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Plinio Corrêa de Oliveira
Noblesse et élites traditionnelles analogues dans les allocutions de Pie XII au Patriciat et à la Noblesse romaine |
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Pour faciliter la lecture, les références aux allocutions pontificales ont été simplifiées: est désigné d'abord le sigle correspondant (voir ci-dessous), puis l'année où l'allocution a été prononcée. PNR = Allocution au Patriciat et à la Noblesse romaine GNP = Allocution à la Garde noble pontificale Certains extraits des documents cités ont été soulignés en caractères gras par l'auteur. Titre original: Nobreza e elites tradicionais análogas nas Alocuções de Pio XII ao Patriciado e à Nobreza Romana (Editora Civilização, Lisboa, 1993). Traduit du portugais par Catherine Goyard 1ère édition française: Editions Albatros, 1993. Cet ouvrage a aussi été publié en italien (Marzorati Editore, Milan), en espagnol (Editorial Fernando III, Madrid) et en anglais (Hamilton Press, Lanham MD, USA). APPENDICE IVL'aristocratie selon la pensée d'un cardinal du XXe siècle, controversé mais peu suspectL'ample et érudit recueil de sermons Verbum Vitae - La Palabra de Cristo composé sous la direction de Mgr Angel Herrera Oria, alors évêque de Malaga (1), présente dans son troisième volume un schéma d'orientation pour homélies contenant certains points de la doctrine de l'Eglise sur l'aristocratie (2). Voilà maintenant des extraits de ce schéma d'homélies accompagnés de quelques commentaires (3). (1) Mgr Angel Herrera Oria fut une des figures marquantes de l'Eglise du XXe siècle en Espagne. Il est né à Santander en 1886. En 1909, encore laïc, il fonda, avec le P. Angel Ayala S.J., l'Asociación Católica Nacional de Propagandistas. En 1911, il lança le quotidien El Debate et en fut directeur jusqu'en 1933, année où il fut nommé président de la Junta Central de Acción Católica. Son action marqua des mouvements comme Pax Romana et Acción Nacional. En 1936, il se rendit en Suisse pour faire des études ecclésiastiques, et fut ordonné prêtre en 1940. Il rentra en Espagne en 1943. Sacré évêque en 1947, il fut chargé du diocèse de Malaga. C'est en tant qu'évêque de ce diocèse qu'il dirigea l'élaboration de l'oeuvre importante à laquelle nous nous référons. Il resta à la tête de ce même diocèse jusqu'à sa démission en 1966 pour des raisons d'âge. En 1965 il avait été nommé cardinal par Paul VI. Il mourut en 1968 (cf. Diccionario de Historia Eclesiástica de España, Ed. Enrique Florez, (C.S.I.C.), Madrid, 1972, article HERRERA ORIA, ANGEL). Comme penseur, écrivain et homme d'action, la figure de Mgr Angel Herrera Oria a été l'objet de vives controverses. Ses admirateurs les plus ardents se situaient en général au centre ou à gauche, alors que ses opposants, non moins vibrants, appartenaient habituellement à la droite. Il n'y a pas lieu de se prononcer ici sur ces multiples controverses. Il convient seulement de souligner que ce texte sur l'aristocratie a reçu l'approbation sans restriction — peut-être même la collaboration — d'un haut prélat qu'on ne peut nullement soupçonner de partialité en faveur de l'institution nobiliaire. Dans le prologue, Mgr Angel Herrera Oria donne les précisions suivantes à propos de sa participation à l'élaboration de ce recueil d'homélies:
Plus loin il revient sur ce point:
(2) Verbum Vitae — La Palabra de Cristo — Repertorio orgánico de textos para el estudio de las homilias dominicales y festivas, élaboré par une commission d'auteurs sous la direction de Mgr Angel HERRERA ORIA, évêque de Malaga, 10 vol., B.A.C., Madrid, 1953-59, vol. III, p.720-724. (3) L'auteur prévient que, pour faciliter l'exposition, deux petits changements — des interversions — ont été effectués par rapport au schéma original dans la numérotation des différents passages. Cela ne nuit nullement à la pensée des auteurs du schéma et permet à celui-ci de garder toute sa fluidité et sa richesse d'expression. La première interversion concerne les passages «aristocratie dans la famille» et «aristocratie politique»; la seconde, les passages «mission sociale moderne de l'aristocratie» et «nouvelle aristocratie». L'aristocratie est d'abord caractérisée par rapport à la société et non par rapport à l'Etat:
