immense pétition entreprise en 1968 dans plusieurs pays d'Amérique
Latine par la TFP brésilienne et ses soeurs hispano-américaines,
demandant à Paul VI de prendre des mesures effectives contre
l'infiltration de gauche dans les milieux catholiques. Cette pétition
reçut au Brésil 1 600 000 signatures, en Argentine 280 000, au Chili 120
000, en Uruguay 40 000, obtenant au total le chiffre impressionnant de 2
040 000 signatures.
La présente édition de L'Eglise et l'Etat
Communiste: la Coexistence Impossible, enrichie d'une documentation
photographique nouvelle, constitue un effort de plus pour arrêter la
marche d'une collaboration entre les fils de la lumière et les fils des
ténèbres, qui ne peut par le nature même des choses, que se terminer
par une catastrophe pour les premiers et la victoire pour les seconds.
AVANT — PROPOS
Avant d'aborder le sujet, il me semble nécessaire de
définir les limites naturelles de ce travail. C'est une étude faite pour
savoir si, dans les Etats où le régime communiste est en vigueur, la
coexistence pacifique de ce régime avec l'Eglise est licite.
Ce thème ne doit pas se confondre avec celui de la
coexistence pacifique, sur le plan international, d'Etats qui vivent sous
des régimes politiques, économiques ou sociaux différents, ni avec
celui des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et les nations
asservies au joug communiste.
Disserter, ne fût-ce que rapidement, sur ces deux
thèmes, qui ont chacun des caractéristiques et des perspectives très
particulières, allongerait démesurément cette étude. Nous ne les avons
donc pas en vue dans ces pages, consacrées exclusivement à examiner si
l'Eglise peut coexister, véritablement libre, avec un régime communiste
et dans quelles conditions.
Nous ne traiterons pas ici non plus du problème de la
coopération entre catholiques et communistes dans les pays non
communistes.
Cela dit, passons directement à notre sujet, en
commençant par l'analyse des faits.
CHAPITRE PREMIER
LES FAITS
1. Pendant longtemps, l'attitude des gouvernements communistes, non
seulement à l'égard de l'Eglise catholique mais aussi à l'égard de
toutes les religions, a été douloureusement claire et cohérente.
a) Selon la doctrine marxiste, toute religion est un
mythe qui conduit à l'«aliénation» de l'homme à un être supérieur
imaginaire, c'est-à-dire, à Dieu. Une telle «aliénation» est mise à
profit par les classes dominantes pour maintenir leur oppression sur le
prolétariat. En effet, l'espérance d'une vie supraterrestre, promise aux
travailleurs résignés comme prix de leur patience, agit sur eux à la
manière de l'opium pour qu'ils ne se révoltent pas contre les dures
conditions d'existence qui leur sont imposées par la société
capitaliste.
b) Ainsi, dans le mythe religieux, tout est faux et
nocif à l'homme. Dieu n'existe pas, ni la vie future. L'unique réalité
est la matière en état de continuelle évolution. L'objet spécifique de
l'évolution consiste à «dés-aliéner» l'homme en ce qui concerne
n'importe quelle sujétion à des maîtres réels ou fictifs. L'évolution,
dans le libre-cours de laquelle réside le bien suprême de l'humanité,
trouve donc une entrave sérieuse dans tout mythe religieux.
c) Par conséquent, à l'Etat communiste qui, au moyen
de la dictature du prolétariat, doit ouvrir la route à la «désaliénation»
évolutive des masses, incombe le devoir d'exterminer radicalement toute
et n'importe quelle religion et, pour ce faire, il a l'obligation, dans le
territoire sous sa juridiction, de:
— fermer toutes les églises, éliminer tout le
clergé, interdire tout culte, toute profession de foi, tout apostolat,
dans un délai plus ou moins long, selon la malléabilité de la
population;
— aussi longtemps qu'il ne sera pas possible
d'atteindre entièrement ce résultat, garder envers les cultes non encore
supprimés, une attitude de tolérance haineuse, d'espionnage multiforme
et de limitation continuelle de leurs activités;
— infiltrer de communistes les hiérarchies
ecclésiastiques encore existantes en transformant sournoisement la
religion en véhicule du communisme;
— fomenter par tous les moyens accessibles à l'Etat
et au Parti Communiste «l'athéisation» des masses (1).
_______________
(1) Voir sur la doctrine communiste le substantiel et
lucide exposé contenu dans la fameuse « Lettre pastorale sur la secte
communiste, ses erreurs, son action révolutionnaire et les devoirs des
catholiques à l'heure présente » écrite par Son Excellence Mgr Geraldo
de Proença Sigaud, S.V.D., Archevêque de Diamantina, et publiée dans «
Catolicismo », n. 135, de mars 1962 et par l'« Editora Vera Cruz »,
2ème édition, 1963.
_______________
A partir du moment où la dictature communiste s'est
instaurée en Russie, jusqu'aux approches de l'invasion de l'URSS par les
troupes nazistes, la conduite du gouvernement soviétique à l'égard des
diverses religions a été dictée par ces principes.
Pendant toute cette première phase, la propagande
communiste manifestait aux yeux du monde entier son intention d'exterminer
toutes les religions et faisait voir clairement que même quand elle
tolérait l'une d'elles, elle le faisait pour arriver plus sûrement à
l'éliminer.
2. Devant cette manière d'agir du communisme, la ligne
de conduite à maintenir par l'opinion catholique s'imposait aussi, simple
et claire.
Poursuivie à outrance en vertu d'une incompatibilité
radicale et complète entre sa doctrine et celle du communisme, l'Eglise
ne pouvait faire autre chose que réagir à outrance par tous les moyens
licites.
Les «relations» entre les gouvernements communistes
et l'Eglise ne pouvaient consister qu'en une lutte totale, de vie et de
mort. Convaincue de cela, l'opinion catholique se dressait dans chaque
pays comme une immense phalange, disposée à accepter tout et même le
martyre, pour éviter l'implantation du communisme. Et, dans les pays où
cette implantation s'était produite, les catholiques acceptaient avec une
grande force d'âme de vivre dans une clandestinité héroïque à la
manière des premiers chrétiens.
3. Depuis quelque temps, l'attitude de certains
gouvernements communistes semble présenter de nouvelles nuances en
matière religieuse.
En effet, tandis que dans quelques nations soumises au
communisme — la Chine par exemple — l'attitude des gouvernements à
l'égard de la religion continue d'être inexorablement la même, dans
d'autres, comme la Yougoslavie, la Pologne et plus récemment la Russie,
cette attitude semble se modifier graduellement.
C'est ainsi que, dans ces derniers pays, selon les
dires de leurs organes de propagande respectifs, l'intolérance du
gouvernement à l'égard de quelques religions a fait place, peu à peu,
à une tolérance malveillante d'abord, qui est devenue dans la suite,
sinon bienveillante, du moins indifférente. Et l'ancien régime de
coexistence agressive est remplacée de plus en plus par celui de la
coexistence pacifique.
En d'autres termes, les gouvernements russe, polonais
et yougoslave maintiennent entièrement leur adhésion au
marxisme-léninisme qui continue à être pour eux l'unique doctrine
officiellement enseignée et acceptée. Mais, — sur une échelle plus ou
moins grande selon les pays — ils en sont venus à admettre une liberté
de culte plus large et à concéder un traitement sans violence, et à
certains points de vue presque correct, à la religion ou aux religions
les plus importantes dans leurs territoires respectifs.
En Russie, comme on le sait, la religion
gréco-schismatique, couramment appelée orthodoxe, est celle qui a le
plus grand nombre d'adeptes. En Pologne, c'est la religion catholique (le
plus grand nombre de fidèles appartient au rite latin). Et en Yougoslavie,
l'une et l'autre sont largement répandues.
Par conséquent, dans certaines nations situées
derrière le rideau de fer, apparaît pour l'Eglise catholique une mince
liberté consistant dans la faculté, plus ou moins grande selon le pays,
de distribuer les sacrements et de prêcher l'Evangile à des peuples
jusqu'alors presque entièrement privés d'assistance religieuse. Nous
disons «mince» parce que l'Eglise continue, malgré tout, à être
combattue ouvertement par la propagande idéologique officielle et à
être constamment espionnée par la police, raison pour laquelle Elle ne
peut rien faire ou presque rien en dehors de la réalisation des fonctions
du culte et de l'administration d'un peu de catéchèse. En Pologne, outre
cela, on tolère qu'Elle maintienne des cours pour la formation de
prêtres, ainsi que quelques oeuvres sociales.
CHAPITRE II
UN PROBLEME COMPLEXE
La conduite des autorités communistes s'étant ainsi
modifiée dans une certaine mesure, deux voies s'ouvrent maintenant à
l'Eglise catholique dans les pays nommés ci-dessus:
• a) abandonner l'existence clandestine des
catacombes, qu'Elle menait jusqu'ici, derrière le rideau de fer, et vivre
dorénavant à la lumière du jour, coexistant avec le régime communiste
dans un «modus vivendi» tacite ou explicite;
• b) ou refuser tout «modus vivendi» et se
maintenir dans la clandestinité.
Le choix entre ces voies, c'est la question de tactique
très complexe qui se pose en ce moment à la conscience de nombreux
catholiques. Nous disons «à la conscience» parce que la décision à
cette croisée des chemins dépend de la solution qui sera donnée au
problème moral suivant: est-il licite aux catholiques d'accepter un «modus
vivendi» avec un régime communiste? C'est ce problème que, comme nous
l'avons dit, le présent article se propose d'étudier.