Le schéma ajoute ensuite:
1. Sens philosophiqueEtymologiquement, «les aristocrates sont les meilleurs». Ce mot «aristocrate» «renferme l'idée de perfection, l'idée de vertu». En effet, «l'aristocratie a des habitudes vertueuses». Il s'agit ici d'habitudes «d'intelligence et de volonté» par lesquelles «s'illustre l'aristocratie». «Individuellement, l'aristocrate-type engendré par la philosophie antique est le sage. «La perfection morale et l'amour du peuple» sont les vertus fondamentales de l'aristocratie. 2. Sens théologique
3. Le droit public chrétien
Léon XIII enseigne dans Rerum Novarum que les «biens se possèdent en propre et s'administrent comme s'ils étaient communs. Ce qui veut dire qu'à partir du moment où le propriétaire ace qui lui est nécessaire et que l'honorabilité et la perfection ont reçu ce qui leur revient", il convient de donner le reste en aumône. On parle souvent de la nécessité et de l'honorabilité, et on oublie que la perfection est un devoir». Le schéma passe alors à des considérations que l'ambiance égalitaire actuelle enfouit malheureusement dans un oubli complet.
Ces enseignements montrent clairement que le zèle apporté par les aristocraties à améliorer constamment à travers les générations la qualité de leurs habitations, mobiliers, vêtements, véhicules, de même que de leur maintien personnel et de leurs manières est un aspect essentiel de cette marche vers une perfection globale, aussi bien pour la gloire de Dieu que pour le bien commun de la société temporelle. Cela ne dispense pas le parfait aristocrate catholique d'appliquer toute sa sollicitude à promouvoir le bien commun par une attention empressée envers les droits des classes démunies. De tels aristocrates représentent bien «les meilleurs», qualifiés un peu plus haut d'«éléments nécessaires dans une société bien constituée». 4. L'aristocratie socialeLe schéma ne traite plus alors de l'aristocrate en tant qu'individu, mais de la famille aristocratique.
L'esquisse d'homélies établit que le tissu familial permet tout particulièrement à l'aristocratie d'être à la fois source et impulsion de cet élan vers le haut. Car, dans n'importe quelle classe sociale, c'est au sein des familles que se constitue la tradition propre à chacune d'elles. Les parents, et d'une manière générale les plus anciens, trouvent avant tout dans la convivialité familiale les conditions psychologiques ainsi que les mille occasions propices pour communiquer leurs convictions et le fruit de leur expérience aux plus jeunes. L'élan vers la perfection s'obtient alors dans la meilleure des conjonctures. Cette action concerne de façon capitale non seulement le bien individuel des membres de la famille et celui de la famille considérée comme un tout, mais aussi le bien commun de la société. La société représente en effet une entité collective plus durable que la famille, celle-ci étant à son tour plus durable que les individus qui la composent au long des générations. Et plus une entité dure longtemps, plus elle bénéficie de l'élan apporté par l'aristocratie, dans la mesure où cet élan est théoriquement amené à perdurer autant que la société elle-même. Il revient à la tradition de garantir la durée, les directions à suivre et les caractéristiques de cet élan. Le schéma continue:
De ces principes, exprimés avec tant de clarté, se déduit la justification d'un des aspects de l'aristocratie les plus incompris actuellement: l'hérédité. Nombreux sont ceux qui admettent l'attribution d'un titre de noblesse comme juste pour l'accomplissement d'actions difficiles, révélant des qualités personnelles remarquables, surtout si ces actions, en plus de servir d'exemple, entraînent d'importants effets pour le bien commun. Mais, ajoutent-ils, la transmission de ce titre à la descendance de celui qui l'a mérité ne se justifie pas. Les grands hommes ont souvent des enfants ordinaires, indignes des récompenses reçues par ceux qui les ont précédés. Si ce raisonnement était appliqué, il empêcherait la formation de familles nobles car il fait table rase de leur mission de propulsion pour le perfectionnement continu de tout le corps social. Or cet élan est un facteur indispensable à la marche régulière et ascensionnelle d'une société comme d'un pays vers toutes les formes de perfection que les individus désirent lorqu ' ils aiment Dieu, la Perfection elle-même. Autrement dit, s'il est équitable d'honorer et de récompenser les grands hommes, il est injuste — cela ne correspondrait pas à la réalité des faits — de nier la mission de ces grandes lignées dans l'élan donné aux pays en progression:
De pareils concepts se font de plus en plus rares dans la littérature catholique sur l'aristocratie. Ils n'ont pourtant jamais été démentis par le magistère de l'Eglise et ne peuvent donc être tenus à l'écart par un ouvrage analysant l'aristocratie dans le contexte particulier de la civilisation chrétienne, civilisation qui a modelé tous les pays d'Occident. 5. L'aristocratie dans la familleToujours à propos des relations entre aristocratie et famille, le schéma aborde un aspect délicat et éminent de la vie d'une classe aristocratique.
(4) Ce texte provient de l’un des vingt schémas du recueil d’homélies portant sur la scène de la multiplication des pains, dans l’Evangile (Jean 6, 1-15).
La comparaison entre la mission de l'aristocratie dans l'Etat comme dans la nation et celle de la femme — épouse et mère — dans le foyer, est un peu surprenante pour le lecteur moderne. Les rares ouvrages sur l'aristocratie, diffusés aujourd'hui dans le grand public, l'ont habitué à juste titre à voir en elle la classe militaire par excellence, ce qui semble peu en accord avec la mission d'épouse et de mère de famille. Cette comparaison est pourtant d'une précieuse sagesse. Pour l'apprécier à sa juste valeur, il faut tenir compte du fait que la guerre est normalement livrée à un étranger. Or saint Thomas parle ici de la mission de l'aristocratie dans la vie interne et normale d'un pays en temps de paix, et non du glaive qui doit le défendre contre un ennemi externe. Chaque famille aristocratique réunissait autour d'elle, de manière inhérente, d'autres familles ou individus d'un niveau social inférieur qui lui étaient attachés pour toutes sortes de raisons (travail, voisinage, etc.). Dans les villes de la société médiévale et en partie dans celles de l'Ancien Régime, les palais, les hôtels particuliers cotoyaient des logements simples mais confortables, ainsi que des habitations populaires plus humbles. Ce voisinage des grands avec les petits répétait à sa façon l'atmosphère familiale du foyer. Et chaque famille aristocratique avait ainsi autour d'elle un halo, brillant discrètement d'affection et de dévouement. Les relations de travail, quant à elles, cherchaient toujours, par pure charité chrétienne, à dépasser le simple contact professionnel et à établir des liens personnels. Dans les longues heures passées ensemble, le noble inspirait et orientait son inférieur, et celui-ci influençait aussi le noble à sa façon: il lui faisait part de ses aspirations et de ses divertissements, de son comportement à l'église, dans sa corporation ou son foyer, ainsi que des circonstances concrètes de la vie populaire et des besoins des démunis. Tout cela constituait un échange entre grand et petit qu'après 1789 l'Etat s'est appliqué à remplacer autant que possible par la bureaucratie: par des services de statistiques et d'information, et par ceux, toujours très actifs, des renseignements de police. C'est à travers ces bureaucraties que l'Etat anonyme, au moyen de serviteurs anonymes (sans oublier les grandes