CHAPITRE III
IMPORTANCE DU PROBLEME DANS L'ORDRE CONCRET
Avant d'aborder le problème, disons quelque chose sur
son importance concrète.
L'importance de ce problème pour les pays soumis au
régime communiste est évidente.
Il nous semble nécessaire de dire un mot sur sa
portée dans les pays d'Occident. Et ceci surtout concernant les plans de
pénétration de l'impérialisme idéologique dans ces pays.
La raison principale de la résolution des 500 millions
de catholiques répandus dans le monde, Evêques, Prêtres, Religieuses et
laïques, de résister au communisme jusqu'à la mort, c'est la crainte de
voir l'Eglise assujettie partout aux horreurs subies au Mexique, en
Espagne, en Russie, en Hongrie ou en Chine, si les communistes obtenaient
une victoire mondiale. C'est là aussi, en ce qui regarde leurs religions
respectives, la principale cause de l'attitude anticommuniste de centaines
de millions de personnes qui professent un credo différent.
Cette décision héroïque représente, dans l'ordre
des facteurs psychologiques, le plus grand obstacle, ou peut-être le seul
obstacle vraiment considérable, à l'instauration et au maintien du
communisme dans le monde entier. Quelles que soient les raisons tactiques
qui déterminent le changement d'attitude signalé de quelques
gouvernements communistes à l'égard de cultes divers, le fait est que la
tolérance religieuse qu'ils pratiquent actuellement et que leur
propagande claironne exagérément au monde entier, leur apporte déjà un
immense avantage: en face de l'alternative qu'elle crée, les opinions des
milieux religieux se divisent sur l'orientation à suivre et par là se
rompt peu à peu la digue de l'opposition massive et à outrance contre le
communisme, maintenue fermement par les hommes qui croient en Dieu et Lui
rendent un culte.
En effet, le problème de la fixation d'une attitude
des catholiques et des adeptes d'autres credos, en face de la nouvelle
politique religieuse de certains gouvernements communistes, est en train
de donner lieu à des perplexités, des divisions et même des polémiques.
Selon leur degré de ferveur, leur optimisme ou leur méfiance, de
nombreux catholiques continuent à trouver que la lutte à outrance
demeure l'unique attitude cohérente et sensée devant le communisme;
tandis que d'autres pensent qu'il vaudrait mieux accepter dès maintenant
et sans plus de résistance, une situation comme celle de la Pologne, que
de lutter jusqu'au bout contre la pénétration communiste et de tomber
dans la situation bien plus opprimée où se trouve la Hongrie.
En outre, il semble à ces derniers qu'une acceptation
du régime communiste — ou quasi communiste — par les peuples libres
encore, pourrait éviter la tragédie cosmique d'une guerre nucléaire. La
seule raison qui les pousserait à accepter avec résignation le risque
d'une telle hécatombe, serait le devoir de lutter pour éviter à
l'Eglise une persécution mondiale d'une amplitude sans précédent et
ayant pour but une extermination radicale. Mais du moment que ce danger
n'existe peut-être pas, puisqu'on tolère dans certains pays communistes
que l'Eglise vive, encore que réduite à une liberté minime, la
disposition à affronter le danger d'une guerre atomique diminue beaucoup,
et l'idée d'établir partout, sur une échelle presque mondiale, un «modus
vivendi» — à la manière polonaise — entre l'Eglise et le communisme,
accepté comme un mal, mais comme un moindre mal, gagne du terrain.
Entre ces deux groupes commence à se former une
immense majorité désorientée, indécise, et par là même, moins
préparée psychologiquement pour la lutte qu'elle ne l'était jusqu'à
une époque toute récente.
Si ce phénomène de débilitation dans l'attitude
anticommuniste se produit chez des personnes absolument hostiles au
marxisme, combien plus intense ne sera-t-il pas naturellement chez les
catholiques dits «de gauche», de plus en plus nombreux, qui, sans
professer le matérialisme et l'athéisme, sympathisent avec les aspects
économiques et sociaux du communisme!
En résumé, dans tous ou dans presque tous les pays
non encore soumis au joug marxiste, des millions de catholiques qui, hier
encore, se seraient volontiers fait tuer dans des armées régulières ou
dans des guérillas, pour éviter l'implantation du communisme dans leur
patrie, ou pour le renverser s'il réussissait à conquérir le pouvoir,
ne se trouvent plus aujourd'hui dans la même disposition d'esprit. Dans
l'hypothèse d'une crise de panique — par exemple un «suspense» dans
l'imminence d'une guerre nucléaire universelle — ce phénomène pourra
s'accentuer encore, conduisant éventuellement des nations entières à
des capitulations catastrophiques devant les puissances communistes.
Tout cela met en relief toute l'importance d'étudier
au plus tôt, sous leurs différents aspects, les questions morales
inhérentes au dilemme en face duquel la tolérance relative dans le
domaine religieux de quelques gouvernements communistes place de nos jours
la conscience de millions et millions d'hommes.
Il est permis d'affirmer que, de la solution de ce
problème, dépend pour une part considérable l'avenir du monde.
CHAPITRE IV
IL EST IMPOSSIBLE D'ESQUIVER LE PROBLEME
L'utilité d'une pareille étude paraîtra peut-être
discutable à quelques esprits pressés qui chercheront à écarter ce
problème compliqué au moyen d'allégations préliminaires qui nous
semblent tout à fait contestables.
Enumérons-en quelques-unes à titre d'exemple ainsi
que les réponses qu'on pourrait leur donner:
• a) Il est évident que la tolérance
religieuse relative est une simple manoeuvre communiste, et que, par
conséquent, cette perspective d'un « modus vivendi » entre l'Église et
n'importe quel régime communiste ne peut être prise au sérieux. —
A cela on pourrait répondre que rien n'empêche de supposer que certaines
tensions internes de nature multiple aient imposé à quelques
gouvernements communistes cette attitude de détente en matière
religieuse. Aussi cette détente pourrait-elle peut-être avoir une
certaine durée et consistance, et offrir à l'Église de nouvelles
perspectives.
• b) Tout accord, avec des gens qui, comme les
communistes, nient Dieu et la morale, n'offre aucune garantie d'être tenu.
Aussi, même si l'on admet qu'ils veulent réellement aujourd'hui tolérer
dans une certaine mesure la religion, demain, si cela leur convient, ils
déclencheront contre elle la persécution la plus brutale et la plus
complète. — Nous reconnaissons qu'en principe il en est ainsi.
Cependant, vu que la tolérance religieuse de l'Etat communiste ne se
fonde certainement pas sur le respect à la parole donnée, mais sur
l'intérêt essentiellement politique d'éviter ou de réduire des
difficultés internes, cette tolérance pourra se prolonger aussi
longtemps que dureront ces difficultés; c'est-à-dire qu'elle pourra
durer éventuellement pendant un temps assez long. Par conséquent, non
par honnêteté mais par calcul, les autorités communistes observeront
peut-être longtemps les clauses de l'accord qu'elles proposent à un
culte quelconque.
• c) Cette étude n'offrira aucune utilité
pour les peuples d'au-delà du rideau de fer, parmi lesquels le présent
article ne pourra pas circuler librement. Quant aux peuples d'en-deça du
rideau de fer, elle ne les intéresse pas. Pour ces derniers, le problème
de savoir si la coexistence de l'Eglise et du régime communiste est
licite ne se pose pas, puisque ce régime n'existe pas en Occident. Le
problème qui intéresse les peuples occidentaux n'est pas celui de savoir
si l'on peut admettre la coexistence avec un tel régime mais ce qu'il
faut faire pour éviter qu'il ne s'implante. Cette étude n'intéresse
donc personne. — En ce qui concerne les peuples d'au-delà du rideau
de fer, il n'est pas vrai que cette étude ne puisse pas parvenir à leur
connaissance. La preuve, c'est qu'elle y est parvenue. L'hebdomadaire «
Kierunki » de Varsovie, édité par l'Association « Pax », mouvement
polonais influent d'extrême gauche « catholique », a publié le 1er
mars dernier, en première page et en grande évidence, une « Lettre
ouverte au Dr. Plinio Corrêa de Oliveira ». C'est une protestation
longue et indignée contre cet article par un membre important du
mouvement, M. Zbigniew Czajkowski. M. Tadeusz Mazowiecki, rédacteur en
chef de la revue mensuelle « Wiez » et député du groupe catholique «
Znak » à la Diète polonaise, a publié également dans sa revue, en
collaboration avec M. A. Wielowieyski, un article dans lequel nous avons
des raisons de voir une réplique à la présente étude. S'il a fallu
réfuter notre article, c'est parce que, d'une façon ou d'une autre, il a
traversé le rideau de fer et a eu une répercussion dans des parages de
domination communiste. Quant à l'intérêt du sujet pour l'Occident, la
réponse à cette réflexion sera que, réellement, il vaut mieux
prévenir un mal que d'y remédier. Mais il peut fort bien arriver qu'une
nation occidentale, ou plusieurs en même temps, se voient obligées
d'opter entre deux maux, c'est-à-dire, entre la guerre moderne
intérieure et extérieure, conventionnelle et thermonucléaire, avec
toutes ses horreurs, ou l'acceptation d'un régime communiste. En ce cas,
il faudra choisir le moindre mal. Et le problème inévitablement surgira:
si l'Eglise peut accepter la coexistence avec un gouvernement et un
régime communistes, peut-être le moindre mal consistera-t-il, en ce cas,
à éviter l'hécatombe de la guerre en acceptant la victoire du marxisme
comme un fait accompli; c'est seulement si l'on considère qu'une telle
coexistence est impossible et que l'implantation du communisme représente
un grave danger d'extirpation complète ou presque complète de la foi
dans un peuple déterminé, que le moindre mal sera l'acceptation de la
lutte. En effet, la perte de la foi est un mal plus grand que la perte de
tout ce qu'une guerre atomique peut anéantir.