sociétés macro-publicitaires tout aussi anonymes) inspire, stimule et dirige le pays. En sens inverse, celui-ci s'adresse à l'Etat à travers la bouche anonyme des urnes électorales: anonyme jusqu'au dernier raffinement de l'anonymat, puisque le vote est secret et que l'Etat ne peut même pas savoir qui a voté blanc ou noir. Cet ensemble d'anonymats écarte toute chaleur humaine dans les relations à l'intérieur de l'Etat moderne. Bien différente était la nature des pays dotés d'une aristocratie en bonne et due forme. Là, comme on l'a vu plus haut, les rapports étaient les plus personnels possibles. Et l'influence du plus grand sur le plus petit comme, à sa manière, du plus petit sur le plus grand, était imprégnée de part et d'autre d'affection chrétienne: affection qui apportait dévouement et confiance mutuels. Cela constituait même une société de fait des domestiques avec les maîtres, une chose semblable au cytoplasme autour du noyau. Pour avoir une notion exacte de ce genre de relations, il suffit de lire ce que disent les vrais moralistes catholiques de la société seigneuriale. Dans la corporation, la relation maître-compagnon-apprenti reproduisait en grande mesure l'onction qui marquait l'atmosphère aimable de la famille, et ainsi de suite. Ce contact vivant ne concernait pas seulement ceux que la législation moderne du travail appelle froidement, sèchement et fonctionnellement, «employeurs et employés». A travers leurs domestiques et les personnes de métier auxquelles ils s'adressaient, les membres éminents de la société — nobles ou bourgeois — finissaient par connaître les familles de leurs subordonnés, de même que ceux-ci connaissaient les leurs. Conformément à la spontanéité organique inhérente aux bons rapports sociaux, ces relations ne s'établissaient pas seulement entre individus mais, avec plus ou moins d'intensité, entre familles: relations de sympathie, de bienveillance et d'aide se penchant vers l'inférieur, de gratitude, d'affection et d' admiration montant vers le supérieur. Le bien tend de lui même à se diffuser. Et quoique la misère isole et cache celui sur lequel elle s'abat, le grand finissait, grâce à la capillarité de ce système, par découvrir les misères les plus dissimulées. Par les mains délicates de sa femme et de ses filles, il pouvait — le plus souvent — remédier à tant de douleurs qui, sinon, seraient restées sans secours. Mais dans cette vallée de larmes, le grand avait aussi ses heures amères. Parfois ses ennemis l'entouraient, le menaçaient, l'agressaient, soit physiquement soit politiquement. Et la plus ferme muraille de cette grandeur qui chancelait subitement était formée par le dévouement d'innombrables personnes qui se dressaient de façon désintéressée pour le protéger, parfois même en risquant leur vie. Il est superflu de répéter, pour la vie rurale, tout ce qui vient d'être dit à propos de la vie citadine: celle-là favorisait particulièrement l'atmosphère et les relations qui viennent d'être décrites. Ainsi en était-il de la vie du fief. Quand la féodalité disparut et que les anciennes relations entre seigneur et vassal perdirent leur portée politique pour ne conserver leur façon d'être que dans le milieu du travail, la vie à la campagne continua de même. Elle continue encore parfois, dans telle ou telle région, de tel ou tel pays, même en cette dernière décennie fuligineuse de notre millénaire. Dans un Etat monarchique tel que saint Thomas l'envisage, c'est-à-dire avec des éléments aristocratiques et démocratiques, l'aristocratie participe au pouvoir royal comme, à l'intérieur du foyer, l'épouse à celui de son mari. A elle en effet appartient, par une action modératrice propre à l'instinct maternel, de faire connaître au père — dans le cas concret, au roi — tel ou tel besoin des enfants, c'est-à-dire les pauvres, les petits, les démunis qui se trouvent sous l'influence bienfaisante d'une maison noble. A elle de toucher le coeur du père et d'obtenir ainsi le remède