Comme on le voit, tous ces préliminaires, tendant à
esquiver l'étude de la question dont il s'agit, n'offrent aucune
consistance. Le problème de savoir si la coexistence entre le régime
communiste et l'Eglise est licite, doit être abordé de front et ne peut
être résolu de manière à satisfaire tous les esprits catholiques que
par l'analyse approfondie de ses aspects doctrinaux.
CHAPITRE V
FACE AU PROBLEME
A première vue, considéré en lui-même, le problème
de la coexistence de l'Eglise et d'un régime communiste « tolérant »
s'énoncerait ainsi:
• Si dans un certain pays qui vit sous un
régime communiste, les hommes au pouvoir, loin d'interdire le culte et la
prédication, permettaient l'un et l'autre, l'Eglise pourrait-elle ou
même devrait-elle accepter cette liberté d'action pour distribuer sans
entraves les sacrements et le pain de la parole de Dieu?
La question étant présentée purement et simplement
en ces termes, la réponse est nécessairement affirmative: l'Eglise
pourrait et même devrait accepter cette liberté. En ce sens, Elle
pourrait et devrait coexister avec le communisme. En effet, sous aucun
prétexte, Elle ne peut se refuser à accomplir sa mission.
Il faut remarquer toutefois que cette manière
d'énoncer le problème est simpliste. Elle fait supposer implicitement
que le gouvernement communiste n'imposerait pas la moindre restriction à
la liberté de l'Eglise d'enseigner sa doctrine. Cependant, rien ne porte
à croire qu'un tel gouvernement accorderait à l'Eglise une pleine
liberté d'enseignement doctrinal. En effet, cela impliquerait la
permission pour Elle de prêcher toute la doctrine des Papes sur la morale,
sur le droit et même spécialement sur la famille et la propriété
privée, ce qui, par ailleurs, aurait comme conséquence de faire de
chaque catholique un adversaire né du régime, de sorte que dans la
mesure où l'Eglise étendrait son action, Elle annihilerait le régime.
Par conséquent, dans la mesure où ce dernier tolérerait la liberté de
l'Eglise, il se suiciderait. Et cela surtout dans les pays où l'influence
de l'Eglise sur la population est très grande.
Aussi ne pouvons-nous pas nous contenter de résoudre
le problème selon l'énoncé général présenté ci-dessus. Nous devons
voir quelle solution il faudrait y donner dans le cas où un gouvernement
communiste exigerait que la prédication et l'enseignement catholiques,
pour être tolérés, souscrivent aux conditions suivantes:
• 1ère — qu'ils exposent toute la doctrine
de l'Eglise de manière affirmative mais sans faire pour les fidèles la
moindre réfutation du matérialisme ni des autres erreurs inhérentes à
la philosophie marxiste;
• 2e — qu'ils taisent aux fidèles la pensée de
l'Eglise sur la propriété privée et la famille;
• 3e — ou que, du moins, sans critiquer directement
le système économico-social du marxisme, ils affirment que l'existence
légale de la famille et de la propriété privée serait un idéal
souhaitable en principe, mais irréalisable dans la pratique à cause de
la domination communiste, — raison pour laquelle, dans l'hypothèse
concrète actuelle, on recommanderait aux fidèles de renoncer à toute
tentative d'abolir le régime communiste et de restaurer dans la
législation, selon les maximes du Droit Naturel, la propriété privée
et la famille.
Ces conditions pourraient-elles, en conscience, être
tacitement ou expressément acceptées comme prix d'un minimum de liberté
légale pour l'Eglise en régime communiste? En d'autres termes, l'Eglise
pourrait-elle renoncer à sa liberté sur quelques-uns de ces points et la
garder sur d'autres, pour le plus grand bien spirituel des fidèles?
Voilà le noeud de la question.
CHAPITRE VI
LA SOLUTION
1. Quant à la première condition, il nous semble que
la réponse doit être négative, en vertu de la force persuasive que
possèdent une métaphysique et une morale concrétisées dans un régime
politique, dans une culture, dans une ambiance.
La mission enseignante de l'Eglise ne consiste pas
seulement à faire connaître la vérité, mais aussi à condamner
l'erreur. Aucun enseignement de la vérité n'est suffisant en tant
qu'enseignement s'il n'inclut l'énoncé et la réfutation des objections
qu'on peut faire à la vérité. « L'Eglise, a dit Pie XII, toujours
débordante de charité et de bonté pour les égarés, mais fidèle à la
parole de son Divin Fondateur qui a déclaré: « Qui n'est pas avec Moi,
est contre Moi » (Matth. 12, 30), ne peut faillir à son devoir de
dénoncer l'erreur et d'arracher le masque aux semeurs de mensonges... »
(Message radiodiffusé de Noël de 1947). Dans le même sens s'est
exprimé Pie XI: « Le premier don d'amour du prêtre à son milieu, et
celui qui s'impose de la manière la plus évidente, est le don de servir
la vérité, la vérité entière, et de démasquer et de réfuter
l'erreur, quels que soient la forme, le masque ou le déguisement sous
lesquels elle se présente » (Encyclique « Mit brennender Sorge »,
du 14 mars 1937). La fausse maxime selon laquelle, pour enseigner la
vérité, il n'est pas nécessaire d'attaquer ou de réfuter l'erreur,
appartient à l'essence du libéralisme religieux. Il n'y a pas de
formation chrétienne satisfaisante qui puisse se passer de
l'apologétique. Cela est particulièrement important à signaler, en
raison du fait que la majorité des hommes tend à accepter comme normal
le régime politique et social sous lequel elle naît et vit et que ce
régime exerce, à ce titre, une influence formative profonde sur les
âmes.
Pour mesurer dans toute son étendue le pouvoir de
cette action formative examinons-la dans sa raison d'être et dans sa
manière d'opérer.
Tout régime politique, économique et social se fonde,
en dernière analyse, sur une métaphysique et sur une morale. Les
institutions, les lois, la culture et les coutumes qui l'intègrent ou se
trouvent en corrélation avec lui, reflètent dans la pratique les
principes de cette métaphysique et de cette morale.
Par le fait même d'exister, par le prestige naturel du
Pouvoir Public, ainsi que par l'énorme force de l'ambiance et de
l'habitude, le régime induit la population à accepter comme bons,
normaux et même indiscutables, la culture et l'ordre temporel régnants,
qui sont les conséquences des principes métaphysiques et moraux
dominants. Et en acceptant tout cela, l'esprit public finit par se laisser
pénétrer comme par osmose par ces mêmes principes habituellement
entrevus de manière confuse, subconsciente mais très vive par le plus
grand nombre de personnes.
L'ordre temporel exerce donc une action formatrice —
ou déformatrice — profonde sur l'âme des peuples et des individus.
Il y a des époques où l'ordre temporel se fonde sur
des principes contradictoires qui sont professés simultanément en raison
d'une sorte de scepticisme presque toujours coloré de pragmatisme. En
général, ce scepticisme pragmatique envahit ensuite la mentalité des
multitudes.
Il y a d'autres époques où les principes
métaphysiques et moraux qui servent d'âme à l'ordre temporel sont
cohérents et monolithiques dans la vérité et dans le bien, comme dans
l'Europe du XIIIe siècle, ou dans l'erreur et le mal, comme en Russie ou
dans la Chine de nos jours. Ces principes peuvent alors s'imprimer
profondément chez les peuples qui vivent dans une société temporelle
inspirée par eux.
Vivre dans un ordre de choses aussi cohérent dans
l'erreur et le mal constitue déjà une terrible invitation à l'apostasie.
Dans l'Etat communiste, officiellement philosophique et
sectaire, cette imprégnation doctrinale de la masse est faite avec
intransigeance, amplitude et méthode, et elle est complétée par un
exposé de la doctrine marxiste répété inlassablement et à tout propos.
Tout au long de l'histoire, il n'y a pas d'exemple de
pression plus complète en son contenu doctrinal, plus subtile et
polymorphe dans ses méthodes, plus brutale à ses heures d'action
violente que celle qui est exercée par les régimes communistes sur les
peuples qui se trouvent sous leur joug.
Dans un Etat aussi totalement antichrétien, il n'y a
moyen d'éviter cette influence qu'en instruisant les fidèles de ce qu'il
offre de mal.
En face d'un tel adversaire, plus encore qu'en face de
tout autre, l'Eglise ne peut donc pas accepter une liberté qui implique
le renoncement sincère et effectif à l'exercice franc et efficient de sa
fonction apologétique.
2. Quant à la deuxième condition, il nous semble
aussi qu'elle est inacceptable si l'on envisage non seulement
l'incompatibilité totale entre le communisme et la doctrine catholique,
mais aussi en particulier le droit de propriété dans ses relations avec
l'amour de Dieu, la vertu de justice et la sanctification des âmes.
Pour le refus de cette seconde condition, il y a avant
tout une raison de caractère général. La doctrine communiste, athée,
matérialiste, relativiste, évolutionniste, heurte de front le concept
catholique d'un Dieu personnel, qui a promulgué pour les hommes une Loi
qui renferme tous les principes de morale, fixes, immuables et conformes
à l'ordre naturel. La « culture » communiste, considérée sous tous
ses aspects et en chacun d'eux, mène à la négation de la morale et du
droit. Le heurt du communisme et de l'Eglise ne se produit donc pas
seulement dans le domaine de la famille et de la propriété. Et c'est sur
toute la morale, sur toute la notion du droit que l'Eglise serait alors
obligée de se taire.
Nous ne voyons donc pas à quel résultat tactique
mènerait un « armistice idéologique » entre catholiques et communistes,
limité à ces deux points, si, sur tous les autres, la lutte idéologique
continuait.
* * *
Considérons toutefois, « argumentandi gratia »,
l'hypothèse d'un silence de l'Eglise au seul sujet de la famille et de la
propriété privée.
Il est si évidemment absurde d'admettre qu'Elle
accepte des restrictions quant à sa prédication en matière de famille,
que nous ne nous arrêtons même pas à l'examen de cette hypothèse.
Mais imaginons qu'un Etat communiste donne à l'Eglise
toute la liberté de prêcher sur la famille mais non sur la propriété
privée. Qu'aurions-nous alors à répondre?
Au premier abord, on dirait que la mission de l'Eglise
consiste essentiellement à fomenter la connaissance et l'amour de Dieu
plutôt qu'à préconiser ou maintenir un régime politique, social ou
économique. Et que les âmes peuvent fort bien connaître et aimer Dieu
sans être instruites du principe de la propriété privée.
L'Eglise pourrait donc accepter comme un moindre mal le
compromis qui consisterait à garder le silence sur le droit de
propriété pour recevoir en échange la liberté d'instruire et de
sanctifier les âmes, en leur parlant de Dieu et du destin éternel de
l'homme, et en leur administrant les sacrements.
* * *
Cette conception de la mission enseignante et
sanctificatrice de l'Eglise se heurte à une objection préliminaire. Si
un gouvernement temporel exige d'Elle, comme condition de sa liberté,
qu'Elle renonce à l'enseignement d'un précepte quelconque de la Loi,
Elle ne pourra accepter cette liberté qui ne serait qu'un simulacre
fallacieux.
Nous affirmons qu'elle serait un simulacre fallacieux,
cette « liberté », puisque la mission enseignante de l'Eglise a pour
objet de prêcher une doctrine qui constitue un tout indivisible. Ou bien
Elle a la liberté d'accomplir le mandat de Jésus Christ en enseignant ce
tout, ou bien Elle doit se considérer comme opprimée et persécutée. Si
l'on ne lui reconnaît pas cette liberté totale, Elle devra,
conformément à sa nature militante, entrer en lutte avec l'oppresseur.
L'Eglise ne peut accepter dans sa fonction enseignante un demi-silence,
une demi-oppression, pour obtenir une demi-liberté. Cela équivaudrait à
une totale trahison de sa mission.
* * *
Outre cette objection préliminaire basée sur la
mission enseignante de l'Église, il faudrait en élever une autre
relative à sa fonction d'éducatrice des volontés humaines dans
l'acquisition de la sainteté.
Cette objection se fonde sur le fait que la
connaissance claire du principe de propriété privée, et le respect de
ce principe dans la pratique sont absolument indispensables pour la
formation authentiquement chrétienne des âmes:
• a) DU POINT DE VUE DE L'AMOUR DE DIEU: La
connaissance et l'amour de la Loi sont inséparables de la connaissance et
de l'amour de Dieu. En effet, la Loi est en quelque sorte le miroir de la
sainteté divine. Et ce que l'on peut dire de chacun de ses préceptes est
vrai surtout lorsqu'on la considère dans son ensemble. Renoncer à
enseigner les deux préceptes du Décalogue qui fondent la propriété
privée signifierait la présentation d'une image défigurée de cet
ensemble et par conséquent de Dieu lui-même. Or, là où les âmes se
font une idée défigurée de Dieu, elles se forment selon un modèle
erroné, ce qui est incompatible avec la vraie sanctification.
• b) DU POINT DE VUE DE LA VERTU CARDINALE DE
JUSTICE: Les vertus cardinales sont, comme leur nom l'indique, des gonds
sur lesquels toute sainteté s'appuie. Pour que l'âme se sanctifie, elle
doit les connaître sans déguisement, les aimer sincèrement et les
pratiquer vraiment.
Or toute la notion de justice se fonde sur le principe
selon lequel chaque homme, son prochain considéré individuellement et la
société humaine sont respectivement titulaires de droits auxquels
correspondent naturellement des devoirs. En d'autres termes, la notion du
« mien » et du « tien » se trouve à la base la plus élémentaire du
concept de justice.
Mais précisément cette notion du « mien » et du «
tien » en matière économique mène directement et inéluctablement au
principe de la propriété privée.
Il s'ensuit que, sans la connaissance exacte de la
légitimité et de l'étendue — comme aussi des limites — de la
propriété privée, il n'y a pas de connaissance exacte de ce qu'est la
vertu cardinale de justice. Et sans cette connaissance, ni un véritable
amour, ni une vraie pratique de la justice ne sont possibles; en somme, la
sanctification n'est pas possible.
• C) D'UN POINT DE VUE PLUS GÉNÉRAL, CELUI DU PLEIN
DÉVELOPPEMENT DES FACULTÉS DE L'AME ET DE SA SANCTIFICATION: L'exposé
de ce sujet présuppose comme établi que la saine formation de
l'intelligence, et de la volonté, sous divers aspects, est de nature à
favoriser la sanctification et sous d'autres, s'identifie même avec elle;
et que, « a contrario sensu » tout ce qui porte préjudice à la saine
formation de l'intelligence et de la volonté, sous divers aspects est
incompatible avec la sanctification.
Nous allons démontrer qu'une société dans laquelle
la propriété privée n'existe pas est profondément opposée au sain
développement des facultés de l'âme, particulièrement de la volonté.
Et par là, d'elle-même, elle est incompatible avec la sanctification des
hommes.
En passant, nous signalerons aussi le préjudice que,
pour des raisons analogues, la communauté des biens porte à la culture.
Nous le ferons parce que le vrai développement culturel n'est pas
seulement un facteur propice à la sanctification des peuples mais aussi
un fruit de cette sanctification. Raison pour laquelle la saine vie
culturelle est en relation étroite avec notre thème.
Abordons le sujet en mettant en évidence un point
essentiel fréquemment oublié par ceux qui traitent de l'institution de
la propriété privée: cette institution est nécessaire à l'équilibre
et à la sanctification de l'homme.
Pour justifier cette thèse, il faut rappeler
préliminairement que les documents pontificaux, quand ils traitent du
capital, du travail et de la question sociale, ne laissent pas le moindre
doute sur le fait que la propriété privée n'est pas seulement légitime
mais qu'elle est encore indispensable au bien privé et au bien commun, et
cela, tant en ce qui concerne les intérêts matériels de l'homme que
ceux de son âme.
Il est bien vrai que ces mêmes documents pontificaux
se sont insurgés avec véhémence contre les nombreux excès et abus qui,
surtout à partir du XIXème siècle, se sont produits en matière de
propriété privée. Toutefois, le caractère condamnable et nocif de
l'abus que les hommes font d'une institution, ne signifie absolument pas
que cette institution ne soit pas intrinsèquement excellente. Le plus
souvent on doit plutôt incliner à penser le contraire: « corruptio
optimi pessima » — le pire est peut-être presque toujours la
corruption de ce qui, en soi, est excellent. Rien d'aussi sacré, d'aussi
saint en soi et à tous les points de vue que le sacerdoce. Rien de pire
que sa corruption. Et pour cela même, on comprend que le Saint-Siège, si
sévère pour les abus de la propriété privée soit encore plus sévère
quand il réprime les abus du sacerdoce.
Multiples sont les motifs pour lesquels l'institution
de la propriété privée est indispensable aux individus, aux familles et
aux peuples. Un exposé complet de ces motifs dépasserait les limites de
la présente étude. Tenons-nous-en à l'explication de celui qui se
rattache de plus près à notre thème: comme nous l'affirmions un peu
plus haut, une telle institution est nécessaire à l'équilibre et à la
sanctification de l'homme.
Etant naturellement doué d'intelligence et de volonté,
l'homme tend par ses facultés spirituelles elles-mêmes à pourvoir à
tout ce qui est nécessaire à son bien. C'est de là que lui vient le
droit de rechercher par lui-même les choses dont il a besoin et celui
d'en prendre possession quand elles n'ont pas de propriétaire. C'est de
là aussi que lui vient le droit de pourvoir de façon stable à ses
besoins de demain, en s'appropriant le sol, en le cultivant et en
produisant pour cette culture ses instruments de travail. En somme, c'est
parce qu'il a une âme que l'homme tend, d'une manière irréfragable, à
être propriétaire. Et c'est en cela, disent Léon XIII et Saint Pie X,
que sa position en face des biens matériels le distingue des animaux
irrationnels: « IV — Des biens de la terre, l'homme a non seulement
le simple usage, comme les brutes, mais aussi le droit de propriété
stable, aussi bien en ce qui regarde les choses qui disparaissent à
l'usage comme celles que l'usage ne consomme pas (Encyclique «
Rerum Novarum ») » (Saint Pie X, Motu Proprio sur l'action populaire
catholique, du 18 décembre 1903 — AAS, vol. 36, pp. 341- 343 ).