correspondant. En sens inverse, tout comme revient à la mère d'ouvrir le coeur des enfants aux différents ordres du père, il incombe à la noblesse d'entraîner les corps intermédiaires subordonnés à l'acceptation filiale des décrets du roi. 6. L'aristocratie politiqueCe qui a été exposé jusqu'ici se rapportait à l'aristocratie en tant que classe sociale considérée en elle-même. Il faut maintenant envisager sa mission dans la vie politique et sociale du pays. Ceux qui pourraient trouver ces enseignements excessivement conservateurs ou même réactionnaires auront peut-être une surprise agréable en découvrant les termes utilisés par le schéma d'homélies pour traiter de l'aristocratie politique:
Après avoir fait référence au gouvernement «appelé mixte, auquel participent à la fois la monarchie, l'aristocratie et le peuple», comme étant «le meilleur gouvernement selon la philosophie catholique», le schéma continue:
7. Mission sociale moderne de l'aristocratieLe schéma énumère ensuite quelques caractéristiques que doit posséder l'aristocratie moderne:
Cette énumération n'est pas exhaustive. Elle semble avoir été faite dans le désir d'éviter que l'aristocratie soit accusée, comme elle l'est trop souvent, d'être une classe minoritaire monopolisant les avantages au détriment du peuple. Le schéma signale en effet tout au début la tendance de l'aristocratie à la perfection en toute chose, par amour envers la Perfection absolue qui est Dieu. Cette propension fait d'elle une puissante force qui entraîne le prochain vers toutes les formes de perfection (perfections avant tout de vertu, mais aussi perfections du talent, du bon goût, de la culture, de l'instruction... et de la technique); elle s'exerce même au moyen du decorum de la vie par l'art, le mobilier, l'habitation, la décoration, etc. Tout doit se diffuser à travers le corps social entier, élevant celui-ci au fur et à mesure que l'aristocratie s'élève elle-même en tant qu'aristocratie. Cet élan vers le haut se produit de façon adéquate grâce à l'aristocratie ainsi décrite — il faut le relever — si ses membres sont effectivement les «meilleurs» dont la présence au pouvoir comme dirigeants de la nation constitue l'aristocratie en tant que forme de gouvernement. Ces considérations montrent combien la forme de gouvernement dépend des conditions du corps social, en particulier ses conditions religieuses et morales, mais également des autres. 8. La nouvelle aristocratieLe schéma traite aussi de ce qu'il appelle «nouvelle aristocratie». A ce propos, une métaphore décrirait avec une précision presque totale la rénovation nécessaire mais prudente des aristocraties: la substitution de l'eau dans certaines piscines contemporaines. L'eau s'y renouvelle sans cesse, mais de façon si graduelle que ce changement passe inaperçu ou presque aux yeux de ceux qui cherchent à l'observer. C'est donc une rénovation authentique dans laquelle, cependant, la masse d'eau s'écoule avec peu de rapidité, et encore moins de précipitation torrentielle, impétueuse, révolutionnaire pourrait-on dire. «Avec une précision presque totale», est-il écrit plus haut: donc, impropre en quelque chose. Car le renouvellement de la piscine, aussi lent soit-il, vise à l'écoulement de toute la masse d'eau. Or ce n'est pas précisément l'effet souhaitable pour la rénovation de la noblesse. Au contraire, plus est lente sa rénovation, mieux c'est. La noblesse, par sa nature même, est en effet si liée à la tradition que l'idéal serait que le plus grand nombre de familles nobles se maintiennent indéfiniment dans les siècles des siècles. A condition, bien sûr, que cette conservation ne se fasse pas au bénéfice d'éléments sclérosés, morts, momifiés et donc incapables de participer valablement au cours ininterrompu de l'histoire. Cette métaphore correspond à tout ce qui a été dit sur ce sujet dans cet ouvrage (5) et se trouve en entière conformité avec les termes du cardinal Angel Herrera Oria. (5) Cf. Chapitre VII.