Or, diriger son propre destin et veiller à sa propre
subsistance étant un objet proche, nécessaire et constant de l'exercice
de l'intelligence et de la volonté, et la propriété privée un moyen
normal pour que l'homme soit et se sente certain de son avenir et maître
de soi, abolir la propriété privée et par conséquent livrer l'individu
comme un termite inerte à la direction de l'Etat, c'est priver son esprit
de quelques-unes des conditions fondamentales de son fonctionnement
normal, c'est conduire à l'atrophie par le manque d'exercice les
facultés de son âme, c'est en somme le déformer profondément. De là,
en grande part, la tristesse qui caractérise les populations sujettes au
communisme, ainsi que l'ennui, les névroses et les suicides de plus en
plus fréquents dans certains pays largement socialistes de l'Occident.
On sait bien en effet que les facultés de l'âme qui
ne s'exercent pas tendent à s'atrophier. Au contraire, l'exercice
adéquat peut les développer parfois prodigieusement. C'est là-dessus
que se fondent un grand nombre de pratiques didactiques et ascétiques
approuvées par les meilleurs maîtres et consacrées par l'expérience.
La sainteté étant la perfection de l'âme, on
comprend bien la grande importance pour le salut et la sanctification des
hommes de ce qu'on en conclut. La condition de propriétaire, d'elle-même,
crée des circonstances hautement propices au sain et vertueux exercice
des facultés de l'âme. Sans en venir à accepter l'idéal utopique d'une
société où chaque individu sans exception est propriétaire ou dans
laquelle il n'y a pas de patrimoines inégaux, grands, moyens et petits,
il faut affirmer que la diffusion aussi ample que possible de la
propriété favorise le bien spirituel et évidemment aussi culturel, tant
des individus que des familles ou de la société. Au contraire, la
prolétarisation crée des conditions hautement défavorables au salut, à
la sanctification et à la formation culturelle des peuples, des familles
et des individus.
• Pour une plus grande facilité d'exposé, nous
examinons dès maintenant quelques objections à l'argument présenté
sous la lettre « c »:
* Ceux qui, dans les sociétés où la propriété
privée existe, ne sont pas propriétaires, deviennent-ils fous ou ne
peuvent-ils se sanctifier?
Pour répondre à cette question, il convient de
souligner que la propriété privée est une institution qui favorise
indirectement, mais d'une manière très réelle, les non-propriétaires.
En effet, comme le nombre de personnes qui tirent un profit moral et
culturel adéquat des avantages que leur confère la position de
propriétaires est grand, il en résulte une ambiance sociale élevée qui,
par la communication naturelle des âmes, favorise les non-propriétaires
eux-mêmes. La situation où restent ceux-ci ne s'identifie donc pas avec
celle des individus qui vivent sous un régime dans lequel n'existe aucune
propriété.
* La propriété privée est donc la cause de
l'élévation morale et culturelle des peuples?
Nous disons que la propriété est une condition très
importante du bien spirituel et culturel des individus, des familles et
des peuples. Nous ne disons pas qu'elle est une cause de sanctification.
De même que la liberté de l'Eglise est une condition de son
développement. Mais l'Eglise persécutée fleurit admirablement dans les
catacombes. Il serait exagéré de dire par exemple que plus la
propriété est répandue, plus le peuple est nécessairement vertueux et
cultivé. Cela impliquerait faire dépendre ce qui est surnaturel de la
matière et ce qui est culturel de l'économie.
Il est certain toutefois qu'il n'est licite à aucun
peuple de contrarier les desseins de la Providence, en abolissant une
institution imposée par l'ordre naturel des choses, comme c'est le cas de
la propriété privée, institution qui est une condition très importante
du bien des âmes, tant sur le plan religieux que culturel. Et si un
peuple agit de cette manière, il prépare les facteurs de sa dégradation
morale et culturelle et par conséquent sa ruine complète.
* S'il en est ainsi, comment y eut-il une telle culture
dans la Rome impériale où la majeure partie de la population était
constituée de prolétaires et d'esclaves? Et comment plusieurs esclaves,
à Rome comme en Grèce purent-ils s'élever à un haut niveau moral ou
culturel?
La différence entre une chambre entièrement obscure
et une autre qui est illuminée par une lumière tremblotante est plus
grande que celle qu'offre une chambre à lumière tremblotante et une
autre illuminée féériquement. Et cela, parce que le mal produit par la
privation absolue d'un bien important, qui serait dans cet exemple la
lumière, est toujours incomparablement plus grand que celui produit par
l'insuffisance de ce bien. La société romaine possédait, encore que
dans une mesure moindre qu'on aurait pu le désirer, une classe de
propriétaires vaste et cultivée. D'où l'existence dans l'Empire, tout
au moins dans une certaine proportion, des bienfaits culturels de la
propriété. Tout autre serait la situation d'un pays entièrement privé
d'une classe de propriétaires: à ce point de vue, il se trouverait dans
des ténèbres complètes.
L'expérience contredit cette conclusion théorique,
objectera-t-on. Car chez le peuple russe on remarque un indéniable
progrès culturel et technique, malgré la communauté de biens imposée
par le régime marxiste.
Ici encore, la réponse n'est pas difficile à donner.
Les ressources drainés dans les points cardinaux d'un empire immense sont
laissés au bon plaisir du gouvernement soviétique. Il dispose
arbitrairement des talents, du travail et de la production de centaines de
millions de personnes.
Aussi les moyens de constituer quelques milieux
artificiels de haute élaboration technique ou culturelle (anticulturelle,
devrait-on dire plutôt) ne lui ont pas manqué, loin de là. Sans nier
que les résultats ainsi atteints sont considérables, on peut exprimer
une très légitime surprise de ne pas les voir plus grands encore.
Puisqu'un Etat-Moloch tout entier antinaturel ne produit pas de
résultats-Moloch dans l'ordre de l'artificiel, c'est parce que,
réellement, il n'a pas le privilège de l'efficacité.
En outre, cette floraison intellectuelle de serre
chaude est complètement coupée de la population. Elle ne constitue pas
le produit de la société. Elle ne jaillit pas de ses entrailles. Mais
elle est obtenue hors d'elle, grâce au sang qu'on lui a arraché. Elle
croît et s'affirme sans elle, et d'une certaine manière, contre elle.
Une telle production n'est pas l'indice de la culture
d'une nation. De même que dans une immense propriété rurale à
l'abandon, les produits d'une serre qui s'y trouverait ne constitueraient
pas une preuve valable que la propriété est cultivée convenablement.
Revenant à l'objection relative à la Rome impériale,
il y a eu des esclaves, il est vrai, qui se sont élevés à des niveaux
intellectuels et moraux surprenants: merveilles de la grâce sur le plan
moral, et de la nature, qui jusqu'à nos jours nous plongent dans
l'étonnement. Exceptions glorieuses qui ne suffisent pas pour nier la
vérité évidente que la condition servile en elle-même est oppressive
et préjudiciable à l'âme de l'esclave, que ce soit du point de vue
culturel. Et que l'esclavage, par lui-même déjà nocif à la morale et
à la culture, l'aurait été incomparablement plus dans l'Antiquité,
pour les esclaves eux-mêmes, s'il n'y avait pas eu des patriciens et des
plébéiens libres et si la société n'avait été constituée que
d'hommes sans autonomie ni propriété, comme c'est le cas dans le régime
communiste.
* Mais, alléguera-t-on enfin, l'état religieux est
donc en lui-même nocif aux âmes, avec les voeux d'obéissance et de
pauvreté qui le constituent? Ces voeux ne gênent-ils pas la tendance de
l'homme à se pourvoir à lui-même?
La réponse est aisée. Cet état est grandement
bienfaisant aux âmes que la grâce attire dans des voies exceptionnelles.
Si nous imaginions cet état comme celui de toute une société, il serait
nocif, car ce qui convient à des exceptions ne convient pas à tous.
C'est pourquoi la communauté de biens entre les fidèles n'a jamais été
généralisée dans l'Eglise primitive et a fini par être éliminée. Et
les expériences communo-protestantes de certaines collectivités au
XVIème siècle ont abouti à un échec retentissant.
* * *
Après considération attentive de tous ces arguments
et de toutes ces objections, la thèse reste debout selon laquelle il est
vain de garder le silence sur l'immoralité de la complète communauté de
biens pour obtenir en échange la sanctification des âmes au moyen de la
liberté du culte, et d'une relative liberté de prédication.
• D'ailleurs, une fois ce pacte monstrueux accepté,
la coexistence rêvée n'en serait nullement plus praticable. En effet,
dans une société sans propriété privée, les âmes droites tendraient
toujours, et cela par le propre dynamisme de leur vertu, à se créer des
conditions favorables. En effet tout ce qui existe tend à lutter pour ne
pas périr, en détruisant les circonstances adverses et en implantant les
circonstances propices. « A contrario sensu », tout ce qui cesse de
lutter contre les circonstances gravement adverses est détruit par elles.
De ce fait, la vertu serait en lutte perpétuelle
contre la société communiste dans laquelle elle se développerait et
tendrait perpétuellement à éliminer la communauté de biens. Et la
société communiste serait en lutte perpétuelle contre la vertu et
tendrait à l'asphyxier. Tout cela est très exactement l'opposé de la
coexistence rêvée.
3. Quant à la troisième condition, elle nous paraît
également inacceptable, puisque la nécessité de tolérer un moindre mal
ne peut conduire à renoncer à le détruire d'une façon totale.
Lorsque l'Eglise décide de tolérer un moindre mal,
Elle ne veut pas dire par là que ce mal ne doit pas être combattu avec
toute l'efficacité possible. « A fortiori » quand ce mal « moindre »
est en lui-même très grave.
En d'autres termes, Elle doit inspirer aux fidèles et
renouveler chez eux à tout moment un regret très vif de la nécessité
d'accepter le moindre mal. Et avec le regret, Elle doit susciter en eux le
ferme propos de faire tout leur possible pour écarter les circonstances
qui ont rendu nécessaire l'acceptation du moindre mal.
Or, en agissant ainsi, l'Eglise détruira la
possibilité de coexistence. Et cependant, à ce qu'il nous semble,
l'impératif de sa mission sublime ne lui permet pas d'agir différemment.
CHAPITRE VII
REPONSE AUX ULTIMES OBJECTIONS
Tout au long de ce travail, nous avons résolu diverses
objections immédiatement liées aux divers thèmes développés. Nous
allons analyser maintenant d'autres objections qui, n'ayant pas dû
nécessairement être abordées au cours de l'exposé, seront réunies
pour la commodité du lecteur dans ce chapitre.
1. En défendant ainsi le droit de propriété,
l'Eglise abandonnerait la lutte contre la misère et la faim.
Cette objection nous donne l’occasion de considérer
les effets catastrophiques que pourraient produire, sous l'angle du bien
temporel, le silence de l'Eglise sur la question de la propriété dans
l'Etat communiste.
Une fois analysées les principales objections que l'on
pourrait faire contre un tel silence, du point de vue de la mission
enseignante et de la mission sanctifiante de l'Eglise, considérons un
effet secondaire, pourtant intéressant, de ce même silence: ce serait,
pour Elle, pactiser avec la dissémination progressive de la misère dans
une situation mondiale marquée par le progrès du collectivisme.
Chaque homme, par un mouvement instinctif continu,
puissant et fécond, cherche avant tout à subvenir à ses nécessités
personnelles. Quand il s'agit de sa propre conservation, l'intelligence
humaine lutte plus facilement contre ses limitations et croît en acuité
et en agilité. La volonté vainc la paresse avec plus de facilité et
affronte les obstacles et la lutte avec plus de vigueur.
Cet instinct, lorsqu'il est contenu dans de justes
limites, ne doit pas être contrarié mais plutôt soutenu et mis à
profit comme un facteur précieux d'enrichissement et de progrès, et
d'aucune façon ne peut être qualifié, d'une manière péjorative,
d'égoïsme. C'est l'amour de soi-même qui, selon l'ordre naturel des
choses, doit être au-dessous de l'amour pour le Créateur et au-dessus de
l'amour pour le prochain.
Si l'on niait ces vérités, on annihilerait le
principe de subsidiarité, présenté par l'Encyclique « Mater et
Magistra » comme élément fondamental de la doctrine sociale catholique
(cf. AAS, vol. LIII, pp. 414-415).
En effet, c'est en vertu de cette hiérarchie dans la
charité, que chaque homme doit pourvoir directement à ses besoins dans
la mesure où ses ressources personnelles le lui permettent, recevant
seulement l'aide de groupes supérieurs — famille, corporation, Etat —
dans la mesure où il lui est impossible de le faire lui-même. Et c'est
en vertu du même principe que la famille et la corporation (êtres
collectifs dont il faut dire aussi que « omne ens appetit suum esse »)
se chargent en premier lieu et directement de leurs propres intérêts, ne
recourant à l'Etat que lorsque ce recours est indispensable. Et la même
chose se vérifie dans les relations entre l'Etat et la société
internationale.
En conclusion, que ce soit par le dictamen de sa raison,
ou par son propre instinct, tout dans la nature de chaque homme demande
qu'il s'approprie des biens pour garantir sa subsistance et la rendre
aisée, honorable et tranquille. Et le désir de posséder des biens
propres et de les multiplier est le grand stimulant du travail et par
conséquent un facteur essentiel de l'abondance de la production.
Comme on le voit, l'institution de la propriété
privée, qui est le corollaire nécessaire de ce désir, ne peut être
considérée comme un simple fondement de privilèges personnels. Elle est
une condition indispensable et très efficace de la prospérité de tout
le corps social.
Le socialisme et le communisme affirment que l'individu
existe avant tout pour la société et doit produire directement non pour
son bien propre mais pour celui de tout le corps social.
Par là, le meilleur stimulant du travail cesse, la
production tombe forcément, l'indolence et la misère se généralisent
dans toute la société. Et l'unique moyen — évidemment insuffisant —
que le Pouvoir Public peut employer comme stimulant de la production c'est
la cravache...
Nous ne nions pas que, dans le régime de la
propriété privée, il ne puisse arriver — et il est arrivé
fréquemment — que les biens produits avec abondance circulent d'une
façon défectueuse dans les diverses parties du corps social,
s'accumulant ici et se raréfiant là. Ce fait encourage à faire tout ce
qu'il est possible en vue d'une distribution équitable de la richesse
dans les diverses classes sociales. Cependant, ce n'est pas là une raison
de renoncer à la propriété privée et à la richesse qu'elle fait
naître, ni de nous résigner au paupérisme socialiste.
2. Quand il s'agit d'un Etat incomplètement
collectiviste, les arguments contre la coexistence de l'Eglise et d'un
Etat complètement collectiviste sont sans valeur.
A en croire certaines nouvelles de la presse, quelques
gouvernements communistes manifestent le propos d'effectuer, « pari passu
» avec la concession d'une certaine liberté religieuse, un recul partiel
dans le socialisme, en admettant, en fait, si ce n'est en droit, à titre
provisoire, quelques formes de propriété privée. En ce cas, dira-t-on,
l'influence du régime sur les âmes serait moins funeste. La prédication
et l'enseignement catholiques ne pourraient-ils alors accepter de passer
sous silence, non le principe de la propriété privée proprement dit,
mais tout le développement qu'il possède dans la morale catholique?
On pourrait répondre à cela que ce ne sont pas
toujours les régimes les plus brutalement antinaturels — ou les erreurs
les plus flagrantes et les plus déclarées — qui réussissent à
déformer le plus profondément les âmes. L'erreur découverte ou
l'injustice brutale révoltent et provoquent l'horreur, tandis que les
demi-injustices bien plus facilement sont acceptées comme normales et les
demi-erreurs comme vérités, et les unes et les autres corrompent plus
rapidement les mentalités. Combattre l'arianisme a été bien plus facile
que de combattre le semi-arianisme; on peut dire autant du pélagianisme
et du semi-pélagianisme, du protestantisme et du jansénisme, de la
Révolution brutale et du libéralisme, du communisme et du socialisme
mitigé. En outre, la mission de l'Eglise ne consiste pas uniquement à
combattre les erreurs brutalement radicales et flagrantes, mais à
extirper de l'esprit des fidèles toute erreur, si insignifiante qu'elle
soit, pour faire briller aux yeux de tous la vérité intégrale et sans
tache, enseignée par Notre-Seigneur Jésus-Christ.
3. Le sens de la propriété est tellement enraciné
chez les campagnards de certaines régions d'Europe, qu'il peut se
transmettre de génération en génération, pour ainsi dire avec le lait
maternel, par le simple enseignement du catéchisme en famille. Par
conséquent, l'Eglise pourrait garder le silence sur le droit de
propriété pendant des dizaines d'années sans porter préjudice à la
formation morale des fidèles.
Nous ne nions pas que le sens de la propriété soit
vivace dans certaines régions d'Europe. Il est notoire que pour cette
raison les communistes ont été obligés de reculer dans leur politique
de confiscation et de restituer les terres à de petits propriétaires de
Pologne, par exemple.
Toutefois, ces reculs stratégiques, fréquents dans
l'histoire du communisme, ne constituent de la part de ses sectaires
qu'une attitude momentanée à laquelle ils se résignent parfois pour
vaincre plus complètement. Aussitôt que les circonstances le leur
permettent, ils reviennent à la charge avec une astuce et une énergie
redoublées.
Ce sera alors le moment du plus grand danger. Exposés
à l'action de la technique de propagande la plus astucieuse et la plus
raffinée, les campagnards devront subir, pendant un temps indéterminé,
l'offensive idéologique marxiste.
Qui ne tremble à voir en imagination la jeune
génération de l'une ou de l'autre région de la terre exposée à ce
risque? Admettre que le simple sens routinier et naturel de la propriété
personnelle constitue normalement une cuirasse de tout repos contre un si
grand péril, c'est avoir une grande confiance dans un facteur humain. En
réalité, sans l'action directe et surnaturelle de l'Eglise préparant
ses enfants longtemps d'avance et les assistant dans la lutte, il est peu
probable que des fidèles de n'importe quel pays et de n'importe quelle
condition sociale résistent à l'épreuve.
En outre, comme nous l'avons dit, il ne nous semble pas
licite, en tout cas, que l'Eglise suspende pendant des dizaines d'années
l'exercice de sa mission, qui consiste à enseigner dans son intégrité
la loi de Dieu.
4. La coexistence de l'Eglise et d'un Etat communiste
serait possible si tous les propriétaires renonçaient à leurs droits.
Dans l'hypothèse d'une tyrannie d'inspiration
communiste disposée à toutes les violences pour imposer le régime de la
communauté de biens, et de propriétaires qui persistent à affirmer
leurs droits contre l'Etat (qui ne les a pas créés et ne peut
valablement les supprimer), quelle serait la solution pour la tension qui
en résulterait?
Dès l'abord, on n'en voit pas d'autre que la lutte.
Non pas, toutefois, une lutte quelconque, mais une lutte à mort de tous
les catholiques fidèles au principe de la propriété privée, placés en
état de légitime défense contre l'extermination provoquée par un
Pouvoir tyrannique dont la brutalité bestiale peut en venir, devant un
refus de l'Eglise, à des extrêmes imprévisibles. Une révolte, une
révolution avec tous les épisodes atroces qui lui sont inhérents,
l'appauvrissement général et les incertitudes inévitables sur l'issue
de la tragédie.