Une question se pose alors: lorsqu'une aristocratie décline et que ses membres ne sont plus les «meilleurs» mais les pires, que doit-on faire? Il faudrait créer de nouvelles classes aristocratiques, sans négliger toutefois aucun effort pour réhabiliter l'ancienne aristocratie. Mais si celle-ci refuse de se redresser, il convient de l'abandonner. Dans ce cas, le corps social doit concevoir une autre solution. Il le fera en recherchant, souvent d'une façon instinctive et selon les coutumes, le soutien de ses éléments sains. «D'une façon instinctive» est-il dit, parce qu'en de si graves circonstances, le bon sens et les qualités du peuple réussissent habituellement mieux que les plans, parfois brillants et séducteurs, de rêveurs ou de bureaucrates, bâtisseurs de «paradis» et d'«utopies». Ne tenant pas compte de la réalité, ceux-ci n'engendrent en général qu'échecs et déceptions. Et s'il n'existe plus de «meilleurs» dans l'aristocratie, si dans le peuple personne ne veut assumer, en vertu du principe de subsidiarité, la mission d'entraîner la société vers le haut et si le clergé lui-même présente une carence analogue, un problème se pose: quelle forme de gouvernement pourra faire éviter la ruine à cette société, à ce pays? Afin de résoudre cette question, il ne manquerait pas de gens pour imaginer des solutions politiques par lesquelles un gouvernement d'hommes supposés honnêtes réussirait à résoudre, mécaniquement et de l'extérieur, la grande difficulté posée par ce corps social en mauvais état. Cependant, quand le corps social tout entier est en mauvais état, le problème est purement et simplement insoluble. La situation se révèle désespérée. Plus on essaye d'y remédier, plus elle s'enchevêtre dans ses propres complications et accélère sa fin. Les situations désespérées ne trouvent de solution que lorsqu'une poignée d'hommes de foi, espérant contre toute espérance — «contra spem in spem credidit» (Rom. 4, 18), éloge fait à la foi d'Abraham par Saint-Paul — continuent à espérer, et espérer encore. Autrement dit, lorque des âmes pleines de foi recourent humblement et instamment à la Providence pour obtenir une intervention salvatrice. «Emitte spiritum tuum et creabuntur, et renovabis faciem terrae» — Envoyez votre Esprit et tout sera créé, et Vous renouvellerez la face de la terre (Antienne de la Pentecôte). Il est vain sans cela d'espérer le salut d'une quelconque forme de gouvernement, de société, ou d'une économie. «Nisi Dominus custodierit civitatem, frustra vigilat qui custodit eam» — Si le Seigneur ne garde la cité, en vain la sentinelle veille à ses portes (Ps.126, 1). Et le schéma substantiel sur l'aristocratie que nous venons de commenter, extrait de l'oeuvre élaborée sous la direction du cardinal Herrera Oria, se termine sur les considérations suivantes:
Le lecteur se rend compte que ces dernières phrases, prises au sens propre et naturel, portent un jugement sur l'aristocratie du temps où le cardinal Oria publia son oeuvre: «[il] manque une classe qui s'élève au-dessus des autres par sa naissance...». In concreto, l'aristocratie de cette époque n'accomplissait pas cette mission, c'est-à-dire sa mission. Si le schéma ne contenait qu'un éloge sans réserve envers l'aristocratie d'alors, il se verrait sans aucun doute criblé d'objections et considéré comme unilatéral: l'aristocratie, dirait-on, a d'appréciables qualités mais aussi de graves défauts. Ce dernier jugement pécherait cependant par son caractère unilatéral, cette fois en sens inverse. En hommage à la vérité historique il faut reconnaître que, si l'aristocratie des années cinquante présentait de nombreux défauts, elle possédait aussi — il est impossible de le nier — de remarquables qualités. |