Cela posé, on pourrait se demander si les
propriétaires ne seraient pas alors obligés en conscience de renoncer à
leur droit en faveur du bien commun, permettant ainsi l'établissement de
la communauté de biens sur une base moralement légitime, à partir de
laquelle le catholique pourrait accepter sans problèmes de conscience le
régime communiste.
Cet avis est inconsistant. Il confond l'institution de
la propriété privée, en tant que telle, avec le droit de propriété de
personnes concrètement existantes en un moment de l'histoire. Une fois
admise comme valide la renonciation de ces personnes à leur patrimoine,
imposée sous l'effet d'une menace brutale au bien commun, leurs droits
prendraient fin: de cela ne résulterait d'aucune manière l'élimination
de la propriété privée comme institution. Elle continuerait à exister,
pour ainsi dire, « in radice », dans l'ordre naturel même des choses,
comme immuablement indispensable au bien spirituel et matériel des hommes
et des nations et comme un impératif inébranlable de la Loi de Dieu.
Et, du fait qu'elle continuerait ainsi à exister « in
radice », elle serait à tout moment renaissante. Chaque fois, par
exemple, qu'un pêcheur ou un chasseur s'emparerait, sur mer ou dans l'air,
du nécessaire pour pourvoir à ses besoins et pour accumuler quelques
économies; chaque fois qu'un intellectuel ou un ouvrier produirait plus
que l'indispensable à sa subsistance quotidienne et en réserverait pour
lui le surplus, de petites propriétés privées, nées des profondeurs de
l'ordre naturel des choses, se seraient reconstituées. Et comme il est
naturel, ces propriétés tendraient à croître... Pour éviter une fois
encore la révolution anticommuniste, il serait nécessaire de renouveler
à chaque instant les renonciations, ce qui, évidemment, mène à
l'absurde.
En outre, dans de nombreux cas, l'individu ne pourrait
faire une telle renonciation sans pécher contre la charité envers
soi-même. Et cette renonciation fréquemment heurterait les droits d'une
autre institution qui a une profonde affinité avec la propriété, et est
encore plus sacrée que cette dernière, à savoir, la famille. En effet,
nombreux seraient les cas où un membre d'une famille ne pourrait faire
telle renonciation sans manquer à la justice ou à la charité envers les
siens.
• LA PROPRIÉTÉ PRIVÉE ET LA PRATIQUE DE LA
JUSTICE: Nous avons différé pour le faire ici, après la description
et la justification de cette renaissance continuelle du droit de
propriété, l'exposé d'une considération qui sans cela n'aurait pas pu
être faite avec la clarté nécessaire.
Il s'agit de la vertu de justice dans ses relations
avec la propriété privée. Dans le chapitre VI, n. 2, lettre « b » de
cette étude, nous avons parlé du rôle de la propriété dans la
connaissance et l'amour de la vertu de justice.
Considérons maintenant le rôle de la propriété dans
la pratique de la justice.
Etant donné qu'à tout moment des droits de
propriété naissent dans les pays communistes comme ailleurs, l'Etat
collectiviste qui confisque les biens des particuliers est en saine morale
dans la condition de voleur. Et ceux qui reçoivent de l'Etat des biens
confisqués sont en principe, vis-à-vis du propriétaire spolié, comme
des gens qui s'enrichissent de biens volés.
N'importe quel moraliste prévoit facilement à partir
de là l'immense séquelle de difficultés que la collectivité des biens
entraînera pour la pratique de la vertu de justice. Ces difficultés
seront telles que, surtout dans des Etats policés, elles exigeront avec
fréquence, peut-être à tout moment, des actes héroïques de la part de
chaque catholique. Ce qui est une preuve de plus de l'impossibilité de la
coexistence entre l'Eglise et l'Etat communiste.
5. Le communisme si antinaturel aura nécessairement
une existence éphémère. Ainsi, l'Eglise pourrait accepter un « modus
vivendi » avec lui, pour un certain temps seulement, jusqu'à ce qu'il
s'effondre ou tout au moins qu'il s'atténue.
A cela, diverses réponses pourraient être faites:
a) Ce caractère « éphémère » est pour le moins
très relatif. Il y a presque un demi-siècle que le communisme domine la
Russie. Si ce n'est Dieu, qui connaît l'avenir, qui peut dire avec
certitude le moment de sa chute?
b) Du fait même qu'il s'atténuerait, ce régime se
prolongerait puisqu'il deviendrait moins antinaturel. Cette atténuation
ne serait donc pas une marche vers la chute, mais un facteur de
stabilisation.
c) Il y a des régimes profondément contraires à des
exigences fondamentales de la nature humaine, mais qui d'eux-mêmes durent
indéfiniment. Ainsi la barbarie de certains peuples aborigènes de
l'Amérique ou de l'Afrique, qui s'est prolongée pendant des siècles et
se prolongerait encore grâce à sa vitalité intrinsèque, si des
facteurs externes n'étaient en train de l'éliminer. Et même ainsi, avec
quelle difficulté cette substitution d'un ordre antinaturel par un ordre
plus naturel ne se poursuit-elle pas!
6. A première vue, on dirait que certains gestes de «
détente » du regretté Pape Jean XXIII à l'égard de la Russie
soviétique sont de nature à orienter l'esprit dans un sens différent de
celui des conclusions de ce travail.
C'est bien le contraire qu'il faut croire.
Les gestes mentionnés de Jean XXIII se situent
uniquement sur le plan des relations internationales.
Quant au plan sur lequel se place cette étude, le
Pontife lui-même, réaffirmant dans l'Encyclique « Mater et Magistra »
les condamnations fulminées par ses Prédécesseurs contre le communisme,
a clairement montré qu'il ne peut y avoir de démobilisation des
catholiques en face de cette erreur que les documents pontificaux
répudient avec une extrême vigueur.
Et dans le même sens, de la part du Pape Paul VI
glorieusement régnant, il faut citer, parmi d'autres, cette déclaration
expressive: « Que l'on n'aille pas croire non plus que cette
sollicitude pastorale, dont aujourd'hui l'Eglise se fait un programme
primordial, qui absorbe son attention et engage ses soins, signifie une
modification du jugement porté sur les erreurs répandues dans notre
société et déjà condamnées par l'Eglise, comme le marxisme athée,
par exemple. Chercher à appliquer des remèdes salutaires et urgents à
une maladie contagieuse et mortelle ne signifie pas changer d'opinion au
sujet de cette maladie, mais signifie, bien plutôt, essayer de la
combattre non seulement en théorie mais pratiquement,- cela signifie que
l'on veut, après le diagnostic, appliquer une thérapeutique;
c'est-à-dire, après la condamnation doctrinale, appliquer la charité
salutaire » (Allocution du 6 septembre 1963, aux participants à la
XIIIe Semaine Italienne d'Adaptation Pastorale, d'Orvieto — AAS, vol. LV,
p. 762).
C'est une position analogue qu'a adoptée à diverses
reprises pendant le présent pontificat « L'Osservatore Romano », organe
officieux du Vatican. On lit par exemple dans le numéro du 20 mars 1964
de son édition en langue française: « En dehors de toutes les
distinctions plus ou moins fictives, il est certain qu'aucun catholique,
directement ou indirectement, ne peut collaborer avec les communistes, car
à l'incompatibilité idéologique entre religion et matérialisme (dialectique
et historique) correspond une incompatibilité de méthode et de fins,
incompatibilité pratique, c'est-à-dire morale » (article « Le
rapport Ilïtchev » de F. A.). Et dans un autre article du même numéro:
« Pour que le catholicisme et le communisme fussent conciliables, il
faudrait que le communisme cessât d'être le communisme. Or, même dans
les aspects multiples de sa dialectique, le communisme ne désarme pas en
ce qui concerne ses buts politiques et son intransigeance doctrinale.
C'est ainsi que la conception matérialiste de l'histoire, la négation de
droits de la personne, l'abolition de la liberté, le despotisme de l'Etat
et même l'expérience économique plutôt malheureuse, opposent le
communisme à la conception spiritualiste et personnaliste de la société
telle qu'elle dérive de la doctrine sociale du catholicisme (...) » (article
« A propos de solution de remplacement »).
Dans le même sens encore, il faut mentionner la Lettre
Collective du vénérable Episcopat Italien contre le communisme athée,
datée du 1er novembre 1963.
D'ailleurs, du côté communiste, aussi, les
affirmations de l'impossibilité d'une trêve idéologique ou d'une
coexistence pacifique de l'Eglise et du communisme n'ont pas manqué: «
Ceux qui proposent l'idée de la coexistence pacifique en matière
d'idéologie, glissent en fait vers la position anti-communiste » (Krouchtchev,
cf. télégramme du 11-3-1963 de la AFP et ANSA, in « O Estado de Sao
Paulo » du 12-3-1963). « J'ai l'impression que jamais et dans aucun
domaine, (...) on n'arrivera à une coexistence du communisme avec
d'autres idéologies et par conséquent avec la religion » (Adjubei,
cf. télégramme du 15-3-1963 de la ANSA, UPI et DPA, in « O Estado de
Sao Paulo » du 16-3-1963). « Il n'y a pas de conciliation possible
entre le catholicisme et le marxisme » (Palmiro Togliatti, cf.
télégramme du 21-3-1963 de la AFP, in « O Estado de Sao Paulo » du
22-3-1963). « Une coexistence pacifique des idées communiste et
bourgeoise constitue une trahison vis-à-vis de la classe ouvrière (...).
Il n'y a jamais eu de coexistence pacifique des idéologies; il n'y en a
jamais eu et il n'y en aura jamais » (Leonid llïtchev, secrétaire
du Comité Central et président de la Commission Idéologique du PCUS,
cf. télégramme du 18-6-1963 de la AFP, ANSA, AP, DPA et UPI, in « O
Estado de Sao Paulo » du 19-6-1963). « Les soviétiques repoussent
l'accusation selon laquelle Moscou applique aussi le principe de la
coexistence à la lutte des classes et disent qu'ils ne l'admettent pas
non plus dans le domaine idéologique » (lettre ouverte du Comité
Central du PCUS, cf. télégramme des agences citées, du 15-7-1963, in «
O Estado de Sao Paulo » du 17-7-1963).
Dans ces conditions, il est bien évident que l'Eglise
militante n'a pas renoncé et ne pourrait pas renoncer à la liberté
essentielle pour lutter contre son terrible adversaire.
7. La coexistence pourrait être acceptée en régime
de « pia fraus », c'est-à-dire que si l'Eglise veut accepter la
coexistence avec un régime communiste, Elle pourra le faire avec
l'arrière-pensée de frauder autant que possible le pacte qu'Elle
établira avec lui.
L'hypothèse d'un pacte explicite étant considérée,
il faut répondre qu'il n'est permis à personne de prendre l'engagement
de faire quelque chose d'illicite. Donc, si l'acceptation des conditions
ci-dessus mentionnées est illicite, le pacte où elles figurent ne peut
être conclu.
Quant à l'hypothèse d'un pacte implicite, il convient
de dire pour n'en considérer qu'un aspect — qu'il y a de l'ingénuité
à s'imaginer que les autorités communistes toujours servies par une
police forte et par les puissantes ressources de la technique moderne, ne
seraient pas aussitôt au courant des violations systématiques d'un tel
pacte.
CHAPITRE VIII
FRUITS DE L'ACCORD: CATHOLIQUES DE FAÇADE
Pour le communisme, un pacte aux conditions que nous
avons énoncées plus haut dans le chapitre V, apporterait des avantages
immenses s'il était accompli exactement. En effet, il se formerait de
nouvelles générations de catholiques mal préparés, tièdes, récitant
peut-être le Credo du bout des lèvres, mais ayant l'esprit et le coeur
imbibés de toutes les erreurs du communisme. En somme, des catholiques
d'apparence et de surface, communistes dans les couches les plus profondes
et les plus authentiques de leur mentalité. A la deuxième ou à la
troisième génération formée dans une telle coexistence, qu'y aurait-il
encore de catholique chez les peuples?
A ce sujet, qu'il nous soit permis de faire une
observation qui confirme ces assertions. Elle se rapporte aux risques
pastoraux et pratiques très graves qui découlent parfois de
l'acceptation inévitable de l'hypothèse, même si l'on reste
fidèle à la thèse.
Jouissant d'une liberté entière dans le régime
laïque actuel, né de la Révolution française, l'Eglise a vu
s'échapper de son giron des millions et des millions d'hommes. Comme le
dit Son Excellence Mgr Angelo Dell'Acqua, Substitut de la Secrétairerie
d'Etat, « en conséquence de l'agnosticisme religieux des Etats »
s'est « émoussé ou presque perdu dans la société moderne le sens
de l'Eglise » (Lettre à Son Eminence le Cardinal Carlos Carmelo de
Vasconcellos Motta, alors Archevêque de Sao Paulo, à propos de la
Journée Nationale d'Actions de Grâces de 1956). Quelle est la raison
profonde de ce fait? Les institutions publiques, comme nous l'avons dit
plus haut (cf. chapitre VI, n. 1), exercent sur la plupart des hommes une
influence profonde. Ils les prennent habituellement, et même sans s'en
rendre compte, comme modèle et source d'inspiration pour toute leur
manière de penser, d'être, et d'agir. Et le laïcisme, du fait qu'il a
été adopté par les Etats, a faussé entièrement un immense nombre
d'âmes. Cela ne serait certainement pas arrivé si les catholiques
avaient mis beaucoup plus de zèle à profiter de l'entière liberté de
parole et d'action dont ils jouissent sous le régime libéral, pour
répandre et faire prévaloir tous les enseignements de l'Eglise contre
l'Etat laïque. Mais ils n'ont pas mis cette liberté à profit dans toute
la mesure nécessaire parce que, vivant le plus souvent dans une
atmosphère laïcisée, ils ont perdu la notion vive du terrible mal
qu'est le laïcisme. Ils ont continué à affirmer, l'une ou l'autre fois
et du bout des lèvres, la thèse antilaïque, mais ils ont fini
par trouver normale l'hypothèse.
Or, sous un régime communiste, où les erreurs sont
inculquées par l'Etat avec une insistance bien plus grande que sous un
régime laïco-libéral, ou bien les âmes se laissent entraîner en bien
plus grand nombre encore ou bien on agit contre ces erreurs beaucoup plus
fortement que l'on n'a agi contre le laïcisme depuis la Révolution
française jusqu'à nos jours.
Celui qui oserait s'imaginer que cela serait toléré
par n'importe quel régime communiste, n'aurait pas la moindre idée de ce
qu'est le communisme.
CHAPITRE IX
CONCLUSION PRATIQUE
Pour annuler les avantages que, dans l'Occident, le
communisme obtient déjà grâce à ses marques d'une certaine détente
sur le terrain religieux et social, il est important et urgent d'éclairer
l'opinion publique sur le caractère intrinsèquement et nécessairement
frauduleux de la « liberté » qu'il concède à la religion, et sur
l'impossibilité de la coexistence pacifique d'un régime communiste —
même modéré — et de l'Eglise catholique.
CHAPITRE X
OÙ SE TROUVE LE VRAI PERIL D'UNE HECATOMBE
Arrivés à la fin de la présente étude, plus d'un
lecteur se demandera: comment donc éviter l'hécatombe nucléaire? Il est
bien clair que, si les catholiques maintiennent le principe de la
propriété privée, les puissances communistes, désespérant d'imposer
leur système au monde par voie pacifique, recourront à la guerre. Devant
cela, que l'on dise ce que l'on veut du point de vue doctrinal, ne
sera-t-il pas préférable de céder?
Nous aurions envie de répondre: pourquoi doutez-vous,
hommes de peu de foi? (cf. Matth. 8, 26).
Les guerres ont comme principales causes les péchés
des nations. Celles-ci — dit Saint Augustin — ne pouvant être
récompensées ni châtiées dans l'autre vie, reçoivent ici-bas même la
récompense de leurs bonnes actions et la punition de leurs crimes.
Aussi, si nous voulons éviter les guerres et les
hécatombes, combattons-les dans leurs causes. La corruption des idées et
des moeurs, l'impiété officielle des Etats laïques, l'opposition
toujours plus fréquente entre les lois positives et la Loi de Dieu,
voilà ce qui nous expose à la colère et au châtiment du Créateur et
nous conduit, plus que toute autre chose, à la guerre.
Si, pour l'éviter, les nations d'Occident commettaient
un péché plus grand que les péchés actuels, comme celui d'accepter
l'existence sous le joug communiste dans des conditions que la morale
catholique réprouve, elles défieraient de cette manière la colère de
Dieu et appelleraient sur elles-mêmes les effets de son courroux.
Elles le feraient d'autant plus sûrement que la
concession accordée aujourd'hui au sujet de l'abolition de la propriété
privée devrait être répétée demain en ce qui regarde l'abolition de
la famille et ainsi de suite. En effet, c'est ainsi que procède avec une
inexorable intransigeance la tactique des impositions successives
inhérente à l'esprit du communisme international. De cette manière,
dans quelle infamie, dans quel abîme, dans quelle apostasie ne
roulerons-nous pas?
L'existence humaine, sans les institutions nécessaires
comme la propriété et la famille, ne vaut pas la peine d'être vécue.
Sacrifier l'une ou l'autre pour éviter la catastrophe n'équivaut-il pas
à « propter vitam vivendi perdere causas »? Pourquoi vivre dans un
monde transformé en un immense logement d'esclaves réduits à une
promiscuité animale?
En face de l'option dramatique de l'heure présente,
que cet article cherche à mettre en évidence, ne raisonnons pas comme
des athées qui pèsent le pour et le contre comme si Dieu n'existait pas.
A cette heure, un acte suprême et héroïque de
fidélité pourrait effacer aux yeux de Dieu une multitude de péchés, en
L'inclinant à écarter le cataclysme qui s'approche.
Un acte d'héroïque fidélité..., un acte d'entière
et héroïque confiance dans le Coeur de Celui qui a dit:
« Recevez mes leçons, car je suis doux et humble de Cœur,
et vous trouverez le repos de vos âmes » (Matth. 11, 29).
Oui, ayons confiance en Dieu. Ayons confiance en Sa
miséricorde dont le canal est le Coeur Immaculé de Marie.
Ce que la Mère de Miséricorde a dit au monde dans le
message de Fatima, c'est que l'oraison, la pénitence, l'amendement de la
vie écartent les guerres. Et non les concessions en vue d'avantages
immédiats, imprévoyantes et craintives.
Que Notre Dame de Fatima obtienne pour nous tous, pour
nous qui avons le devoir de lutter, le courage de nous écrier: « non
possumus » (Act. 4, 20) en face des insidieuses suggestions du
communisme international
.